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"La Flûte (ré)enchantée" : quand des collégiens formés par les Talens Lyriques réécrivent Mozart

Il y a quelques jours, le célèbre ensemble "Les Talens Lyriques" de Christophe Rousset présentait "La flûte enchantée" à l'Opéra de Dijon. Le 31 mars à Paris, c'est une "Flûte (ré)enchantée" que proposent cette fois des collégiens de Paris et de Dijon accompagnés et dirigés par l'ensemble professionnel. La transmission pleinement à l'oeuvre. Reportage lors d'une des répétitions au Collège Balzac.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Aurélie Branger, médiatrice culturelle des Talens Lyriques, dirige les jeunes musiciens.
 (Les Talens Lyriques)

Collège Balzac, 17e arrondissement, nord-ouest de la capitale. Les travaux en cours sur les maréchaux rendent l’accès plus difficile mais on ne peut pas le rater : l’établissement porte bien le titre de "Cité scolaire" tellement il en impose. Une cité dans la cité. C’est un après-midi du mois de mars. A l’heure où la plupart des élèves sont déjà rentrés chez eux, une vingtaine de jeunes de classe de 3e occupent une partie de l’immense salle polyvalente de l’école pour une …répétition de musique. C’est la classe instrumentale du programme "Les Talens au collège" organisé par Les Talens Lyriques, ensemble instrumental et vocal de premier plan en France, créé par le claveciniste et chef d’orchestre Christophe Rousset, il y a 25 ans.

Pionniers dans la résidence musicale en milieu scolaire

L’atmosphère est studieuse. Il y a quelques chanteurs au fond, mais le gros est constitué des instrumentistes. Ils sont devant, tous très concentrés, sous la direction d’Aurélie Branger, une médiatrice culturelle qui travaille pour l’ensemble. Assise parmi les élèves, la prof de musique du collège, Laetetia Anziani, offre un relais pédagogique complémentaire. Violon, alto, violoncelle, contrebasse… les cordes donc. Mais aussi les percussions, et puis les cuivres, le piano… les différents pupitres sont représentés. Un même groupe d’élèves-musiciens qui, depuis trois-quatre ans, à raison de deux heures par semaine, s’est mis à la musique en dehors de tout conservatoire, uniquement grâce aux Talens lyriques qui à la fois leur donnent les cours et leur prêtent l’instrument.
Les collégiens musiciens répètent la partition de la "Flûte réenchantée".
 (Les Talens Lyriques)
L’histoire commence il y a dix ans. L’ensemble Les Talens lyriques cherche une salle de répétition dans Paris et s’installe dans le 19e arrondissement, au Collège Varèse. Tout de suite l’idée prend forme : en échange du lieu, les élèves pourraient profiter de la présence de musiciens professionnels pour initier un projet d’apprentissage.
Christophe Rousset, créateur des Talens Lyriques dans la cour du Collège Balzac à Paris.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)
"Ce que j’ai expliqué alors au service culturel de la Ville de Paris, c’est que même en répétition, on était en train de créer de la musique à son plus haut niveau et que c’était dommage qu’elle soit perdue", raconte Christophe Rousset, fier aujourd’hui, d’avoir été pionnier. "Il fallait donc la rendre accessible, en particulier à ces jeunes gens qui n’ont sans doute pas la possibilité de pousser la porte d’une salle de concert". Depuis, le collège de référence a changé et l’ensemble organise ailleurs ses répétitions. Mais le projet pédagogique, lui, est resté, plus vivant que jamais.

"Montrer à tout le monde que la beauté est accessible"

