Cet article date de plus de neuf ans.

"Folle 3e journée", de Francesco Tristano à Richard Galliano, passions d’artistes

Je ne vous raconterai aujourd’hui ni les enfants ni la ville de Nantes ni les coins de ciel bleu revenus. Mais de la pure musique, du marathon bien musical. En six artistes.
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Richard Galliano Sextet joue Bach à Nantes
 (Photopqr/Ouest France)
Tristano et la techno

Le premier, Francesco Tristano. Veste noire, boucles brunes, chemise blanche, foulard noir négligemment noué, il nous salue, les mains en position bouddhiste. Citoyen du monde. Né à Luxembourg, racines italiennes, études à New-York, à Bruxelles, à Paris, à Riga. Prix du concours de piano contemporain d’Orléans. Il s’appelait au début Francesco Tristano Schlimé.

Si la jeune génération de musiciens a évidemment des goûts musicaux éclectiques (rock, jazz, etc), lui les applique. Joue avec le DJ Carl Cox, fait des interventions dans des soirées techno. Mais par ailleurs est un fondu de Bach ou d’auteurs encore plus anciens. Son programme du jour (il est onze heures du matin) : une « Wasserklavier » de Luciano Berio liquide, concise, poétique, étonnante. Une œuvre de lui, « Nach Wasser noch Erde » qui relève de la musique répétitive : à la main droite une cellule mélodique variant parfois d’un demi-ton, à la main gauche l’improvisation, la broderie dans toutes les parties du clavier. Beau et intelligent. Un John Cage « In a landscape »,  paysage nu, dépouillé, réduit à quelques accords.

Au milieu une merveille, l’Adagio du 3e concerto de Bartok dans une version pour piano seul:  Tristano y dévoile ses dons, la poésie, la clarté de toucher, le sens des climats. Il remercie, s’en va, un léger sourire aux lèvres, assez prince de la Renaissance.
Francesco Tristano
 (EFE/Maxppp)
Les amours malheureuses de Janacek

Le quatuor Prazak s’est spécialisé cette année dans les histoires tragiques: « 2e quatuor » de Janacek, sous-titré: «Lettres intimes ». Les lettres musicales (les notes sont les lettres des musiciens, disait hier Claire-Marie Le Guay aux enfants) d’un septuagénaire fou d’amour pour une jeunette de trente ans, Kamila Stosslova, qui le dédaigne, évidemment. Un Janacek de fin de vie plus âpre, plus violent encore dans son écriture, et désespéré et plein de colère.
Le quatuor Prazak
 (JACKY SCHOENTGEN / MAXPPP )
La connexion tchèque de Janacek et des Prazak les rend plus convaincants qu’avec l’autre histoire qu’ils nous racontent : l’amour, impossible aussi, de l’Autrichien Alban Berg, quadragénaire, pour la jeune Hanna Fuchs, devenu cette « Suite lyrique » que j’ai toujours trouvée un peu longuette mais c’est son écriture dodécaphonique qui fait sans doute qu’elle me touche moins. Ni les Prazak apparemment.

Un Schumann amoureux fou de Clara

Enfin une histoire heureuse. Celle des « Etudes symphoniques » (en fait un thème et des variations) d’un Schumann amoureux fou lui aussi, de Clara. Bouquet de moments poétiques ou trépidants qui respirent le parfum forestier des chevauchées d’automne. Laloum en maîtrise les moindres changements d’humeur, il nous avait donné un disque Schumann magnifique il y a deux ans, on attend qu’il le renouvelle. Et toujours, chez lui, cette touchante modestie, ce doute qui, probablement, le fait aussi avancer à pas de géant.
Le pianiste français Adam Laloum
 (BORIS HORVAT / AFP)
Le « Trio » de Tchaïkowsky, composé en hommage à son ami défunt Nikolaï Rubinstein (un « Tombeau » aurait-on dit à l’époque baroque) La douleur du compositeur est si intense (et le résultat si poignant) qu’on a soupçonné entre eux un peu plus que de l’amitié. Le résultat: un des plus longs trios du répertoire, une invention mélodique incroyable, trois instruments qui pleurent ensemble ou à tour de rôle à leur manière et un jeune violoniste russe, Ivan Pochekin, qui trouve sa place entre Boris Berezovsky et Henri Demarquette dont la complicité n’a cessé de grandir depuis la mort de Brigitte Engerer, eux qui étaient ses partenaires préférés.

« On veut Kremer »

Bach. Par Gidon Kremer. Enfin pas tout de suite. Dans le 1er concerto pour violon c’est Andras Keller qui s’y colle. Keller est très bien mais on a envie de crier « On veut Kremer, on veut Kremer ». Le voilà enfin dans une œuvre du Géorgien Giya Kancheli. Musique répétitive. La musique répétitive, on a l’impression qu’elle ne démarre jamais. Puis une transcription d’un concerto pour clavier de Bach, et Kremer enfin en majesté au milieu des cordes de son orchestre en pizzicatos bien sages et puis tout à coup grondantes, détimbrées, la première violon partant en vrille. Très gonflé mais Bach aurait aimé. Il aurait aimé aussi l’autorité de Kremer et Keller dans le « Concerto pour deux violons » mais la partie principale n’est pas attribuée à Kremer. Ah! ces stars qui refusent de l’être!
Le directeur artistique et soliste Gidon Kremer
 (Vitaliy Belousov / RIA Novosti)
Un Richard Galliano concertiste classique !

Je ne suis pas spécialiste du jazz, je me réjouissais donc de découvrir Richard Galliano. Oui mais… je n’avais pas lu : Galliano et Bach. Galliano entre avec son excellent Sextet et se met à jouer, lunettes sur le nez, le même concerto pour violon (en plus je  préfère nettement sa version à l’accordéon à celle de Keller avec son vrai violon!), puis le «Concerto pour violon et hautbois » (l’accordéon fait le hautbois, Bertrand Cervera tenant le violon) et diverses pièces de Bach dont deux hyper-célèbres avec un accornica (un harmonica avec des touches d’accordéon !) Bref rien de jazz mais du Bach par des jazzmen de talent qui ont l’air tout content (et ils ont bien raison) de se frotter à une autre forme de musique. Bach a toujours été une idole chez les musiciens de jazz.
Richard Galliano interprète Bach à la Folle journée de Nantes 2015
 (Marc Ollivier / PHOTOPQR/OUEST FRANCE )
Plusieurs bis délicieux, tout de même, valse-musette, tango en hommage à son ami Nougaro (à qui Galliano ressemble de plus en plus), « La javanaise » de Gainsbourg que nous reprenons en chœur. Et « Oblivion » d’Astor Piazzola :là nous quittons enfin le grand monsieur à perruque en route pour l’église Saint-Thomas pour nous retrouver dans une rue mal éclairée de Buenos Aires, derrière nous dans l’ombre le claquement de talons hauts.

Après ces agapes musicales il est temps d’aller manger des huîtres.


Les concerts auxquels je n’aurai pas assisté ce vendredi : Anne Queffélec dans le 2e concerto de Chopin, Ophélie Gaillard dans les suites pour violoncelle de Bach, le programme d’ « Hommage à Glenn Gould » de Gidon Kremer et de sa Kremerata Baltica. Et la visite du Quatuor Modigliani dans une maison de retraite médicalisée de Nantes pour proposer aux pensionnaires un concert Haydn et Mozart. La «folle journée » c’est aussi cela.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.