Cet article date de plus de dix ans.
Lise de la Salle et la passion amoureuse selon Schumann
Lise de la Salle a l'âge qu'avait Robert Schumann en 1836 quand il composa sa très sentimentale "Fantaisie en ut majeur opus 17", pièce maîtresse du disque qu'elle vient d'enregistrer chez Naïve : 26 ans. Age de la raison ? Sans doute, 15 ans après ses premiers concerts. De la maturité aussi, assurément. Ajoutons de la passion, qui transparaît en notes… et en paroles. Rencontre.
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Temps de lecture : 5min
A 26 ans, vous en êtes déjà à votre huitième disque personnel, appelé simplement "Schumann". Quelle place a l'enregistrement dans votre vie d'artiste ?
C'est vrai que cela fait plus de 10 ans que je pratique ce sport de haut niveau qu'est le disque (rires) ! J'avais 14 ans pour le premier ! Plus jeune, je ne retenais que le bonheur de faire un disque, comme un enfant qui réalise son rêve. Aujourd'hui je me rends compte des enjeux d'un "marché" mondialisé… C'est important ?
Oui, même si je n'aime pas le terme technique. Voyons-le autrement : dans la musique classique, le monde est devenu petit, car on peut me suivre par exemple depuis la Chine, la Corée ou les Etats-Unis, ce qui me confère certaines obligations, notamment en termes de discographie. Mais il y a aussi une dimension plus philosophique du disque : l'enregistrement est le témoignage d'un investissement particulier, fort, personnel, sur une œuvre, à un moment donné. Et on s'y donne entièrement malgré la conscience qu'avec le temps, le regard sur ce répertoire aura inévitablement évolué… Ce dernier disque ne fait pas exception : c'est le jeune Schumann, plein d'espoir et de passion ; j'ai ressenti le besoin d'enregistrer ce programme, car je suis à une période de ma vie - j'ai l'âge qu'avait Schumann quand il a composé ces morceaux, où je comprends ces émotions-là. J'ai été même pendant un temps littéralement possédée par cette musique. L'enregistrer ou l'interpréter en récital, quelle différence ?
L'investissement est le même. D'autant que ma démarche est de me rapprocher le plus possible d'une prise directe, plutôt que de réaliser presque du "mesure par mesure"… J'aime qu'on sente les éventuels défauts d'une prise longue, le souffle et l'énergie dépensée ! En revanche, je profite de l'enregistrement pour explorer ce qu'offre le studio, contrairement au concert, c'est-à-dire la palette d'expressions la plus large possible, comme par exemple des pianissimos très prononcés…
Comment choisissez-vous votre répertoire pour un disque ?
Je réfléchis à un programme pour un concert, jamais pour un disque. L'enregistrement vient toujours après un récital. J'aime inviter le spectateur à un voyage musical qui soit cohérent dans le ressenti. Ça a pu donner, dans le passé, des combinaisons originales mais qui marchent très bien, comme Bach avec Liszt ou Mozart avec Prokofiev.
Et comment s'est construit le programme Schumann ?
Dans le disque Schumann, la pièce maîtresse est la "Fantaisie en ut majeur, opus 17". Petite, j'écoutais en boucle le 1er mouvement. C'est celui du sentiment, de la tribulation amoureuse. Puis j'ai découvert la suite et en particulier le second mouvement, aux accents très "beethoveniens", qui rappellent "l'Opus 11". Le rythme y est moderne, très jazzy. Je retrouve la même énergie vitale chez ces deux compositeurs, Beethoven et Schumann, une puissance qui pourtant n'exclut pas la tristesse ou le drame. Enfin, dans le dernier mouvement, sorte "d'Ave Maria" Schubertien, comme un lied, Schumann recouvre la paix intérieure, l'apaisement. J'ai décidé d'associer à la "Fantaisie" d'abord les "Scènes d'enfant" (1838) dont le souvenir pour moi est celui, magnifique, des premières émotions musicales. Et, pour terminer, les "Variations Abegg" (1830) sont venues naturellement comme un lien entre les deux pièces pour évoquer ce Robert Schumann jeune - il n'a alors que 20 ans - encore très passionné et amoureux. En réalité, on sent déjà – et c'est magnifique – les prémices de la folie, de la noirceur, mais pour l'heure, c'est l'enthousiasme qui l'emporte, ça me touche beaucoup…
Toujours cette passion amoureuse…
Oui, la musique, l'amour. Avec la bonne cuisine, vous avez mon trio de tête ! Quelles sont les rencontres qui ont marqué votre personnalité artistique ?
Il y a, à 16 ans, la découverte de la 1ère symphonie de Brahms : ça a été un absolu musical. Brahms m'accompagne toujours, mais j'attends le moment adéquat pour le jouer véritablement. L'art a beaucoup compté aussi : l'art contemporain, mais aussi un Van Gogh, "La nuit étoilée", autre révélation. Comme dans la musique, la cuisine ou l'amour, je suis bouleversée par la rencontre entre la puissance et la douceur, appelez-la subtilité ou tendresse.
