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Pierre Boulez, l'immense compositeur et chef d'orchestre, est mort

Pierre Boulez est mort le 6 janvier à Baden Baden, en Allemagne, où il vivait reclus depuis plusieurs années. Le 26 mars, le monde de la musique fêtait ses 90 ans et célébrait le musicien et son oeuvre. On parle du compositeur, du chef d'orchestre, mais aussi de l'homme de pouvoir, du bâtisseur, de l'intellectuel intransigeant… Qu'en est-il ? Quatre mots pour comprendre qui a été Pierre Boulez.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
 Pierre Boulez (2008)
 (François Guillot/AFP)

Pierre Boulez qui fêtait il y a quelques mois ses 90 ans, est mort le 5 janvier au soir à Baden-Baden, en Allemagne, où il habitait, a annoncé sa famille dans une communiqué le 6 janvier. "Pour tous ceux qui l'ont côtoyé et qui ont pu apprécier son énergie créatrice, son exigence artistique, sa disponibilité et sa générosité, sa présence restera vive et intense", indique la famille dans le communiqué diffusé par la Philharmonie de Paris, dont il était l'initiateur.

Immense musicien, compositeur et chef d'orchestre, il restera une figure majeure de la musique en France. Qui était-il ? Voici quatre mots-clés pour y voir plus clair.

1. DOUBLE CASQUETTE : un compositeur chef d'orchestre (et vice-versa)

A partir de l'après-guerre, peu de compositeurs auront fait briller la musique française dans le monde comme Pierre Boulez. Son nom est donc associé avant tout à une œuvre de musique contemporaine et à des recherches sur l'invention sonore. Mais la particularité du chef de file des mouvements sériel et post-sériel en France est d'avoir été aussi, parallèlement, un grand chef d'orchestre, interprète de sa propre musique et du grand répertoire, de Wagner et Debussy à Stockhausen et Berg, salué de par le monde. Cette double casquette, si elle n'est pas exclusive évidemment de Boulez, marque l'homme dans ses deux activités.
Pour le compositeur, par exemple, Pierre Boulez lui-même raconte en 2011 dans une interview au Monde, qu'être également chef a été "difficile mais fructueux" : "difficile, car il y a toujours cette morsure qui vous dit : attention, il ne faut pas perdre de temps. Fructueux, parce que le fait d'être interprète a fait de moi un compositeur taraudé par la modification. Je sais ce qui est inutile ou ne marche pas".
Et à l'inverse, l'identité de compositeur modifie le geste de l'interprète. Boulez s'illustre par une lecture analytique, rigoureuse à l'extrême, de la partition qui lui vient de son travail d'auteur. Par exemple, il n'hésite pas à aller à la source d'une œuvre pour vérifier la pertinence de sa lecture et même à modifier une note quand la découverte du manuscrit d'origine le justifie.

2. BATISSEUR : des institutions à son image

Le grand talent de Pierre Boulez reconnu par la plupart des musiciens est d'avoir réussi non seulement à fusionner le compositeur avec le chef d'orchestre, mais aussi à créer son univers instrumental et les lieux et les modalités du concert. Il parvient ainsi à contrôler l'ensemble des étapes de la création musicale. L'Ircam, l'Institut de recherche et de coordination acoustique/musique, est le laboratoire de recherches pour l'invention des sons nécessaires aux nouvelles musiques. Son astuce : avoir obtenu une autonomie totale de la structure autant du ministère de la Culture que de ce qui deviendra le Centre Pompidou dont il est, au départ, une émanation. Pendant orchestral du travail effectué par l'Ircam, "L'Ensemble intercontemporain" que Boulez fonde en 1976, est la formation instrumentale de solistes qui consacre uniquement à la musique du XXe siècle et contemporaine. Ajoutons à cela le projet qui a pris aujourd'hui la forme de la Philharmonie, présidée par Laurent Bayle, le dauphin de Pierre Boulez. On comprend qu'avec un tel dispositif, l'homme ait été critiqué pour avoir concentré les pouvoirs de l'institution musicale. 
  (Harald Hoffmann / Deutsche Grammophon)
Frank Madlener, qui dirige aujourd'hui l'Ircam, veut corriger cette image : "Lully a été un homme de pouvoir, car proche du pouvoir. Mais Boulez ? C'est vrai qu'avec le président Pompidou il y a eu une étincelle où la volonté d'un artiste (de créer le laboratoire de recherche musicale) a rencontré la volonté politique. Mais avant cela, il était plutôt dans la dissidence. Et puis, ces institutions ont échappé à leur créateur, contrairement, par exemple, à Bayreuth qui n'a servi qu'à Wagner. Boulez a créé des institutions qui ne sont pas inféodées à une volonté et qui ont un rayonnement réel", ajoute Frank Madlener : "Ce qui est frappant, concernant ces structures, (à laquelle on peut ajouter l'Académie de Lucerne), c'est que l'opérateur central est le temps. Boulez a réussi, en 20 ou 30 ans, à "maîtriser le temps", c'est-à-dire à obtenir la seule chose qui vaille d'une institution : sa pérennité".

