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Roselyne Bachelot mélomane : "Se faire dépuceler par Verdi !"

Un choc, brutal, reçu sur les gradins du festival de Vérone à 25 ans. Depuis, pour Roselyne Bachelot, le classique et surtout l’art lyrique sont un combustible. Passion dévorante, totale. Alors, pour une série sur les mélomanes, sa rencontre est un must. Une actualité en prime : l’ex-ministre sort un « Salut à la France » (Erato), anthologie de coups de cœur d’opéras.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Roselyne Bachelot dans le bureau de son appartement parisien, avril 2016.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)

Entre les étagères du bureau de l’appartement parisien de Roselyne Bachelot, seul un buste de Marianne trahit une ancienne vie de femme politique. Oubliez les piles de Journaux Officiels ou l’incontournable biographie de De Gaulle. Ne cherchez pas non plus des témoignages de sa reconversion. Aujourd’hui chroniqueuse télé, elle n’exhibe chez elle aucune affiche déjantée ni des photos avec des stars du rap. Non. Mais Wagner lui est là, et partout. En coffrets, et surtout en livres : des biographies, des études, des dictionnaires… Mozart aussi. Des dizaines de volumes chacun. Verdi aussi, Verdi surtout. Roselyne Bachelot, elle aussi, lui a consacré un livre, amoureux. Et Bach, et Ravel, et Berlioz. Dans ces rayonnages, l’opéra est omniprésent. Incontournable.  

Cinquante opéras par an

L’opéra, la musique classique sont pour Roselyne Bachelot une passion. Absolue, dévorante. Et encore, son empreinte est plus apparente dans sa maison d’Angers, nous précise-t-elle, l’air ravi qu’on s’intéresse à son violon d’Ingres. Là, le piano et le reste de sa grande collection de disques. Car si elle revendique un « amateurisme, dans les deux sens qu’on donne au mot amateur », on sait la discipline requise par un tel amour. « C’est un chemin initiatique, qui demande de la connaissance, des livres… Mais aussi des amis qui s’y connaissent et qui vous conseillent », ajoute-t-elle.
Roselyne Bachelot parmi ses livres.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)

Vie de mélomane, mode d’emploi : il y a par exemple les « tartuelas » entre aficionados, ces rencontres où l’on échange bons plans, découvertes, partitions. Puis les voyages, étapes à Salzbourg ou à Bayreuth, « j’y ai ma place à la première série de Parsifal cette année », dit-elle fièrement. « Aimer l’opéra c’est aussi soutenir les salles qui vous sont à cœur, ce n’est pas aller gratuitement au spectacle ! », ajoute-t-elle. Mécène des trois grandes salles parisiennes, Roselyne Bachelot tient aussi à évoquer une démarche citoyenne : par exemple, avec l’association qu’elle a fondée, « Musique aux séniors » pour diffuser l’art lyrique dans les maisons de retraite pour personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. « Ça me permet à la fois d’aider de jeunes chanteurs qu’on sélectionne pour ces courts concerts et de partager un moment magique, parce qu’on rallume la lumière dans les yeux de ces personnes ! ».

Etre mélomane est un engagement. Cinquante opéras par an, mais, précise-t-elle, « je ne consomme pas l’opéra, je le vis ». Elle s’arrange toujours pour arriver à l’opéra une demi-heure avant pour s’imprégner de l’atmosphère : « quand, dans Tannhäuser de Robert Carsen à Bastille, Nina Stemme lance au public Salut à toi, salle bénie, je me dis, oui la salle est bénie et j’ai la chance d’y être ! ». Rires, forts, de joie.

Le piano à trois ans et demi

La musique a toujours coulé dans les veines de cette fille née dans une famille bourgeoise. Des parents chirurgiens dentistes,  « mais », précise-t-elle, « tous deux d’origine très modeste : la culture musicale très approfondie qu’ils nous ont donnée était un outil de promotion sociale ». Résultat : le piano dès trois ans et demi, avec de très bons résulats et du chant choral jusqu’à plus soif : Messie, oratorios et autres passions vont apprivoiser sa voix. Certes, la jeune Roselyne sait qu’il n’est même pas envisageable d’en faire un jour son métier, pour sa mère, point de salut en dehors des professions de médecin, dentiste ou pharmacien. Mais elle est ravie, entourée de musique : « c’était la joie d’entrer dans un monde magique, de poésie, où je trouvais ma liberté. Car contrairement à la lecture, que je pratiquais beaucoup, mais où j’avais le sentiment que l’imaginaire de l’auteur l’emportait sur le mien, dans la musique c’était le contraire, mon imaginaire se développait. Et puis d’un autre côté il y avait la découverte de la performance, parce que bien jouer n’est pas facile, et ça me plaisait ». 