Dans son dernier livre, le chef d'orchestre Daniel Barenboim évoque à ce sujet la figure de Mozart. C'est, pour lui, l'un des rares musiciens à associer des émotions contradictoires, notamment dans Don Giovanni…
Il a raison, j'allais le citer ! C'est d'ailleurs ce que je remarquais quand j'ai enregistré mon disque Mozart : on est chez lui dans le drame et, immédiatement après, dans le rire. Mozart est unique, c'est le plus grand !
C'est vrai que cela fait plus de 10 ans que je pratique ce sport de haut niveau qu'est le disque (rires) ! J'avais 14 ans pour le premier ! Plus jeune, je ne retenais que le bonheur de faire un disque, comme un enfant qui réalise son rêve. Aujourd'hui je me rends compte des enjeux d'un "marché" mondialisé… C'est important ?
Oui, même si je n'aime pas le terme technique. Voyons-le autrement : dans la musique classique, le monde est devenu petit, car on peut me suivre par exemple depuis la Chine, la Corée ou les Etats-Unis, ce qui me confère certaines obligations, notamment en termes de discographie. Mais il y a aussi une dimension plus philosophique du disque : l'enregistrement est le témoignage d'un investissement particulier, fort, personnel, sur une œuvre, à un moment donné. Et on s'y donne entièrement malgré la conscience qu'avec le temps, le regard sur ce répertoire aura inévitablement évolué… Ce dernier disque ne fait pas exception : c'est le jeune Schumann, plein d'espoir et de passion ; j'ai ressenti le besoin d'enregistrer ce programme, car je suis à une période de ma vie - j'ai l'âge qu'avait Schumann quand il a composé ces morceaux, où je comprends ces émotions-là. J'ai été même pendant un temps littéralement possédée par cette musique. L'enregistrer ou l'interpréter en récital, quelle différence ?
L'investissement est le même. D'autant que ma démarche est de me rapprocher le plus possible d'une prise directe, plutôt que de réaliser presque du "mesure par mesure"… J'aime qu'on sente les éventuels défauts d'une prise longue, le souffle et l'énergie dépensée ! En revanche, je profite de l'enregistrement pour explorer ce qu'offre le studio, contrairement au concert, c'est-à-dire la palette d'expressions la plus large possible, comme par exemple des pianissimos très prononcés…
Comment choisissez-vous votre répertoire pour un disque ?
Je réfléchis à un programme pour un concert, jamais pour un disque. L'enregistrement vient toujours après un récital. J'aime inviter le spectateur à un voyage musical qui soit cohérent dans le ressenti. Ça a pu donner, dans le passé, des combinaisons originales mais qui marchent très bien, comme Bach avec Liszt ou Mozart avec Prokofiev.
Et comment s'est construit le programme Schumann ?
Dans le disque Schumann, la pièce maîtresse est la "Fantaisie en ut majeur, opus 17". Petite, j'écoutais en boucle le 1er mouvement. C'est celui du sentiment, de la tribulation amoureuse. Puis j'ai découvert la suite et en particulier le second mouvement, aux accents très "beethoveniens", qui rappellent "l'Opus 11". Le rythme y est moderne, très jazzy. Je retrouve la même énergie vitale chez ces deux compositeurs, Beethoven et Schumann, une puissance qui pourtant n'exclut pas la tristesse ou le drame. Enfin, dans le dernier mouvement, sorte "d'Ave Maria" Schubertien, comme un lied, Schumann recouvre la paix intérieure, l'apaisement. J'ai décidé d'associer à la "Fantaisie" d'abord les "Scènes d'enfant" (1838) dont le souvenir pour moi est celui, magnifique, des premières émotions musicales. Et, pour terminer, les "Variations Abegg" (1830) sont venues naturellement comme un lien entre les deux pièces pour évoquer ce Robert Schumann jeune - il n'a alors que 20 ans - encore très passionné et amoureux. En réalité, on sent déjà – et c'est magnifique – les prémices de la folie, de la noirceur, mais pour l'heure, c'est l'enthousiasme qui l'emporte, ça me touche beaucoup…
Toujours cette passion amoureuse…
Oui, la musique, l'amour. Avec la bonne cuisine, vous avez mon trio de tête ! Quelles sont les rencontres qui ont marqué votre personnalité artistique ?
Il y a, à 16 ans, la découverte de la 1ère symphonie de Brahms : ça a été un absolu musical. Brahms m'accompagne toujours, mais j'attends le moment adéquat pour le jouer véritablement. L'art a beaucoup compté aussi : l'art contemporain, mais aussi un Van Gogh, "La nuit étoilée", autre révélation. Comme dans la musique, la cuisine ou l'amour, je suis bouleversée par la rencontre entre la puissance et la douceur, appelez-la subtilité ou tendresse.
Dans son dernier livre, le chef d'orchestre Daniel Barenboim évoque à ce sujet la figure de Mozart. C'est, pour lui, l'un des rares musiciens à associer des émotions contradictoires, notamment dans Don Giovanni…
Il a raison, j'allais le citer ! C'est d'ailleurs ce que je remarquais quand j'ai enregistré mon disque Mozart : on est chez lui dans le drame et, immédiatement après, dans le rire. Mozart est unique, c'est le plus grand !
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