Interview "J'ai été le premier sopraniste à défendre cette voix" : Bruno de Sa, un chanteur rare à Ambronay

Le Brésilien Bruno de Sa a fait sensation à l'ouverture du Festival d'Ambronay, le 13 septembre, dans une interprétation du "Stabat Mater" de Pergolèse. Rencontre.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6 min
Le sopraniste Bruno de Sa au Festival d'Ambronay, le 13 septembre 2024 (BERTRAND PICHENE)

Vendredi 13 septembre s'est ouverte à Ambronay la 45e édition du festival de musique ancienne et baroque parmi les plus prestigieux en Europe. La thématique choisie cette année est la voix chantée.  Invité pour la troisième fois au festival, une star singulière a inauguré la saison, le sopraniste brésilien Bruno de Sa. Nous l'avons rencontré quelques heures avant la présentation du Stabat Mater de Pergolèse à l'Abbatiale.  

Franceinfo Culture : Quelle est la particularité de votre voix de sopraniste ? 
Bruno de Sa : Je suis un homme qui chante soprano [la voix la plus aigüe, habituellement féminine] c'est la manière la plus simple de le dire. Les voix aigües de contre-ténor sont très connues, dès les XVIIIe et XIXe siècles et on a aujourd'hui de grands représentants en France, comme Philippe Jarrousky. Ces chanteurs sont soit des ténors, soit des barytons qui ont développé la voix de fausset pour atteindre cette voix aigüe. Dans mon cas, je ne suis ni ténor ni baryton, je chante naturellement aigu et je travaille ma voix de la même manière qu'une femme soprano. Il y a donc une différence avec les contre-ténors dans la couleur, dans la manière de produire le son, mais ce n'est ni mieux ni moins bien.

Comment avez-vous découvert votre voix de sopraniste ? 
Je chante depuis que j'ai 2 ans, ça fait donc trente-deux ans que je chante sans discontinuer. J'ai continué à chanter pendant la phase où l'on mue et j'ai constaté qu'à l'époque j'avais besoin de plus de souffle pour atteindre ces notes aigues. Non, je n'ai jamais découvert de façon soudaine la voix aigüe parce que j'ai toujours chanté ainsi depuis que j'étais gamin. En revanche, j'ai eu un moment où on m'a expliqué que je n'étais pas contre-ténor. C'était à l'université et le célèbre claveciniste brésilien Nicolau de Figueiredo, que j'ai eu en masterclass, m'a confirmé que je n'avais pas la couleur ni la manière de produire le son des contre-ténors. 

Sopraniste, c'est une voix rare ?  
Oui, c'est peu commun. Heureusement c'est un peu plus "tendance" aujourd'hui et on découvre beaucoup d'autres garçons avec cette même voix. Mais quand j'ai commencé, il y a douze ans, il n'y avait pas d'autres sopranistes, pas un seul ! Toutes les voix d'hommes qu'on pouvait utiliser en exemple c'était des contre-ténors : Philippe Jaroussky, Max Emmanuel Cencic, Daniel Taylor, Franco Fagioli. Je peux dire que j'ai été le premier garçon qui a exploré – et étendu - ce répertoire et de ce fait redonné vie à des musiques qui n'étaient pas jouées.   

Ça a été difficile ? 
Oui ! Je suis constamment en train de montrer les possibilités de ma voix, ce que je peux chanter, ce que je ne peux pas. Encore une fois, parce que c'est peu commun. Mais il y a une voie qui s'ouvre. 