L’enfance musicale est heureuse, mais la famille ne sort pas. « On avait droit, chaque Noël à une opérette comme « Rêve de valse », mais jamais de concert, jamais d’opéra ». Le déclic vient à 25 ans, lorsqu’un ami très cher l’emmène à Vérone assister enfin à un spectacle d’art lyrique. Le choc : « ça a été une chance de découvrir l’opéra à travers ce festival très populaire, en Italie, où quand on entonne le « Va pensiero » (du « Nabucco » de Verdi), les gens allument leur briquet comme dans un concert de rock ! La mise en scène est hyper-classique, mais efficace ! ». L’expérience s’avère radicale, plus rien ne sera comme avant. « C’est un choc amoureux, qui dure depuis 40 ans. Et je m’émerveille à chaque fois de ressentir cette émotion, y compris avec des œuvres que j’ai vues de très nombreuses fois ! Aux « Adieux de Wotan » (La Walkyrie), je pleure, à la scène finale de « Werther », je pleure ! ». Au panthéon de ses souvenirs scéniques, Roselyne Bachelot veut mettre au même niveau une mise en scène que d’aucuns jugeront kitch du « Trouvère » par Franco Zeffirelli à Vérone, pour sa dimension populaire, et « Elektra », par Chéreau, au Festival d’Aix-en-Provence. Pas de snobisme.

Oui, la France musicale est métisse !

A son tour, Roselyne Bachelot s’emploie aujourd’hui à transmettre son amour pour l’opéra. « A un jeune de vingt ans qui ne connaît pas l’opéra, je dirais que c’est un art total, qu’il n’y a rien de plus raffiné et de plus abouti dans la culture occidentale, que l’émotion qu’il provoque n’est à nulle autre pareille. Que celui qui assiste à l’opéra met en jeu tous ses sens, son intelligence, son âme et son cœur. Et je l’emmènerais en chemin initiatique. Sans prendre de risque, je choisirais Verdi : le dépucelage opératique doit être proféré par le grand Giuseppe ! ». L’ancienne ministre rit encore, abondamment, car elle se sait convaincante.

L’anthologie qu’elle publie ces jours-ci chez Erato, « Salut à la France » (titre tiré de « La fille du régiment » de Donizetti), est une nouvelle corde à son arc de passeur de l’opéra, après son livre Verdi en 2013. Une sélection de coups de cœur dans le répertoire français des 19e et 20e siècles, alternant intelligemment quelques tubes et des airs quasi inconnus. Si tous les livrets sont en français, les auteurs sont parfois étrangers ou d’origine étrangère : des Italiens Rossini, Verdi, et Donizetti à Meyerbeer et Offenbach (d’origine allemande) ou Reynaldo Hahn (d’origine vénézuélienne). « Oui, la France est métisse, et c’est extraordinaire ! J’ai préféré faire un choix personnel pour sa muliplicité, plutôt qu’un choix politique en ne mettant que du français (du Massenet par exemple), à une époque où on se pose la question de l’identité natonale de manière faussée. J’ai voulu que ressorte cette dimension d’éponge qu’a été la France au 19e siècle, capitale de la culture ».

Eclater de rire dans les enterrements

Grands airs de l’opéra (de « Carmen » de Bizet à « Fisch-Tom-Kan » de Chabrier en passant par « Les nuits d’été » de Berlioz), duos d’amour ou d’amitié (de « Don Carlos » de Verdi à « Mireille » de Gounod), l’anthologie « Salut à la France » fait aussi une large part à l’humour et à la fête avec des pages méorables de Reynaldo Hahn (« Ciboulette »), d’Offenbach (« Pomme d’api ») ou de Ravel (« Chanson à boire »). « L’humour ? Il est capital de ne pas se prendre au sérieux, parce que la vie est multiple, et même dans les périodes les plus dramatiques il y a un moment où l’on va rire. Puisque l’opéra c‘est la vie, il y a toujours ce moment où on éclate de rire dans les enterrements ».   
  (Erato)

« Salut à la France » est une anthologie qui lui ressemble : « En quelque sorte, j’ai fait le pont entre mes presque quarante ans de vie politique et ma passion pour la musique, en refusant cette mise dans des cases qui est une caractéristique française. Parce que j’avais fait de la politique, parce que j’étais ministre, aller à l’opéra était une inconvenance ! Comment avais-je pu trouver le temps d’aller à l’opéra ? Avec l’opéra, je revendique, ce besoin, ce droit, de me ressourcer dans l’art, la culture, la création ».

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