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Quand le piano dialogue avec l'orchestre : Vanessa Benelli Mosell ouvre ce soir le festival Présences avec "Duet" de George Benjamin

A 17 ans, toute jeune pianiste italienne, elle était repérée par le grand Karlheinz Stockhausen. Aujourd'hui, à 32 ans, Vanessa Benelli Mosell sort un 9e disque, consacré à Ravel et s'apprête à ouvrir le 7 février le festival Présences de Radio France. Rencontre.

Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
La pianiste Vanessa Benelli Mosell en 2018. (EMMANUEL JACQUES)

Vanessa Benelli Mosell nous reçoit chez elle dans l'ouest parisien, dans un appartement où le piano occupe sa place naturelle : dominante. Le piano : son métier, sa vie, pour cette jeune mais brillante artiste italienne formée au Conservatoire de Moscou et au Royal College of Music de Londres et qui, à l'âge de 17 ans, impressionna le compositeur Karlheinz Stockhausen au point de devenir l'une de ses dernières interprètes. Vanessa Benelli Mosell a un autre complice, le chef britannique Daniel Harding, avec lequel elle peaufine son autre passion dévorante, la direction d'orchestre.

En attendant, elle signe chez Decca son nouveau disque, qu'elle consacre à quatre belles pièces, parmi les plus célèbres de Ravel : Pavane pour une infante défunte, le Concerto en sol, Sonatine et le Tombeau de Couperin. La pianiste italienne ouvre également le 7 février 2020 la 30e édition du festival de création musicale de Radio France, Présences, avec une œuvre du compositeur britannique George Benjamin.

Franceinfo Culture : Pourquoi avoir choisi Ravel pour votre nouveau disque ? 
Vanessa Benelli Mosell : Il est, avec Debussy, que j'ai enregistré l'année dernière, l'un des compositeurs français les plus significatifs. Comme j'ai choisi de résider à Paris où j'ai été accueillie avec beaucoup de chaleur, j'ai eu envie de me consacrer à l'étude de la culture française. La musique est aussi un moyen de mieux connaître ce pays d'adoption !

Comment apporter votre propre touche à ce répertoire incontournable de Ravel ?
Parfois on écoute des albums où l'on joue tout à peu près de la même manière juste parce que tout est Ravel. Or chaque morceau a sa personnalité, et donc pour moi tout l'intérêt est de chercher un son différent par pièce, et une approche différente de la partition, parce que par exemple il y a moins d'indications de Ravel dans le Tombeau de Couperin que dans la Sonatine.


Alors, comment avez-vous abordé ces pièces ?
Ce sont quatre pièces très différentes. La Pavane, c'est la danse d'une fantomatique princesse à la cour d'Espagne. Avec cette pièce, j'ai eu une approche assez voisine de ce que j'aurais fait avec Fauré : une approche plus romantique dans le son, dans le côté fastueux du son, des harmonies, ces harmonies si chaudes et si néobaroques en un sens… Pour le Tombeau de Couperin, c'est complètement différent, on est bien plus sur l'articulation et la clarté sonore. Ici aussi j'ai cherché une interprétation qui me soit propre : j'ai essayé de jouer ce Tombeau comme si c'était quelque chose d'ancien. En cherchant d'abord dans le piano quelque chose qui donne la sensation de jouer du clavecin. Et en même temps avec une légèreté technique, une clarté de son, et cette atmosphère un peu à la Scarlatti, comme ses pièces très lumineuses et néoclassiques… Et enfin la Sonatine : c'est une pièce de grande virtuosité qui se rapproche de Liszt dans l'écriture, avec plus de notes et des harmonies plus sophistiquées, par rapport au Tombeau.

Et le fameux Concerto en sol ?
C'est quelque chose à part, c'est un dialogue entre l'orchestre et moi. Ravel aimait jouer de sa grande habilité d'orchestrateur : son écriture pour piano est si claire et transparente qu'elle peut soit se fondre (volontairement) dans la texture orchestrale soit, au contraire, s'imposer. J'ai construit mon interprétation dans cette optique-là, donc en maintenant la légèreté et la transparence de l'écriture, sans pour autant céder à un sentimentalisme facile.

Aujourd'hui vous avez gravé Ravel, hier c'était Debussy, mais ce ne sont que les derniers d'une liste de disques qui est déjà longue vu votre jeune âge…
Oui (rires), j'ai enregistré neuf disques… Récemment on m'a dit que je suis la pianiste femme italienne la plus enregistrée dans l'histoire. C'est peut-être vrai…

La rencontre avec Karlheinz Stockhausen est de celles qui sculptent une personnalité

Vanessa Benelli Mosell

Et dans votre répertoire discographique (et de concerts) très varié, la musique contemporaine prend une place de choix. C'est sans doute lié à votre rencontre fondatrice avec Karlheinz Stockhausen…
Stockhausen est une présence importante parce que je l'ai connu quand j'étais vraiment très jeune, j'avais 17 ans. Et toute rencontre faite ainsi en plein apprentissage reste imprimée, parce qu'elle vous sculpte dans votre personnalité. Oui, ça a influencé à la fois mes choix en musique contemporaine et mon intérêt pour cette musique. Mais au-delà de ça, le fait d'avoir pu travailler les pièces de ce grand compositeur avec lui est un grand privilège. J'ai ses annotations sur la partition, et en quelque sorte je me sens en devoir de transmettre, à ceux qui ne connaissent pas suffisamment sa musique, l'héritage qu'il m'a laissé à travers ses leçons.

