Stéphanie d'Oustrac : une "Invitation au voyage" en puissance et poésie
Stéphanie d'Oustrac, mezzo-soprano. C'est une de ces belles rencontres qu'offre le monde lyrique. L'interviewer, c'est comme monter, brusquement, dans un train en marche et qui ne s'arrête jamais. Bavarde, certes, mais sans excès. Plutôt : enthousiaste et très généreuse, offrant à toute question une réponse nourrie, engagée. Son rire ponctue la rencontre, sonore et entraînant, mi gai, mi sévère, affirmation d'une personnalité forte mais ouverte.
Bretonne, mais formée au Conservatoire de Lyon, Stéphanie d'Oustrac s'est fait une place à l'opéra en s'insérant dans l'univers du baroque, protégée par la figure tutélaire de William Christie et de ses Arts Florissants. Des débuts prometteurs qui ont permis à la mezzo rennaise de s'ouvrir progressivement à d'autres répertoires : classique, romantique, opérette et opéra comique. Son rôle de Carmen à l'Opéra de Lille (mise en scène par Jean-François Sivadier) il y a cinq ans, dans une production qui a fait date, et "La Belle Hélène" d'Offenbach en 2012 (mise en scène par Shirley et Dino) illustrent cette évolution de registre. Plus récemment : "L'Etoile" d'Emmanuel Chabrier, à l'Opéra d'Amsterdam, que l'on peut voir encore en replay sur Culturebox.
Après de nombreux disques consacrés notamment au répertoire baroque ainsi qu'à Haydn, Stéphanie d'Oustrac sort ces temps-ci avec le pianiste Pascal Jourdan, "Invitation au voyage. Mélodies françaises", édité par le label d'Ambronay : un disque de poèmes mis en musique de compositeurs aussi différents que Henri Duparc, Jacques de La Presle, Claude Debussy, Lili Boulanger ou Reynaldo Hahn.
Le label d'Ambronay, lié au Festival du même nom, se consacre généralement aux enregistrements baroques. Comment est venu ce répertoire fin XIXe-début XXe ?
Je pense que c'est la première fois ! On m'a demandé ce que j'aimerais enregistrer. Et on m'a dit banco pour le disque des mélodies françaises. Et maintenant ils vont continuer, ils ont bien envie.
Les thèmes sont ceux du lied : la perte, l'absence, la mélancolie…
Oui, le lied avait été notre premier amour, dès 1994, avec le pianiste Pascal Jourdan. C'était alors Schumann, Liszt et Brahms. Je rêvais qu'on en refasse, mais en explorant cette fois notre propre répertoire d'origine, français donc.
Les compositeurs choisis sont nombreux et très différents, de Debussy à un certain Jacques de la Presle, qui est votre arrière-grand oncle…
Oui, il n'est pas connu et n'est même pas encore édité ! C'est à moi d'apporter ma pierre pour qu'il le soit désormais. Il le mérite, il a eu un prix de Rome en 1921, ce qui n'est pas rien. Poulenc est aussi mon arrière grand oncle, mais lui n'a pas besoin de moi... Chez Jacques de La Presle, il y a une grande simplicité, de la pudeur et en même temps de la profondeur, c'est ce qu'on retrouve plus tard, chez Poulenc. C'est très français, ça me touche beaucoup. Jacques de la Presle a composé des pièces ravissantes qu'on retrouve dans notre disque : certaines sont nourries, comme le "Nocturne", d'autres légères. "Dedette", par exemple, est un acrostiche où il fait des jeux de mots, mais la poésie du Général de la Tour qui y est associée est ravissante…
Quelle est la difficulté de ce répertoire ?
On a choisi des morceaux où le pianiste aurait autant de choses à faire que la chanteuse (rires) ! Il faut une grande technique pour interpréter ces mélodies et notamment le cycle de Baudelaire de Debussy qui est redoutable ! Avec Pascal Jourdan, ça fait vingt ans qu'on le décortique mais aujourd'hui on le connaît par cœur. Côté chant, la difficulté est la même, car il demande à la fois de la technique vocale (pour faire autant de couleurs) et de la maturité : il faut que le grain de voix soit riche et en même temps avec des aigus piani…. Mais pour le piano, comme pour la voix, c'est jouissif.