3. DIALOGUE DES ARTS : la musique jamais seule

Pour comprendre Pierre Boulez souvent perçu comme un homme de rupture, qui aurait fait table rase du passé, il faut plutôt l'inscrire dans une continuité. C'est une autre des thèses de Frank Madlener, qui porte au quotidien l'un des projets de Boulez. Or, explique-t-il, cette continuité est à la fois historique et dans le contemporain : "Boulez ne cesse de dire qu'il est contemporain : d'un peintre, d'un poète, de l'architecture, c'est ce monde contemporain qui l'intéresse, dans sa dimension pluri-disciplnaire. Et c'est dans ce même état d'esprit que s'inscrit l'Ircam", dit-il.

L'image de l'intellectuel intransigeant vient en partie de là. "J'ai connu Nicolas de Staël qui était un passionné de musique", raconte Pierre Boulez au Monde en 2011, "les écrits de Paul Klee ont nourri ma pensée musicale. Idem pour la poésie de Mallarmé, Char ou Michaux que j'ai mis en musique. J'ai souvent trouvé ailleurs que dans la musique ce que je cherchais pour mes propres compositions". Ce thème est d'ailleurs le fil conducteur choisi pour l'exposition que la Philharmonie de Paris a consacré à Pierre Boulez en 2015, en montrant nombre d'œuvres, de Mirò à Bacon en passant par Klee.

4. TRANSMISSION : un musicien attentif aux jeunes

Boulez s'est fait une priorité de former de jeunes musiciens et de transmettre sa passion et sa rigueur à des générations de musiciens. Par l'intermédiaire des institutions crées, comme l'Ircam ou l'Ensemble intercontemporain, par ses enseignements notamment au Collège de France, et par l'Académie du Festival de Lucerne, qu'il a créée en 2004 pour permettre aux jeunes musiciens d'aborder la musique moderne.
Et la jeunesse le lui rend bien : les virtuoses, compositeurs, chefs ou instrumentistes, pour qui Boulez - le compositeur autant que le l'interprète - est une sorte de boussole, ne manquent pas. Le pianiste David Frey venait à peine d'être désigné "Révélation classique de l'ADAMI" à 23 ans en 2004 qu'il enregistrait pour son premier CD un répertoire mélangeant Bach et Boulez ("Notations" et "Incises").

Bertrand Chamayou, lui, a été bouleversé dès sa jeunesse par la musique "cosmique" des "enfants de Messiaen", Boulez en tête : "J'étais fasciné par sa musique, mais incapable de l'interpréter". Puis vint, quinze ou vingt ans plus tard, le jour de la rencontre : "Il était venu, un jour par hasard, m’écouter à un concert", nous raconte le pianiste aujourd'hui célèbre : "il m’a proposé de jouer, sous sa direction, le 2ème concerto de Bartok. La perspective de ce moment m’a angoissé longtemps avant, tellement la charge émotive était forte. J'ai craint en perdre mes moyens…" Eric Dahan de Libération, qui était là en 2011 au moment de la rencontre avant la répétition, écrit : "Boulez : "vous avez les mains extensibles, c'est important, Barenboim ne peut pas jouer le n°2…" Après le travail, Chamayou est conquis : « Boulez m’a donné le sentiment d’une vraie collaboration, tout le contraire d’un chef autoritaire ou condescendant ». Depuis, les deux ont eu d'autres occasions mémorables. "Boulez a véritablement compté dans ma relation à la musique", conclut le cadet.

Nous conseillons vivement le livre-catalogue de l'exposition à la Philharmonie, "Pierre Boulez", publié par Actes-Sud, avec d'excellentes contributions notamment de Sarah Barbedette et d'Eric de Visscher.

 

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