Dix ans après leur succès, on a retrouvé les pionniers de la Tecktonik
A la rentrée 2007, cette danse électro se propageait dans toute la France, avant de disparaître en quelques mois. Dix ans plus tard, franceinfo a retrouvé ceux qui ont porté ce mouvement... réapparu depuis sous d'autres latitudes.
"A l’heure où on parle, il y a des gens en train de la danser à l’autre bout de la planète." Alexandre Barouzdin l'assure, la Tecktonik bouge encore. Le cocréateur de cette danse qui a déferlé sur la France en 2007 explique qu’il faut désormais regarder de l’autre côté de l’Atlantique. Après la diffusion à la télévision mexicaine d’un reportage sur sa création, il dit s’être réveillé, un matin de 2013, avec 500 demandes d’ajout d'amis sur Facebook. Toutes venaient de pays d’Amérique latine. "Ils n’appellent pas ça la Tecktonik, mais la danse électro, précise le pionnier. A Guadalajara, à Tijuana, il y a des battles dans les écoles."
Au Mexique, des classes de danse apprennent désormais les mouvements, sous les instructions de danseurs stars à l’époque en France. Treaxy, William Falla de son vrai nom, est l’un d’eux. Le Parisien revient de ce grand pays d'Amérique centrale, où il a fait office de juge dans des battles (des duels entre danseurs) et donné des cours lors d’une compétition internationale. Les douaniers viennent de parapher la dernière page de son passeport. Depuis 2007, année de ses 18 ans, il a fait le tour du monde pour des événements au Royaume-Uni, aux Philippines, en Indonésie...
D’autres variantes existent. Une vidéo postée en mai 2017 sur Twitter montre un face-à-face en pleine rue, dans la capitale mexicaine. L’esthétique affichée ici proviendrait du mouvement Cyber goth, une mouvance punk partie de Londres dans les années 2000.
Early morning in the field with my Mexico City cyber goth techno warriors. We getting ready 4 the goth wars. Death 2 all posers pic.twitter.com/zU8pJG6uSi
— Anthony (@speakz) May 29, 2017
La danse made in France connaîtrait donc des résurgences à des milliers de kilomètres de Paris. En France, elle a pourtant disparu de manière aussi soudaine qu’elle était apparue. Que sont devenus les lieux et les acteurs de cette mode ? Franceinfo remonte le fil de l’épopée Tecktonik.
Battles, pantalons slims et coupes mulet
C’était il y a dix ans. Souvenez-vous : les téléphones étaient encore à clapet, les jeunes racontaient leur vie sur des Skyblogs et la France accueillait le Mondial de rugby en pleine "Chabalmania". En cette rentrée 2007, une nouvelle mode envahissait les cours de récré et les discothèques de l’Hexagone. En un éclair, la vague Tecktonik imposait ses codes.
D’abord une danse : comme pris de spasmes, les adeptes gesticulaient dans des mouvements de bras et de jambes savamment désarticulés. Un vocabulaire ensuite : les Tecktonik killers (les pratiquants) s’adonnaient à des battles (duels entre danseurs). Un style vestimentaire enfin : T-shirts moulants, pantalons slims, gants fluo, cheveux lissés, en crête ou en mulet (les cheveux longs sur la nuque).
Tout a pourtant commencé bien avant. Alexandre Barouzdin a cofondé le mouvement au tournant des années 2000, avec son compagnon Cyril Blanc. Vêtements noirs et regard clair, il se remémore avec plaisir cette période, disséminant quelques anglicismes dans son récit. Après des études de commerce international et quelques expériences à la Bourse, il part vivre à Londres où il met un pied dans l’événementiel. Il sort beaucoup, devient un adepte de la vie nocturne. Il raconte avoir connu David Guetta lorsque le futur DJ français le plus payé était encore "underground".
De retour d’Angleterre, Alexandre et Cyril organisent des soirées. Le lieu est choisi : le Metropolis, une discothèque tenue par un ami à Rungis (Val-de-Marne). Le bâtiment en béton, coincé entre un McDonald’s et un hôtel Kyriad, au bord de l’autoroute A 106, deviendra La Mecque du mouvement.
