Orchestres en fête : Ibrahim Maalouf, parrain de l'édition 2013
Créé en 2008, ce festival vise à rapprocher l'orchestre du grand public, quitte à aller à sa rencontre en le sortant du cadre solennel de la salle de concert. D'où l'organisation d'événements ludiques : flashmobs, quizz, répétitions publiques, participations d'amateurs à des concerts de "pros", ateliers en entreprise, rencontres avec des écoliers, "concerts au chocolat" (à Château-Gontier), ou dans les gares... La SNCF est associée à Orchestres en fête. Le public pourra ainsi écouter de grandes phalanges - Orchestres nationaux de Lorraine, de Lyon ou d'Île-de-France, ou philharmonique de Strasbourg... - à la gare parisienne Saint-Lazare, ou à celles de Toulon, Rouen, Besançon... Chaque année, la manifestation attire près de 100.000 personnes.
Pour 2013, Orchestres en fête a invité un parrain issu du classique et lauréat l'été dernier de la Victoire du Jazz de l'artiste de l'année : Ibrahim Maalouf, 33 ans. Il vient de sortir un cinquième album, "Illusions" (chez Mis'Ter Productions). Le musicien, à l'aise dans tous les univers musicaux, n'a jamais délaissé la musique dans laquelle il a baigné depuis l'enfance, tout en l'ouvrant à des interprètes venus d'autres univers. En 2011, il a écrit une adaptation d'"Alice au pays des merveilles" pour orchestre à cordes, choristes et ensemble électrique en s'associant au rappeur Oxmo Puccino pour les textes, pour le Festival d'Île-de-France. En 2012, il a créé une oeuvre pour trompette à quarts de tons pour le Festival de Saint-Denis et Radio France. En 2014, il signera une symphonie pour l'Orchestre de Bretagne et une formation électrique.
Ibrahim Maalouf, un parrain engagé
Le trompettiste franco-libanais s'inquiète de la désaffection des jeunes pour les instruments d'orchestre et nous donne son point de vue sans complaisance sur l'image, perfectible, de la musique classique...
- Culturebox : vous êtes l'un des artistes les plus populaires de la scène jazz, mais vous venez de la musique classique. Racontez-nous votre parcours.
- Qu’avez-vous ressenti quand vous avez été invité à parrainer Orchestres en fête ?
- Depuis des années, régulièrement, j’emmène mes élèves dans des classes afin de leur faire connaître ce que c’est que la trompette, et pour leur parler du métier de musicien d’orchestre.
- Pouvez-vous nous en dire plus sur votre expérience d’enseignant ?
- J’ai enseigné la trompette classique pendant longtemps au conservatoire municipal de Viry-Châtillon, en Essonne. Ensuite, j’ai enseigné quasiment huit ans au CRR d’Aubervilliers-La Courneuve, dans le cadre des études supérieures, puis lorsque les pôles supérieurs ont été créés. J’ai quitté ce poste l’année dernière pour me consacrer à l’enseignement de l’improvisation aux étudiants de pôle supérieur de Paris-Boulogne : les CRR de Paris, rue de Madrid, et de Boulogne, sont associés dans ce cadre. Dans cette classe d’improvisation, je reste dans le cadre de l’enseignement classique, car l’improvisation existe aussi dans ce domaine, pas seulement dans le jazz.
- Allez-vous participer à certaines manifestations d'Orchestres en fête ?
- Pour être honnête avec vous, on m’a proposé de participer à certaines choses, mais mon planning ne me permettait pas de m’y rendre. Je me suis rendu disponible pour parler autant que possible de l’événement. J’aurais pu être présent à un concert à Pleyel, mais malheureusement, l’orchestre avait une programmation qui semblait difficile à assouplir.
- Avez-vous le temps de voir des concerts de musique classique ? Vous suivez peut-être quelques trompettistes...
