Le quatuor Psophos fête ses 20 ans avec le disque "Constellations"
Notre rencontre avec le quatuor à cordes Psophos a lieu rue Blomet, dans le 15e arrondissement, au Bal Blomet : une jolie salle en sous-sol, entre cabaret et club, qui associe sans complexe une programmation jazz, classique et musical-hall. A l’image du lieu dont il est l’héritier, le Bal Nègre, mythique cabaret dansant antillais et club de jazz des Années folles.
"Entre nous, ça jaillit, c’est du ping-pong"
Pour l’heure, le quatuor reste sur une œuvre du compositeur hongrois Ernö Dohnany (début du XXe siècle), que la formation donnera avec Brahms et Szymanowski au premier concert qui s’appellera "Echos de Bohème". Ambiance de répétitions. "Là, il y a une note bizarre (… ) Je peux diriger ?" lance l’un. "Il faut jouer comme si c’était en marche. D’accord ?". "Pourquoi pas", répond l’autre. (…) "Mais qu’est ce qui se passe ? D’habitude t’es plus calme (...) Pas trop de…", entend-on encore. Et puis : "Il faut qu’il y ait de la consistance, sinon ça fait évanescent. (…) Ta glissade, tu pourrais plus étendre à 14". Et ainsi de suite : on discute, on s’apostrophe gentiment. On réagit, on rigole, on parle fort, on répond, comme on le fait entre amis. Et puis d’un coup, comme par enchantement, le brouhaha s’en va et la magie de la musique s’installe.Vingt ans que ça dure. Pour être précis, ces quatre membres-là ne sont ensemble que depuis une dizaine d’années. Le premier violon, Eric Lacrouts et le violoncelliste Guillaume Martigne ont rejoint l’altiste Cécile Grassi et la violoniste Bluenn Le Maître, co-fondatrices du quatuor avec deux autres musiciennes. Rien de plus classique qu’un quatuor qui change de musiciens, surtout dans une période aussi longue. Surtout, les quatre se félicitent d’être parvenus à une véritable entente. Et tous ces échanges très animés durant les répétitions ? "Ce sont les idées musicales qui circulent, ça jaillit, c’est un ping-pong". Les quatre parlent ensemble.
Identité sonore
Cécile Grassi, l’altiste, est souvent la première à parler, les autres la complètent, et les paroles des uns et des autres se chevauchent sans rendre pour autant le propos inintelligible. C’est peut-être ça, l’entente. "On parle beaucoup, pour que ce ne soit pas télécommandé, que ce soit naturel. Il faut qu’on le comprenne, le son. Alors parfois il y a besoin de mettre des mots sur des intentions : vers où va aller la phrase ? Quel point d’appui on veut mettre ? Quelles vont être les tensions ? Où vont être les relâchements ? Qui va les guider ? Quelle voie par rapport à l’harmonie va être prédominante pour donner un caractère ?", lancent-ils en coeur. "On parle beaucoup parce qu’on est quatre : avec quatre idées, si on n’est pas d’accord, il faut argumenter, et on peut changer de cap", ajoute Bleuenn Le Maître.Ce qui les définit comme quatuor, "c’est une identité sonore collective", avance Eric Lacrouts, premier violon. "Oui, mais même si c’est collégial, et même si un quatuor, c’est toujours la plus belle démocratie du monde, c’est aussi l’identité du premier violon qui prime. Et heureusement", ajoute en riant Cécile Grassi, rejointe par Bleuenn Le Maître : "Il y a des mimétismes qui se créent à partir de là et c’est important". Une identité sonore, ça ne se décrit pas. "C’est à notre insu, nos jeux et nos envies musicales vont dans une direction commune qu’on tend", disent-ils. On croit percevoir un phrasé, une légèreté emprunte d’espièglerie… "Si, c'est vrai, il y a beaucoup de jeu… Vous savez, avant le concert, il y a une proposition qui arrive et on va tous réagir par rapport à celle-ci. Et ça, on ne l’aura pas prévu, c’est au dernier moment, ça va créer quelque chose de particulier, ce côté espiègle justement : c’est un jeu, ça fait balle", résume le violoncelliste Guillaume Martigne.
Le disque "Constellations" (Klarthe)
Pour les 20 ans de Psophos, le quatuor a sorti un disque anniversaire, "Constellations" chez Klarthe, jolie rencontre (certes attendue) de Ravel, Dutilleux et Debussy sous le signe de la poésie et d'une certaine légèreté impressionniste. "On a quasiment commencé le quatuor avec ça, et c’est un répertoire un peu incontournable pour un quatuor français. Surtout, on s’est accompagnés l’un l’autre, ce répertoire et nous", dit Cécile Grassi. "Ce n'est pas un manifeste", selon Guillaume Martigne, "juste on est sensible à la couleur, au timbre à la poésie", ajoute Cécile : "c'est pour ça qu’on a utilisé le terme de constellation, c'est poétique ! C'est un titre du quatuor de Dutilleux "Ainsi la nuit", mais qui illustre tellement chaque quatuor. Chacun des trois compositeurs n'a écrit qu'un quatuor : chacun a son étoile qui brille"…Depuis ses débuts, le quatuor s'est beaucoup consacré aussi à la musique contemporaine. "C’est tellement merveilleux de pouvoir rencontrer la personne qui a écrit l’œuvre : pouvoir échanger, comprendre. Ça n’enlève pas la liberté d’interpréter, mais parfois avoir une réponse, c’est tellement précieux…", dit Cécile. La rencontre avec Dutilleux a été pour Psophos "hyper émouvante : on était à Cardiff, on jouait pour son anniversaire et avant de rentrer sur scène, il est venu nous voir. On ne savait pas qu’il serait présent. Notre seul regret a été de ne pas avoir travaillé avec lui, parce que c’était trop tard et il ne recevait plus vraiment".
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