Et l’esprit gagnant/gagnant subsiste en quelque sorte. Car la réussite de ce système est en soi une satisfaction. "Un musicien, s’il n’a pas son public, il ne sert à rien", affirme d’emblée Christophe Rousset. "On n’est pas là pour s’admirer avec son propre instrument : le fait que ce qu’on joue soit perçu est fondamental. Et quand ce sont des jeunes gens qui perçoivent ça, il y a pour nous une incroyable satisfaction. La dernière fois que des collégiens sont venus à une répétition, je les ai placés dans l’orchestre, un à côté du violoncelle, un à côté de la contrebasse… Et un à côté de mon clavecin. A celui-ci j’ai demandé de tourner la page quand il fallait. Il était totalement fasciné et m’a questionné après sur mon métier. C’est une expérience que peu de gens du public ont et qui restera gravée, j’en suis sûr, dans la mémoire de ces adolescents. Et moi, ça me comble".
Christophe Rousset avec Aurélie Branger s'adresse aux collégiens.
 (Les Talens Lyriques)
Christophe Rousset vit cette transmission comme une "évangélisation" nécessaire. "Ça me semble très important de venir vers ces jeunes gens, et de leur montrer que la beauté est accessible. Elle n’est pas une histoire d’entre soi comme souvent on le reproche aux musiciens classiques. Il y a une possibilité réelle de faire circuler cette beauté, de la rendre palpable et surtout de leur faire pratiquer ça ! Il existe une application sur tablette pour apprendre avec les Talens Lyriques. Elle est bien, elle est ludique, mais ici on va plus loin, on met les mains dans le cambouis. Avoir un violon ou un alto entre les mains, ça demande une discipline, il faut s’y coller !". Djadja, 14 ans, n’a pas un violon entre les mains, mais une contrebasse, dont elle prend le plus grand soin. "Je suis grande, j’ai choisi cet instrument parce qu’il me correspond", dit-elle, ajoutant par son regard que cette imposante chose à ses côtés fait désormais équipe avec elle. Trois ans qu’elle y consacre une vingtaine de minutes, plusieurs fois par semaine alors que personne naturellement ne l’y encouragerait. Fière d’avoir su passer le cap des premières années difficiles : "peu à peu ça vient", dit-elle. Et ça devient "cool", tout simplement, une manière de vivre et de se détendre.

Esprit d’équipe

Cet après-midi, le collège dans son ensemble vit au rythme des répétitions des Talens : ici, dans un couloir, le violoniste des Talens lyriques Christophe Robert donne un cours individuel. Là, un peu plus loin dans une classe, sa collègue la trompettiste Julia Boucaut fait travailler deux jeunes dans le cadre des répétitions par pupitre : "Mesure 50, qu’est-ce qui se passe ? Il faut se réveiller à l’unisson ! Avec l’orchestre, vous y arrivez !"

Le sourire collé aux lèvres, exigeante, mais très encourageante. "Les voir progresser comme ça, ça prouve que ça vaut vraiment le coup. J’ai vu une évolution humaine : ils travaillent ensemble, ils jouent ensemble". Car ces séances individuelles ou par petit groupe ne doivent pas faire oublier que la spécificité du programme tient beaucoup à sa dimension collective. "Apprendre à s’écouter, mais aussi à être sûr de soi pour être davantage à l’écoute des autres, ce sont des valeurs entretenues ici", explique Pauline Lambert, chargée des actions culturelles des Talens lyriques. "Ici, on dirait une équipe, un esprit d’entraide s’est installé parmi nous", lance spontanément Mélissa. "On écoute et on est synchronisé", ajoute sa voisine de pupitre. 
Retour dans la grande salle. Les répétitions "tutti" (regroupant les différents pupitres) commencent, sur une partition de Mozart arrangée pour eux. Car le programme musical des jeunes est toujours calqué sur celui des Talens lyriques.

Reportage à Dijon de F. Lapchine, D. Iberrakene, F. Nivot, C. Zappalà

Cette année, comme l’ensemble présente à l’Opéra de Dijon "La flûte enchantée", les élèves sont impliqués sur une "Flûte"… "réenchantée", écrite en partie par eux et mise en scène par Ismaël Gutierrez. Le projet scénique prendra forme avec une dizaine de collégiens acteurs et une trentaine de choristes du Collège Henri Dunant de Dijon, partenaire de l’opération. Musique, chant, jeu, mise en scène, décors… les élèves auront abordé de près ou de loin tous les aspects de la création du spectacle. Mais pour l’heure, les instrumentistes sont face à Aurélie Branger qui motive ses troupes en utilisant la technique du Sound painting, un langage gestuel de création musicale et scénique, immédiatement comprise par les jeunes. Puis vient le plat de résistance, la répétition, tous ensemble, des grands passages (réarrangés) de la "Flûte enchantée" : les trois accords de l’ouverture, l’air célèbre de la Reine de la Nuit, celui de Papageno, le duo Pamina-Pagaeno... et surtout le duo Papageno-Papagena, moment de joie collective, le fameux pa-pa-pa comme un bégaiement…

"La Flûte (ré)enchantée" au Collège Balzac le 31 mars 
"La Flûte enchantée" en version concert le 3 avril à 19h30 à La Philharmonie à Paris.

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