L’Orchestre philharmonique de Vienne fait la lumière sur son passé nazi
C’est la révélation la plus spectaculaire de l’enquête menée par des historiens à l’initiative de l’Orchestre philharmonique sur son passé nazi. Jusqu’à présent, ses réticences à faire la lumière sur les "pages brunes" de son histoire, avaient été fortement critiquées.
Des historiens ont enquêté sur le passé de l'orchestre
Des historiens ont donc été chargés d'étudier "la politisation de l'orchestre sous le nazisme", "les biographies des musiciens exclus, persécutés et, éventuellement, assassinés pour des raisons racistes et politiques", ainsi que "les archives disponibles sur la nazification et la dénazification".
Oliver Rathkolb, professeur à l'Université de Vienne, qui avait récemment révélé de nouveaux éléments sur l'engagement nazi du chef d'orchestre autrichien Herbert von Karajan, a coordonné l'étude, assisté de Fritz Trümpi, auteur en 2011 du livre "Orchestres politisés : les Orchestres philharmoniques de Vienne et de Berlin sous le national-socialisme", et de Bernadette Mayrhofer, qui a étudié les cas d'exclusion et de déportation de musiciens juifs.
Les résultats de leur enquête ont été rendus publics au cours d'une conférence de presse à l'Opéra de Vienne (Staatsoper) en présence de son Directeur général, le Français Dominique Meyer, et du chef d'orchestre indien Zubin Mehta.
Le trompettiste nazi Helmut Wobisch, exclu de l'orchestre, est réintégré en 1951
Ainsi, ces historiens ont révélé qu'un trompettiste de l'orchestre, Helmut Wobisch, membre dès 1933 du Parti nazi NSDAP, alors clandestin, de la SS dès 1938 et collaborateur de la Gestapo, avait été exclu de l'orchestre en 1945, mais réintégré en 1951 avant d'accéder à la présidence de la prestigieuse phalange, dont les musiciens choisissent eux-mêmes le "patron".
Et c'est Helmut Wobisch qui remet en 1966 une copie de la plus haute distinction de l'Orchestre philharmonique, l'Anneau d'honneur, au dirigeant nazi Baldur von Schirach, chef des Jeunesses hitlériennes puis Gauleiter (gouverneur) de Vienne (1941-1945), condamné à 20 ans de prison par le Tribunal de Nuremberg, grâcié en 1966. Il l'avait déjà reçu en 1942 mais il lui avait été confisqué après son arrestation en 1945 par les troupes américaines.
Des musiciens juifs exclus et déportés
Autre dirigeant nazi à recevoir l'Anneau d'honneur, en 1942, Arthur Seyss-Inquart, Gouverneur général de l'Autriche, puis Commissaire du IIIe Reich aux Pays-Bas, d'où il avait organisé la déportation de 100.000 juifs vers les camps d'extermination nazis, ce qui lui avait valu en 1946 d'être condamné à mort pour crimes contre l'Humanité par le Tribunal allié de Nuremberg et exécuté.
Selon les recherches de Bernadette Mayrhofer et du porte-parole des musiciens de l'orchestre, le violoniste Clemens Hellsberg, six musiciens juifs de l'Orchestre philharmonique ont été assassinés et dix déportés vers les camps d'extermination nazis. De ceux qui ont réussi à s'exiler, notamment en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, aucun n'est revenu, malgré une invitation de l'orchestre.
Un orchestre fortement engagé au côté des nazis
La proportion de membres du parti nazi au sein de la formation (60 musiciens sur un total de 123) était aussi très supérieure à la moyenne au sein de la population (environ 10%). A titre de comparaison, elle était "seulement" de 20% au sein de l'Orchestre philharmonique de Berlin.
A l'occasion du 75e anniversaire de l'annexion (Anschluss) de l'Autriche par l'Allemagne nazie, le 12 mars, les conclusions de cette enquête historique pourront être lues sur le site internet de l'Orchestre philharmonique de Vienne.
Cette enquête fait aussi l'objet d'un film documentaire réalisé par Robert Neumüller pour la télévision publique autrichienne ORF : "Les ombres du passé - L'Orchestre philharmonique sous le national-socialisme" ("Schatten der Vergangenheit - die Wiener Philharmoniker im Nationalsozialismus").
Dans la scène finale, à l'occasion d'une répétition sous la direction du chef d'orcheste autrichien Franz Welser-Möst, sur la musique des "Adieux" de Josepf Haydn, on voit des musiciens d'aujourd'hui, l'un après l'autre, pour chacun des musiciens juifs assassinés, déportés ou exilés, poser leur instrument sur leur chaise et quitter la salle.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.