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"Ludwig Van" : l'expo événement à la Philharmonie qui perce le mythe Beethoven

1827 : Beethoven est mort. Vive le mythe Beethoven ! Une exposition qui commence ce 14 octobre à la Philharmonie, "Ludwig Van", lui est dédié. Films, vidéos, tableaux et oeuvres contemporaines racontent l'incroyable histoire d'une icone de la musique, objet de culte et de fantasmes. Pop star façon Warhol, oeuvre mondialisée et souvent transformée : que reste-t-il de Beethoven derrière le mythe ?
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
"Roll over Beethoven",  trois photos commandées à Oliviero Toscani pour l'exposition "Ludwig Van" à la Philharmonie de Paris.
 (Oliviero Toscani)

Arrêtez-vous quelques minutes dans la première petite salle de l’exposition : elle est tapissée d’écrans vidéo diffusant ici un dessin animé de "Peanuts", là une publicité pour un distributeur de boissons, un concert des Beatles ou un sketch comique. Sans commentaires, ces images vous parlent. Et toutes ont un point commun : la présence, parfois même en filigrane, de Beethoven. Par un clin d'oeil visuel, par une mélodie. Comme pour vous montrer que, même sans le savoir, nous avons tous en nous quelque chose de ce « Ludwig Van ».

Beethoven en pop star

Tel est l’objet de cette exposition à la Philharmonie de Paris. Alors qu’ici même on s’évertue à penser la transmission de la musique classique au plus grand nombre, un mythe, celui de Beethoven, perdure de génération en génération comme par enchantement. Le « mythe » Beethoven ? C’est un ensemble constitué à la fois de l’œuvre – réduite le plus souvent à ses mélodies les plus emblématiques, la 5e et la 9e symphonies en tête - et du personnage archétypal qui devient une icône. Visage grave et chevelure en bataille, porté par son drame qu’est la surdité, Beethoven est transformé en pop star par Andy Warhol au même titre que Marilyn Monroe. « Peu d’artistes rivalisent avec Beethoven », explique Marie-Pauline Martin, l’un des deux commissaires de l’exposition, avec Colin Lemoine : « dans le classique, Mozart est l'enfant prodige, Wagner offre la dimension mythologique, Bach l'aspect divin. Beethoven conjugue tous ces aspects et leur associe l'humanité et la tragédie. Il réunit toutes les facettes de notre conscience moderne. L’équivalent, il faut le trouver dans les grandes icones du cinéma ou du rock ».
La commissaire de l'exposition Marie-Pauline Martin devant l'oeuvre d'Andy Warhol.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)

Voici pour l’image la plus caricaturale. Fait moins connu, Beethoven (déjà célèbre de son vivant) devient un mythe dès sa mort en 1827, qui est vécue à Vienne comme un événement historique. Les premières salles de l’exposition à la Philharmonie le rappellent, ses funérailles réunissent des milliers de personnes, on exhibe son masque mortuaire (dont on a ici divers aperçus), événement suffisamment rare pour lui conférer une sorte d’immortalité. Dès 1845, le premier monument à son effigie est érigé sur une place de Bonn, sa ville natale - on en compte 74 aujourd’hui disséminés dans le monde.

Beethoven en enfant Jésus

Dans la salle intitulée « Le musicien comme prophète », quelques tableaux (de véritables pépites) mettent même en avant la dimension spirituelle, voire christique de Beethoven, représenté par exemple en enfant Jésus dans « La naissance de Beethoven » de Friedrich Geselschap ! Etonnant pour l’artiste intellectuel, engagé du côté des Lumières…
Dans "La naissance de Beethoven" de Friedrich Geselschap, le musicien est représenté en enfant Jésus.
 (LCA/Culturebox)
Explication de Marie-Pauline Martin : « à l'heure laïque de notre société, on a du mal à faire l'équation, qui répond en réalité à une question simple : comment figurer le génie dans un tableau ? C'est irreprésentable ! L'iconographie religieuse (la nativité, mais aussi l'annonciation, la révélation, le retable) prête l'éloquence de ses symboles pour dire cet être d'exception, sa grandeur d'âme au-delà du commun des mortels ».
Un véritable cabinet de curiosités a été constitué dans la salle consacrée aux fétiches et reliques.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)

Juste un emprunt de l’imaginaire religieux, donc. Si ces artistes sont loin de l'intention de faire de Beethoven un saint, d’autres éléments, dans l'exposition, se rapprochent d'une certaine "divination" du musicien. Dans la salle dite des "Fétiches et reliques", les commissaires ont imaginé non sans humour une sorte de cabinet de curiosités qui montre la fétichisation du personnage. Ses objets du quotidien deviennent des reliques : une cuiller, son bâton de marche et, surtout, un de ses cornets acoustiques. Ah, la surdité de Beethoven ! Apparue alors que l'artiste n'avait pas trente ans, on sait combien la maladie l'inquiétait et le bouleversait. Mais la postérité de Beethoven a hissé ce handicap au rang de mythe. "C'est vrai qu'on a surenchéri sur la surdité et elle a été réinvestie d'une promesse, celle de l'accession à un rang génial", explique Marie-Pauline Martin. "Il suffit de citer Victor Hugo : "ce sourd entendait l'infini". C'est-à-dire que la surdité cesse d'être une pathologie, elle devient presque le stigmate du génie, un bénéfice".
Dans la salle 5, "Têtes tragiques, mondes intérieurs".
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)
Une salle de l'exposition est consacrée au mythe de l'artiste tragique dont la douleur grandit l'inspiration et le génie : l'adjectif "beethovénien" s'applique alors parfaitement à ces quelques "têtes tragiques", dont la plupart sont signés d'Antoine Bourdelle (1861-1929).