A propos de votre voix : comment a évolué votre identité vocale ?
C'est amusant : au début je ne me sentais pas mezzo mais soprane. Enfant, ma voix était vraiment soprane, avec des aigus extrêmement faciles… De même, la musique baroque (à laquelle on m'a ensuite très vite associée) a été une rencontre fortuite à la fin de mes études. Mes professeurs me l'ont suggérée alors que je me sentais plutôt classique ou romantique. Mon univers, pensais-je, devait être Rossini, ou éventuellement Haendel ! J'ai fini par accepter que j'étais un mezzo léger, ou colorature, mais c'est l'Académie d'Ambronay qui m'a révélée au baroque en me faisant auditionner devant William Christie qui a su déceler ce que je pouvais donner dans ce répertoire…
Et aujourd'hui ?
Même si ça a pris plus de temps que chez d'autres chanteurs, ma tessiture est aujourd'hui quand-même très définie : c'est mezzo soprano et quand je lis une partition, je sais ce qui me va et ce qui ne me va pas.
C'est une couleur ! Je travestis ma voix : je ne chante pas de la même manière selon les rôles que j'interprète. J'utilise ma voix comme je le veux, à mes desseins comme à mes dépends, parce que je ne peux m'empêcher de l'intégrer dans un personnage.
L'une de vos marques de fabrique est une prononciation limpide des textes… Comment s'est-elle imposée à vous ?
C'est mon désir d'être comédienne avant toute autre chose. Et être comédienne, c'est avoir un texte à défendre. Comme je défends les textes du disque de "Mélodies françaises". A l'inverse, nous n'avons pas sélectionné certains poèmes, pourtant mis en musique par Poulenc, car ils ne nous parlent pas. Ensuite, être comédienne, c'est aussi incarner un personnage, ce qui nécessite une compréhension des mots chantés. J'en arrive donc à la prononciation limpide. J'essaie de ne jamais faire de concession à la compréhension. Mais il est vrai que la langue française est difficile : il y a des nasales qui ne sont pas jolies ; ou des "a" qui peuvent être trop plates. Souvent ça a été chanté par des étrangers et tout a été beaucoup plus arrondi, ce qui est joli, mais pas français… On m'a dit : ta Carmen est très claire ! C'est la langue française qui est très claire ! C'est à nous d'être exigeants avec notre technique vocale : c'est un gros travail de lâcher la mâchoire, la langue… Ça a l'air naturel quand on parle, mais tout se complique quand on chante. Notre travail est d'enlever des couches, de simplifier et d'être au plus près du mot.
Revenons à ce rôle de comédienne…
J'ai l'impression que sur scène, c'est chez moi. Souvent on dit que des tempéraments très réservés, timides, comme était le mien, se révèlent sur scène… Après, pourquoi certains rôles plutôt que d'autres ? On apprend avec le temps : j'ai découvert que les rôles de tragédienne me nourrissent, j'en sors remplie, épanouie. Les rôles comiques sont beaucoup plus difficiles, même si j'ai pris un grand plaisir à les endosser : dans "La Périchole", par exemple, ou "La Belle Hélène", pour laquelle j'ai fait la rencontre de Shirley et Dino qui la mettaient en scène ! Il y avait quasiment autant de texte parlé que chanté, et je me suis amusée car nous avons eu le temps de répéter. Même impression pour "L'étoile" d'Emmanuel Chabrier, que nous avons interprétée à Amsterdam, avec la mise en scène de Laurent Pelly.
Stéphanie d'Oustrac est également dans "La Clémence de Titus"
Les 6, 8, 17, 19 et 21 février 2015 à Strasbourg
Les 6 et 8 mars 2015 à Mulhouse
Direction : Andreas Spering
Mise en scène : Katharina Thoma
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