L’idée : mélanger le jumpstyle venu de Belgique et le hardstyle venu des Pays-Bas. Le concept des soirées est labellisé "Blackout". L’ancêtre de la Tecktonik. Mais le nom "Blackout" est déjà déposé, ce qui oblige Alexandre et Cyril à en trouver un autre. Ils s'inspirent des plaques tectoniques, qui s'entrechoquent et créent des séismes ou des éruptions volcaniques, pour le nouveau nom. Des graphistes planchent sur l'identité visuelle. Après une vingtaine de logos, c’est l’aigle, vecteur de puissance, qui est choisi.
Pendant plusieurs années, les rendez-vous nocturnes du Metropolis se cantonnent à une clientèle jeune de banlieue. Subitement, à l’été 2007, vient le succès. La médiatisation de la Tecktonik se déroule en cinq actes.
Le 2 novembre 2006, un jeune danseur du nom de Jey-Jey se filme dans son garage et poste la vidéo sur YouTube. Une minute trente de démonstration, qui lance le buzz.
La vidéo compte aujourd’hui 15 millions de vues. Sacrée performance pour l’époque, selon Alexandre. Les réseaux sociaux n'étaient pas encore nés. "Dailymotion commençait à se faire connaître, YouTube existait, mais pas les réseaux sociaux. Personne n’avait Facebook en France."
En juin 2007, la chanteuse Yelle reprend un tube des années 1980, A cause des garçons. Remixé à la sauce électro par le DJ Tepr, il devient un tube. Dans le clip, trois danseurs se déhanchent autour des cinq lettres géantes du nom de la chanteuse.
Début septembre de la même année, Alexandre Barouzdin reçoit un coup de fil de Laurent Ruquier. "Viens dans mon émission ce soir avec un danseur." La démonstration, en direct sur le plateau de "On n’a pas tout dit", sur France 2, agit comme un déclencheur. "Ça a eu une puissance phénoménale, l’attrait des médias a tout de suite créé un engouement qui en a fait un phénomène."
Mi-septembre 2007, la Techno parade s’approprie la tendance à son tour en lui consacrant une scène, où pros et débutants s’affrontent.
Enfin, en novembre, sort le morceau Alive, mixé par le duo allemand Mondotek. Produit par le label Mercury, il se hisse à la première place du hit-parade. Son clip met en scène des danseurs stars de l’époque, Jey-Jey, Lili Azian et Karmapa.
En quelques semaines, la folie Tecktonik se répand. "Ça a commencé au Metropolis, c’est descendu dans la rue et ça s’est démocratisé", décompose Alexandre Barouzdin. La tendance investit les clubs de la capitale, notamment le Mix club et le Red Light, à Montparnasse. Symbole de cet engouement hétéroclite, le parvis de la station Châtelet-Les Halles, à Paris, point de rencontre entre Paris et sa banlieue : les jeunes viennent s’y adonner à des battles.
Le succès de cette danse créée en France vaut aux créateurs les félicitations de la ministre de la Culture de l'époque, Christine Albanel, qui se rend même à la Techno parade 2007. Un motif de fierté pour eux.
Avant nous, la seule danse créée par des Français, c’était le french cancan.
Alexandre Barouzdin, cofondateur de la Tecktonikà franceinfo
Un business prospère se crée pour les deux dépositaires de la marque. La maison de disques EMI monte à bord. Ils rencontrent le chef de TF1 Licences. L’agence du groupe audiovisuel les aide à développer les partenariats avec des marques, pour vendre des produits dérivés frappés du sceau de l’aigle. Fournitures scolaires, sacs, téléphones, chewing-gums, abonnements en salles de sport, boisson énergétique…
Au plus fort du succès, Alexandre et Cyril gagnent autour de 20 000 euros par mois à eux deux. "De l’argent ré-investi dans le concept", assure le premier. Ils développent aussi leurs propres vêtements, vendus dans deux magasins à Paris. L’un d’eux était tenu par Murielle Lellouche, une amie des cocréateurs de la franchise. La gérante se souvient d’une "époque totalement dingue", pendant laquelle le "chiffre d’affaires a été multiplié par 3 ou 4." Elle évoque même un embouteillage devant la boutique, provoqué par sa fermeture durant un jour de 2007.
Des tournées en Russie, au Japon, à Madagascar...