- Il y en a tellement ! Ce qui m’a beaucoup plu, c’était les basses continues de Bach, où je sentais que ça groovait, en fait ! Je m’amusais à faire du beatbox dessus. J’ai beaucoup écouté Prokofiev, Rachmaninov, Grieg, Liszt… J’ai longtemps écouté les compositeurs romantiques ainsi que les modernes qui écrivaient avec cette touche romantique. Puis j’ai découvert l’importance de la trompette dans le cadre de l’orchestre, et là, il y a eu Mahler, Bruckner, les symphonies bien mastoc, pompeuses ! Puis, je me suis intéressé aux concertos. Enfin, j’ai écouté beaucoup d’opéras, notamment italiens.
- Y a-t-il des rencontres dans le monde classique qui vous aient marqué ? Je crois que vous avez très bien connu le trompettiste Maurice André.
- C’est lui qui m’a vu grandir. Mon père, lui-même trompettiste, a fait ses études avec Maurice André dans les années 60 et au début des années 70. J’ai grandi avec le son de Maurice André à la maison, avec mon père qui s'inspirait de sa façon de jouer. J’ai étudié avec des professeurs qui avaient été ses élèves. C’est un peu une idole d’enfance. Plus récemment, je me souviens d'une belle rencontre avec la soprano Sylvia Schwartz, avec qui j’avais travaillé sur un opéra rock avec Sting, Elvis Costello, d’autres artistes et un orchestre ("Welcome to the Voice", monté au Châtelet en novembre 2008, ndlr). Je pourrais aussi citer Daniel Hope, un super violoniste avec qui j'ai eu l'occasion de jouer.
- J’ai mon sentiment, même s’il n’est évidemment pas à prendre à la lettre. Vous savez, au Liban, la musique classique ne passe à la radio que quand quelqu’un d’important est mort. Je trouve ça triste mais ça reflète un peu l’image de la musique classique globalement, malgré tout. Une image de vieille carte postale sur laquelle il y a un peu de poussière… Je n’ai bien sûr pas de leçon à donner, mais mon sentiment, c’est que l’évolution de la musique classique à travers le temps est restée très scientifique. C’est peut-être ce qui lui joue des tours aujourd’hui.
- Et si on compare la situation du classique avec le jazz ?
- Le jazz arrive peut-être à se moderniser, et encore, pas beaucoup. Même si beaucoup de jazzmen l’appellent aujourd’hui "musique classique américaine", c’est une musique qui est sortie de la rue, des cafés de Harlem entre autres, mais qui a su en partie "se scientifiser". Elle a appris à être étudiée et travaillée de manière à ce que l’histoire la protège. Parallèlement à ça, elle a su continuer de se fondre dans les musiques d’aujourd’hui. Dans le hip-hop, la soul, dans les musiques qu’on écoute en dansant, il y a beaucoup d’influences du jazz.
- Et ce n'est pas le cas du classique, selon vous...
- J’ai l’impression que par souci de perfection et par rigueur, la musique classique n’a pas vraiment voulu ou su se mélanger. Et pourtant, il y a eu des tentatives. Quand j’écoute des suites de Marin Marais, déjà à l’époque de la Renaissance, je constate que la musique populaire était extrêmement investie dans l’écriture de la musique classique. Je crois que ça n’a pas su ou pu se poursuivre. Même s’il y a forcément une influence aujourd'hui : le hip-hop, l’électro empruntent des choses au classique. C’est comme si les musiques populaires faisaient un appel du pied à la musique classique, alors que celle-ci n’est pas encore décidée à changer...
- En plus du parrainage d'Orchestres en fête, votre nouvel album "Illusions" vient de sortir après deux années fastes. Et vous vous êtes mis à écrire pour le cinéma. Comment vous sentez-vous ?
- Je touche du bois ! J’espère que les critiques et le public vont aimer la musique du nouveau disque. Je suis ravi d’avoir la chance de pouvoir encore sortir un album aujourd’hui. Concernant le cinéma, j’ai terminé la musique du prochain Kim Chapiron il y a quelques semaines. Et là, je suis en train de finir celle du prochain film de Jalil Lespert, son biopic sur Yves Saint Laurent. Je travaille également sur la musique d’un film iranien. Ecrire pour le cinéma, c'est un vieux rêve pour moi.
(Propos recueillis par A.Y.)
> Tout le programme d'Orchestres en fête, région par région, est disponible sur le site du festival.
> Ibrahim Maalouf se produira à L'Olympia le 24 mars 2014.
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