La folle journée américaine, acte 5 : good bye and farewell
Certes parfois stressés (« Elle est où, la salle Hemingway?»), inquiets (« Tu es sage, tu ne nous fais pas honte»), dubitatifs (« Vous avez des jambon-fromage ? - Non, j’ai plus que des complet-thon ») ou pratiques (« Il y a des toilettes à quel niveau? ») Mais heureux. Enfin jusqu’à ce dimanche soir, et de nouveau l’année prochaine…
Bravo (et merci) au quatuor Prazak et à Gérard Caussé pour leurs Dvorak, le Quatuor « Américain » (qui n’a rien d’américain mais tout du tchèque) et le Quintette à cordes, joués de manière rugueuse et chantante, avec une poésie magnifique, sans chercher le « beau son » puisque ces mélodies de villages étaient colportées par les violoneux.
Bravo à l’excellent chœur « Les éléments » et son chef Joël Suhubiette pour l’hommage à la grande pédagogue et compositrice Nadia Boulanger, fondatrice du conservatoire franco-américain de Fontainebleau. A travers ses élèves préférés, Copland (4 motets très luthériens), Bernstein (musique pour « L’Alouette » d’Anouilh, à la fois moyenâgeuse et bernsteinienne, avec textes en latin et « vieux françois » puisque l’Alouette, c’est Jeanne d’Arc) et Ned Rorem (« Au temps de la peste »), aussi bon musicien qu’écrivain (lisez son « Journal parisien » sur son séjour chez nous dans les années 50).
Bravo à l’ami Henri Demarquette pour son programme difficile (et que je n’ai pas pu entendre), la « Sonate » de Crumb et une pièce de Reich pour violoncelle et bande magnétique, auquel il intéresse l’auditeur le plus médiatique de la journée, Jean-Marc Ayrault, parmi les 80 spectateurs de la plus petite salle. On ne va pas se plaindre que l’ancien maire de Nantes non seulement continue de suivre « ses » Folles Journées mais,surtout, aille écouter en tout incognito une musique aussi ardue. C’est le côté incroyablement bon enfant de Nantes : vous êtes assis bien sage, vous tournez la tête, vous regardez votre voisin, vous vous dîtes : « Tiens, c’est le Premier Ministre ».
Bravo à Matan Porat, un nom à retenir. Ce jeune pianiste a le souffle, la puissance de jeu et la clarté du son. Il s’attaque à l’énorme (50 minutes) sonate « Concord » de Charles Ives. Ives se dit : « Tiens, cet instrument est marrant, je vais tout y mettre ». Donc Bach, des chansons folk, la 5e de Beethoven, des square dances, des chevauchées à travers le clavier, des accords en grappes bien touffues. Le terme « Everest du piano » convient parfaitement: ou vous êtes ravi de l’avoir vaincu ou vous renoncez, perdu dans le brouillard.
Bravo (encore) à Zahia Ziouani : une « Ouverture cubaine » de Gershwin (du temps où on s’amusait à Cuba, évidemment au détriment du peuple) brillante et énergique quoiqu’un peu brouillonne. Moins bravo à Shani Diluka dans la « Rhapsody in blue » : fausses notes, manque de puissance, sens du swing très imprécis. Au moins Diluka joue-t-elle toute la partition, elle.
Bravo (et merci) à Françoise, Paul, Solange et Chantal (message personnel).
Bravo (et merci) à Thomas Enhco, 26 ans, le petit prodige du piano jazz (il a créé son premier groupe à 14 ans, publié son premier album à 18) Avec ses excellents complices, Jérémy Bruyère à la basse, Nicolas Charlier (« venu de Belgique à dos de chameau ») à la batterie, il propose une prestation libre, impeccable, musicienne et construite, chaque partition commençant par de simples accords dans le médium du piano jusqu’au déchainement du trio. Ou l’inverse. Tête de gamin, beaucoup d’humour quand il annonce « la mélodie de mon chien Gaston » (Gaston a l’habitude de se promener sur le clavier. Un jour il a si « bien » piétiné les touches qu’Enhco en a tiré un morceau. « La prochaine fois, je lui donnerai un papier et un crayon, il l’écrira lui-même »). Emouvant « Wadi Rum » (hommage à la Syrie martyre), magnifique mélodie de « You ‘re just a ghost »; et « The outlaw », en référence à Robin des Bois (le vrai, pas M. Pokora).
Bravo (et merci) à Andrei Korobeinikov. Dans un français délicieusement approximatif il nous présente des variations d’Ives comme des « images de cervéo (= mentales) » avec « un morceau en mi mineur pour les madames ». Puis des «Révoltes anti-abolitionnistes de 1830 et 1840 », « une musique très agressive ». C’est vrai.
Bravo (et merci) à Marie-Catherine Girod qui rempile avec les Prazak dans le « Quintette avec piano » de Bloch, où passent les fantômes gris des persécutions juives (et pas seulement nazies). Belle musicienne trop discrète qui éclaire des «Croquis en sépia » mystérieux et fuyants, comme si Debussy avait vécu dix ans plus tard (Ecoutez surtout, de Bloch, le « Schelomo » qu’ont joué les plus grands violoncellistes).
Bravo au quartet « Crossroads ». Humour et talent pour ces Blancs qui chantent une musique… originellement de Noirs. Vers 1870, dans l’arrière-boutique des salons de coiffure, souvent tenus par des Noirs, ceux-ci, interdits de théâtres ou de restaurants, se réunissaient pour boire, bavarder ou… chanter. Les quatre de « Crossroads » sont pleins d’humour (« Nous sommes très connus… pour avoir posé pour des lotions capillaires car nous représentons quatre différents états de la calvitie ») et nous rappellent avec une musicalité virtuosissime que le premier instrument de musique de l’histoire de l’humanité est la voix humaine et qu’elle l’est donc aussi dans un pays de pionnier.
Re-bravo aux chanteurs de l’American Spiritual Ensemble. Pour avoir déjeuné à la cantine des artistes en smokings et robes longues, au milieu des autres musiciens en pantalons de travail et chemises fripées. Il était 13 heures 30, leur concert était à 17 heures 30. Etre une star, c’est un état d’esprit…
Bravo (et merci) à tous les bénévoles, les organisateurs, les « petites mains » de cette folie qu’est la « Folle Journée », au point qu’on finit par ne plus se rendre compte de ce qu’elle représente en terme d’organisation.
Bravo (et merci aussi) à MM Bach, Haendel et Scarlatti de faire le pied de grue jusqu’à l’année prochaine. Ce sera leur tour, plus perruqué mais aussi ébouriffant.
Ce soir il y a enfin des étoiles. Le même ciel relie Nantes et les Amériques.
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