Que retenez-vous de cette expérience ?
C'est un peu comme étudier Beethoven avec Beethoven ! Il y a aussi plus globalement l'idée de travailler une œuvre avec son compositeur : c'est une possibilité que tous les interprètes devraient "exploiter". Nous avons tous l'occasion de travailler avec des compositeurs qui peut-être un jour seront reconnus. En tout cas nous interprètes donnons la possibilité à un compositeur d'être reconnu : il faut prendre des risques, il faut croire en un compositeur et parier sur lui.


Vous pensez à des compositeurs en particulier ?
Evidemment pas à Stockhausen qui était déjà passé à l'histoire (rires). Je parle de compositeurs jeunes. Par exemple, le 7 février à l'ouverture du festival Présences, je ferai également la première d'une pièce pour piano seul de Claire-Mélanie Sinnhuber qu'elle a écrit pour moi. C'est une compositrice de 46 ans que j'aime beaucoup, que j'ai découvert grâce au Festival de Radio France.

Comment votre expérience dans la musique contemporaine vous influence-t-elle en tant que pianiste ?
Sûrement elle m'a appris la grande importance du texte pour le compositeur. Stockhausen connaissait très bien sa musique et exigeait de l'interprète du respect pour le texte, donc qu'on joue ce qui était écrit, sans "raccourcis".

Ravel était également célèbre pour cette exigence…
Oui, il a même dit que l'interprète est "l'esclave du compositeur" ! Et avant lui, Debussy pensait la même chose. Tout le contraire des grands compositeurs romantiques, comme Liszt qui se trahissait lui-même, parce qu'il ne faisait jamais ce qu'il avait écrit, il improvisait, c'était dans la pratique de l'époque. Mais je reviens à Stockhausen, et la mise en lumière du texte qu'il m'a apprise. Comme il disait, c'est en même temps l'interprète qu'on doit entendre jouer. Mais comment, c'est le problème. La difficulté n'est pas de bouleverser le texte et de dire : je montre à tout le monde qui je suis. Non, ça n'importe qui peut le faire. L'enjeu est de respecter le texte et en même temps faire ressortir son identité, mais de manière presque inconsciente.

Inconsciente ?
Ça doit être naturel, sinon c'est un artifice. Donc en étant très fidèle au texte on fait en réalité ressortir beaucoup plus sa "personnalité", pourquoi ? Parce que chaque signe sur la partition, chaque indication sont "interprétés". Un "forte", un "andante", sont interprétés par moi par exemple selon mon histoire, mes études…

Quelle est votre relation à la musique de George Benjamin, que vous allez interpréter à l'ouverture du festival Présences le 7 février ?
Benjamin et Stockhausen sont deux compositeurs à l'opposé. Quand j'ai rencontré Benjamin, on m'a dit : ne lui parle pas de Stockhausen ! J'ai rencontré Benjamin quand j'étais encore étudiante, à Londres, j'avais écouté certaines pièces parmi lesquelles le Concerto et je lui avais dit avec un air très naïf : mon rêve serait de jouer dirigée par vous votre Concerto pour piano ! J'étais encore très jeune, lui m'a regardé comme ça, un peu… Poliment, il m'a dit qu'on verrait éventuellement ça à l'avenir. Comme je suis têtue, quelques années après j'ai vraiment travaillé le Concerto, je l'ai contacté pour avoir des indications sur la pièce, et je l'ai interprétée à Dublin. Je lui ai ensuite envoyé l'enregistrement. Total : cinq ans après notre première rencontre, c'est lui qui m'a contactée pour s'excuser de m'avoir sous-estimée à l'époque. Et surtout pour me dire qu'il avait pensé à moi pour jouer à l'ouverture du festival Présences consacré à lui cette année. Donc c'est vraiment un rêve qui se réalise !

Que diriez-vous de ce "Duet" que vous interprétez ?
C'est une musique qui a une très grande force communicative. Elle est caractérisée par de forts contrastes, l'orchestration est intéressante, parce qu'il manque cette part importante de l'orchestre que sont les violons. Ça s'appelle Duet parce que le piano est en dialogue continu avec l'orchestre, à aucun moment le piano ou l'orchestre ne jouent la prima donna. Quand j'étudie la partition toute seule, j'ai l'impression que ce sont plusieurs petites pièces pour piano seul qui sont déjà belles par elles-mêmes ! J'espère que cette beauté passera aussi au public.

Vous êtes également depuis peu devenue cheffe d'orchestre. D'où vous venait cette envie ?
Le répertoire orchestral m'a toujours fascinée. Au piano, il y a une polyphonie que je retrouve dans l'orchestre, sauf que celui-ci a en plus du piano une variété de sonorités, une richesse de timbres, qui m'a toujours fascinée. Ma vraie aspiration est donc de pouvoir diriger le répertoire dont je suis vraiment folle ! Ça va de Haydn jusqu'à des pièces contemporaines en passant par Stravinski (je rêve de diriger le Sacre du Printemps) ou Mahler.

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