Le sopraniste Bruno de Sa au Festival d'Ambronay, le 13 septembre 2024 (BERTRAND PICHENE)


Il n'y a pas beaucoup de rôles pour sopranistes ?
En fait, si, il y en a ! Si on ouvre notre esprit et on pense à la voix et non pas au genre, je pourrais chanter n'importe quel rôle de soprano. Evidemment dans la vaste catégorie de sopranos femmes, il y a une grande variété de voix : tout le monde ne peut pas chanter la Reine de la nuit (dans La Flûte enchantée), Turandot ou Susanna (dans Les Noces de Figaro). Et c'est pareil pour les sopranos hommes, donc les sopranistes. Mais ce n'est pas parce que je suis un homme que je dois chanter uniquement des rôles d'hommes ou uniquement le répertoire baroque. Depuis les débuts, quand on a une voix comme la mienne on vous enjoint de chanter du baroque. Non, je ne dois pas seulement chanter du baroque ! C'était la grande question il a dix ou douze ans, pouvais-je chanter Mozart ? J'ai une voix de soprano lyrico-léger, quel répertoire pourrais-je embrasser ? 

Les maisons d'opéra ne sont pas encore prêtes à vous faire chanter des personnages de femmes...
Heureusement, le milieu de l'opéra s'ouvre peu à peu et l'accepte davantage…

Le fait-il vraiment ?
Oui… Cependant, ce n'est rien comparé à la facilité qu'a le public, lui, à le comprendre et à l'accepter. Comme il accepte de voir des femmes interpréter des personnages masculins. En plus, je ne propose rien de nouveau ! Nous avons déjà eu Shakespeare, les tragédies grecques, les pièces avec les castrats. Mais ceux qui dirigent les opéras sont encore des gens très fermés. Et ce que l'on voit sur scène ne reflète pas les discussions et les débats qui ont cours dans la société. Certes, quand on essaie d'ouvrir davantage de possibilités, il y a toujours le risque soit du phénomène de cirque, soit des spectacles à scandale ou qui ne respectent pas le compositeur et la musique. Mais c'est quelque chose à laquelle je fais très attention. Parce qu'on a besoin d'ouvrir, sans pour autant oublier la tradition. Pour moi les choses sont simples : voici ce que je propose, voici mes possibilités vocales. Et je veux chanter des choses que ma voix m'autorise de chanter.

Le sopraniste Bruno de Sa au Festival d'Ambronay, le 13 septembre 2024 (BERTRAND PICHENE)

Au festival de musique ancienne et baroque d'Ambronay vous présentez en ouverture l'incontournable "Stabat Mater" de Pergolèse, écrit pour deux voix dont une de soprano, donc la vôtre. Quelle est pour vous sa principale difficulté ?  
Le Stabat est sûrement la pièce que j'ai le plus interprétée. L'année dernière je l'ai chantée douze fois. C'est une pièce que je connais vraiment bien. La difficulté pour moi, c'est la tessiture vocale. Parce que même si c'est pour soprano, ça reste un défi ! Si je compare par exemple le Stabat avec le In furore d'Antonio Vivaldi que je chante également, c'est une tessiture très différente. In furore, plus aigu, est beaucoup plus facile alors que maintenir le sentiment de douleur dans Stabat Mater dans un si long registre, pour moi c'est toujours un challenge.

Le "Stabat Mater" a ceci de particulier qu'il est à la fois une œuvre sacrée et très proche de l'opéra…
C'est extrêmement opératique ! On est en train de parler d'un compositeur de l'école napolitaine, cela veut dire tension dramatique, aspect théâtral. Evidemment, on peut l'interpréter de manière très "compacte", et c'est toujours bien. Mais si on intègre l'aspect théâtral – même si il n'y a aucun élément scénique, parce qu'il n'y en a pas, c'est un concert – clairement on a une différente approche à la musique, et à la beauté. C'est une œuvre sacrée. Mais le sacré et l'opéra était très liés à l'époque. 

Sopranistes ou contre-ténors, vous êtes rares et souvent objet de culte par les fans du monde. Que pensez-vous de cette "starisation" qui accompagne souvent votre carrière ? 
Parfois ça me fait peur. Je n'y pense pas ou préfère ne pas y penser parce qu'au final, c'est mon métier. J'ai juste envie de chanter. La célébrité, la visibilité, c'est une conséquence. Je sais l'importance de mon rôle notamment au Brésil, où je suis une source d'inspiration pour de jeunes chanteurs. Et puis quand je suis en dehors de la scène, je suis quelqu'un de très timide.

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