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Nora Gubisch et Alain Altinoglu invitent au voyage avec" Folk Songs"

Du Festival de Salzbourg au Metropolitan Opera de New York, Nora Gubisch la mezzo et Alain Altinoglu, le chef d'orchestre poursuivent, chacun de son côté, des carrières internationales prestigieuses. Mais l'ancien duo piano-chant des débuts, qui est un couple à la ville, aime retrouver cette intimité artistique, à l'occasion de l'enregistrement d'un disque, "Folk Songs", chez Naïve. Rencontre.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
  (LCA/Culturebox)
Culturebox : Vous signez votre 3e disque ensemble. Que représentent ces moments "d'intimité professionnelle" entre vous, au milieu de vos carrières individuelles ? 
Nora Gubisch : Le récital, Alain au piano et moi au chant, ça a toujours été important dans notre vie. Est venue ensuite l'occasion de faire un disque, c'était "Les mélodies" de Duparc et depuis, on se réserve des plages entre les concerts de l'un ou de l'autre pour enregistrer. On a beaucoup d'envies, mais peu de temps pour le faire…
Alain Altinoglu : On est arrivé à un rythme de croisière d'un disque tous les deux ans, c'est une manière de faire une photo dans la vie de chacun et du couple à la fois.
Comment travaillez-vous ensemble? A vos débuts, vous affirmiez avoir une "respiration commune"…
A.A. : Oui, c'était pour expliquer que notre facilité à penser ensemble n'est pas de l'acquis, mais de l'inné…
N.G. (l'interrompant) : Ça a toujours été comme ça, c'est un fait….
A.A. : Comme certains ressentent les mêmes émotions au même moment, nous lisons une partition avec la même tonalité, la même résonance, parce que le ressenti de la musique est commun…
N.G. : …on n'a jamais besoin de se dire : attends, là tu vas jouer piano, donc laisse moi respirer, jamais !
A.A. : …ce qui n'empêche pas de retravailler telle ou telle phrase évidemment.
NG : D'autant que l'enregistrement du disque "Folk Songs", sur une semaine, est comme un marathon : on doit aller au bout, chaque jour, chaque moment, tout donner. Tout dans l'extrême piano, tout dans l'extrême puissance, s'il le faut.

Vous travaillez aussi avec d'autres musiciens, comment faites-vous ?
N.G. : Oui, mais nous nous associons à des gens qui sont un peu comme nous. Le directeur artistique du disque par exemple. Ou alors l'altiste Gérard Caussé, qui partage notre état d'esprit. Les Brahms que nous avons réalisés ensemble, n'étaient pas du "travail", c'était l'évidence même, tous les jours. Mais tous les musiciens avec lesquels nous avons enregistré ou tourné n'ont pas cette facilité naturelle. Alain a le rôle de les fédérer, de créer du liant. Parfois, dans l'enregistrement, je lui faisais des signes pour lui indiquer qu'avec tel ou tel instrumentiste, ce n'était pas "organique", le tempo n'était pas le même. Et lui rectifie ça très vite. Son but est de faire que tous les instrumentistes soient dans notre "respiration". 
  (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)
Comment est né le projet d'enregistrer les "Folk Songs", à partir de l'œuvre de Luciano Berio, ensemble de 11 chansons issues des traditions populaires d'Amérique, d'Italie, d'Azerbaïjan, d'Arménie, d'Auvergne ?
A.A. : Notre maison de disque, Naïve, nous a suggéré d'aller chercher les musiques de nos origines, espagnole notamment pour Nora, arménienne pour moi. S'imposait l'évidence des "Folk Songs" de Luciano Berio, que nous avions interprétées en tournée il y a deux ans avec l'Ensemble  Intercontemporain. Le programme s'est construit autour de ces morceaux auxquels se sont greffées les pièces de Manuel de Falla, de Enrique Granados et de Fernando J. Obradors et de Brahms qui font partie de nos récitals depuis vingt ans.

Pourquoi la musique populaire vous attirait-elle ?
A. A. : Ce qu'a fait Berio, à partir des chansons populaires, est une œuvre savante. C'est ce qui est intéressant. Nous n'avions nullement envie de faire du "cross-over".
N.G. : Mais c'est vrai aussi que la musique "folk", nous avons été élevés là-dedans ! Alain a toujours entendu la musique arménienne étant petit, et pour ma part, mon grand-père jouait de la guitare et le flamenco était omniprésent, j'avais une grand-tante professeur de danse espagnole… Mais les musiques de Transylvanie ou la musique arabe me font également de l'effet et le "duduc" arménien m'a toujours ému à en pleurer !
A.A. : Faire appel à des compositeurs du niveau de Falla, de Berio et ne parlons pas de Brahms, c'est aussi mettre la musique populaire à un très haut niveau, comme le firent Bartok ou Kodaly avec les traditions de musique populaire recueillies dans les campagnes hongroises.

Nora Gubisch, pour la chanteuse lyrique que vous êtes, ce disque a-t-il une sonorité particulière ?
N.G. : C'est ma voix ! Mais c'est une couleur particulière, c'est vrai, qui tient à ces chants populaires, qui n'est pas la même qu'avec Falla, Granados ou l'une des œuvres de Brahms, où ma voix reste très lyrique.
 
Comment avez-vous travaillé pour la compréhension et la prononciation des "Folk Songs" de Berio, dont les textes sont en de nombreuses langues, comme l'azéri, le sarde ou l'auvergnat ?
N.G. : J'ai fait des recherches, je suis allée à la rencontre des gens du "cru" ! J'ai commencé par créer un statut facebook pour l'azéri, par exemple, qui m'a permis de rencontrer la personne idoine qui m'a coachée. Elle a même corrigé une ou deux syllabes mal retranscrites à l'époque de Luciano Berio, en 1968. Par ailleurs, en écoutant plusieurs versions de "Azerbaijan love song", je me suis imprégnée de la tradition populaire, festive, pour la restituer en un 2e temps dans la version "savante" qu'en donne Berio. J'ai opéré de la même manière là où c'était nécessaire : pour l'auvergnat (où le spécialiste qui m'a aiguillé l'avait déjà faire avec Luciano Berio en personne), le sarde, le sicilien, des dialectes qui sont loin de l'italien lyrique appris à l'école !

L'arménien a également dû faire l'objet d'un travail important…
A.A. : J'ai un attachement particulier à la musique d'Arménie et à l'arménien qui est ma langue maternelle.
N.G. : Pour moi aussi, c'était très riche émotionnellement et en même temps contraignant, car je m'entraînais avec un beau-père très exigeant !
A.A. : Ce qui m'intéressait, c'était suivre le même chemin que Berio, retrouver un côté traditionnel dans les rythmes, dans la pureté. Et en même temps, l'orchestration, extrêmement bien faite, de Berio, n'est pas juste une harmonisation, comme ce que faisait Beethoven quand il faisait les chants écossais ; c'est une vraie orchestration avec les effets appropriés signés Berio.

Quel a été votre rôle ?
A. A. : Je suis à la baguette pour les œuvres de Berio et au piano pour le reste. Un rôle de chef d'orchestre différent comparé aux concerts : la configuration est celle de musique de chambre et l'enregistrement du disque impose souvent plusieurs prises, ce qui fait prendre à l'exercice la forme d'une discussion musicale…

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