Art contemporain, vidéo et cinéma

Le mythe Beethoven est également ancré dans le contemporain. "L'une des portes d'entrée de l’exposition ont été l’art contemporain, le cinéma ou la vidéo, parce qu'ils font appel à une culture collective, populaire commune", explique la commissaire Marie-Pauline Martin. "On sait aussi que ces formes d'art ou ces médias favorisent davantage la rencontre avec un public qui ne fréquente pas tous les jours la Philharmonie. Il ne s’agissait absolument pas de forcer le discours, il s'avère simplement que la matière contemporaine cinématographique ou vidéo autour de Beethoven est colossale. Il n’y a eu qu’à faire un tri d’excellence". Tout au long du parcours, les oeuvres contemporaines jalonnent les thématiques. "Quant à Beethoven et le cinéma, c’est énorme !", poursuit Marie-Pauline Martin : "jamais Beethoven n’est utilisé comme musique de fond, il est une narration à part entière et le plus souvent utilisé dans des moments décisifs des films ». Les commissaires n’ont eu que l’embarras du choix : parmi les douze extraits de films choisis (de « Vers la joie » d’Ingmar Bergman au « Policier » de l’israélien Nadav Lapid), ce passage marquant du film « Misery » de Rob Reiner, dans lequel le personnage incarné par Kathy Bates s’adonne à un acte de torture d’une violence inouïe sur une mélodie douce et naïve de « La sonate au clair de lune » de Beethoven.

La politique prend, enfin, une part déterminante dans cette exposition. « Ca a été pour moi la grande découverte : l'actualité populaire, sociale, idéologique et politique de Beethoven », raconte Marie-Pauline Martin. « Sa musique a sans cesse été utilisée à des fins politiques et continue de l’être. Prenons cet exemple récent en Allemagne. Le 23 novembre 2015, une manifestation du jeune parti populiste AFD ("Alternative pour l'Allemagne") contre les réfugiés, sur la Place de l'opéra de Mayence a suscité une réponse pour le moins étonnante du Chœur de Mayence installé là : les chanteurs et l’orchestre ont ouvert grand les fenêtres et chanté à tue-tête pout couvrir les voix de l'AFD, "l'Hymne à la joie" de Beethoven, dont les paroles disent : tous les hommes deviennent frères. C’est formidable ! Evidemment il y a une part un peu idéaliste, la musique peut-elle changer vraiment le cœur des hommes ? », s’interroge Marie-Pauline Martin sans grande illusion.

"Avec sa mélodie" d'une simplicité infinie" comme disait Wagner, la Neuvième porte un message lui aussi simple - la fraternité - transposable à l'infini. Socialiste, communiste, fasciste, ségrégationniste ? Et puis : si la musique de Beethoven peut dire toutes les idéologies, finalement dit-elle vraiment quelque chose ? Le positionnement est double en permanence ». L’exposition le montre bien : la Neuvième de Beethoven a servi autant un meeting de Jean-Marie Le Pen en 1995 que la marche de François Mitterrand au Panthéon en 1981. Hitler a fêté son anniversaire en 1942 au son de cette même symphonie, tandis qu’un réseau de la Résistance se servait des trois brèves et une longue note de l’incipit de la Cinquième pour indiquer le V de victoire dans des messages en morse.

Que reste-t-il de Beethoven ?

L'exposition "Ludwig Van" explore le mythe. En même temps, dès la première salle, il pose aussi la question de ses excès. Qu'a-t-on fait de Beethoven, que reste-t-il du musicien ?
Marie-Pauline Martin devant "Le cornet de Beethoven (avec oreille) opus 131" de John Baldessari.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)
"Il faut pointer les dangers de la dérive", explique Marie-Pauline Martin : "qui dit diffusion du mythe, dit dilution, dispersion, voire agonie. Tout cela existe. Mais cela n'empêche pas que d'un côté il y ait transmission de la musique - pour preuve la diffusion mondiale de l'oeuvre de Beethoven - et de l'autre que le mythe continue de nourrir la création, notamment en matière d'art contemporain. Aujourd’hui Beethoven est une matière atomisée certes, mais qui fournit le matériau de nouvelles créations : ainsi l'oeuvre "Le cornet de Beethoven (avec oreille) opus 131" de John Baldessari, le travail de Terry Adkins (la vidéo "Synapse") ou le "Beethoven" de Nam June Paik : c’est une matière vivifiante. Le mythe Beethoven irrigue toujours le présent. Il n’est pas mort".

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