"On s’est retrouvés à devoir organiser des tournées de soirées en Côte d’Ivoire, au Mexique, en Russie, au Japon. Avec en point d’orgue un show à Madagascar devant 15 000 personnes, se souvient Alexandre. On a été contactés par les staffs des danseurs de Madonna et de Janet Jackson."
Jusqu’au jour où la machine s'enraye. Avec un public de plus en plus massif et jeune, le mouvement perd son esprit. Le grand public s’en détourne. La faute des médias, pour le danseur William Falla, alias Treaxy, un des porteurs du mouvement artistique. "Les gens n’en pouvaient plus de voir de la Tecktonik à la télé du matin au soir. On nous a collé une image un peu trop mignonne, enfantine. Ce qui n’est pas le cas actuellement au Mexique, par exemple. La différence, c’est qu’ils n’ont pas cette image has-been qu’on a eue en France, alors qu’à la base c’est un truc assez dark, qui venait de la nuit. C’est un délire de clubber, on ne parle pas de danse de salon. Tout ça a détruit le mouvement."
Pour certains, c’est une erreur stratégique qui a conduit la franchise à sa perte, les créateurs développant davantage la marque que la danse en elle-même. "L’aspect grande distribution a tué l’esprit de base", analyse Murielle, derrière le comptoir de l’ancien magasin. Située rue des Archives, dans le quartier du Marais à Paris, la boutique est aujourd’hui un magasin de T-shirts personnalisés. "On s'est retrouvés avec plein de stocks non écoulés. Une grosse partie a été volée, et 20 000 à 30 000 pièces ont été cédées, données ou jetées."
L’autre point de vente qui se trouvait à quelques encablures de là, au bout de la rue Turbigo, est aujourd’hui... un bar à ongles.
Pascal Monfort, sociologue de la mode, travaillait à l'époque comme responsable du marketing des tendances pour Nike. Il dit avoir observé "un micro-phénomène d'été plutôt qu'une 'subculture'. Il y a eu tout de suite un certain snobisme, c'était une culture raillée par les autres cultures jeunes, tout le monde se moquait un peu d'eux."
C'était un échappatoire, un défouloir, tu te prenais du 135 BPM [beat par minute] dans la tête
Alexandre Barouzdin, cofondateur de la Tecktonikà franceinfo
Pour le sociologue Michel Fize, l’absence de message de la Tecktonik l’a empêché de perdurer. "Avec la Tecktonik, on ne disait rien, c’était un mouvement sans revendication, sans prétention. L’époque était déjà tellement libérée qu’il n’y avait plus vraiment de combat à mener, contrairement à ce qui se passait lors de l'émergence du rock’n’roll et du rap."
A peine passée de mode, la danse est vite devenue un boulet pour certains. En témoigne la réponse de la direction artistique de la discothèque où tout a commencé, contactée par franceinfo : "La Tecktonik n’est plus du tout d’actualité depuis près d’une dizaine d’années sur le désormais Loft Metropolis, et nous ne souhaitons pas directement communiquer dessus."
Une étiquette collée à vie
Pour Treaxy, il n’a parfois pas été facile de se départir de cette image, après deux ans de soirées Tecktonik. La notoriété et les rencontres dans le milieu lui ont pourtant ouvert quelques portes. Après deux autres années de tournée avec la chorégraphe espagnole Blanca Li, il est devenu directeur de tournée du DJ français Feder. Il est aujourd'hui à la tête du Bal Trap, un collectif qui organise des soirées. Il dit avoir gardé contact avec tous ceux qu'il a rencontrés il y a dix ans. "Certains ont une vie de famille, la plupart sont restés dans un domaine artistique, peu ont arrêté."
Alexandre Barouzdin, lui, organise toujours des événements, notamment au Viêt Nam ou dans les Caraïbes. Mais il a d’autres projets. Derrière ses lunettes de soleil aux larges verres, il a gardé son œil d’entrepreneur. "J’ai monté une start-up. J’ai déposé un brevet pour un système de sécurisation des bagages et des colis. On prévoit une commercialisation pour 2018."
Une volonté de tourner la page pour de bon ? Lorsqu’on lui demande ses coordonnées, il continue pourtant de transmettre son adresse e-mail estampillée "tck01.fr". Cette aventure reste "une étiquette collée à vie", lâche-t-il, sourire en coin. Avant de confier que, dans la majorité des répertoires de ses connaissances, il figure au nom de "Alexandre Tecktonik".
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