En concert à Paris, le groupe électro Cabaret contemporain "joue en acoustique pour composer un grand synthétiseur"
Formation de cinq musiciens discrets et exigeants, Cabaret contemporain joue ce qu’ils appellent de l’"électro-bio". Secrets de cuisine avant leur concert vendredi au Centquatre à Paris.
Né en 2011 du rapprochement de cinq musiciens - Fabrizio Rat, Ronan Courty, Julien Loutelier, Giani Caserotto, Simon Drappier, avec l'ingénieur du son Pierre Favrez, sans oublier le producteur Laurent Jacquier - Cabaret contemporain interprète des musiques électro avec des instruments acoustiques et électriques. Entre reprises et compositions originales, ils concoctent un "électro-bio", dont Ronan Courty, contrebassiste, nous dévoile les secrets.
Franceinfo Culture : Comment est née cette idée d’interpréter des compositions électro avec des instruments acoustiques et électriques ?
Ronan Courty : Nous étions un groupe d’amis, pas seulement les musiciens, mais aussi l’ingénieur du son, avec lequel on fait un travail en profondeur sur la sonorisation. On était fascinés par les synthétiseurs analogiques, avec l’idée de constituer un synthé à nous six, en sonnant chacun en résonance, comme un circuit électrique qui bougerait ensemble, à l’identique des synthés analogiques. Avec l’ambition de recréer des sons du champ électronique, fait avec une contrebasse qui ressemblerait à un CR 808 ou 809, des machines de chez Roland, des boîtes à rythme un peu légendaires. Notre volonté était de copier ces sonorités assez complexes dans un premier temps, et d’en tirer un vocabulaire avec lequel on pourrait improviser. Faire comme un grand synthétiseur où chaque musicien serait un paramètre du son.
Quel est la formation musicale des musiciens de Cabaret contemporain ?
On s’est tous connus pendant nos études musicales, chacun avec sa tendance : certains rock, le batteur Julien Loutelier et moi-même venons plutôt du jazz, du free jazz, un autre étudiait la composition contemporaine, Simon lui était dans le classique… On s’est retrouvés surtout pendant les classes d’improvisation. Très vite, avec nos sons, on a voulu faire quelque chose de collectif, avant tout comme amis. C’est ce qui a cassé l’envie d’une carrière individuelle, on a toujours tenu à cette identité collective, y compris dans le discours musical, avec comme approche dominante l’impro. C’est pour ça qu’il y a très peu de solos dans notre répertoire.
Et pourtant, on a l’impression que c’est très écrit.
Oui mais ça, c’est parce que ce dont on s’inspire est très écrit. On choisit nos sources ensemble, puis on les connaît par cœur, et l’on sait tout de suite quel son va être joué par qui. On avait également tous envie d’avoir une approche percussionniste de nos instruments acoustiques. C’est ce qui nous a donné l’envie d’expérimenter en collectif.
Quand s'est popularisée la musique électronique dans les années 1970, deux écoles se sont développées en Allemagne, celle de Berlin, avec Tangerine Dream ou Klaus Schulze, et celle de Düsseldorf avec Kraftwerk. Où vous situez-vous ?
Un peu au milieu. Car chez Tangerine Dream, il y a cette notion de séquence, que l’on retrouve dans notre dernier disque, ne serait-ce que dans le titre, Séquence collective (Blackstrobe Records), tout en étant assez proche d’un minimalisme américain, comme Steve Reich ou Terry Riley. Ce côté progressif de Tangerine Dream a des points communs avec notre démarche. Et avec Kraftwerk, il y a ce côté chanson, très plastique et synthétique qui nous a séduit, pour arriver à cette netteté de son. Et ça c’est une chose à laquelle on parvient avec l’amplification, la sonorisation de Pierre Favrez.
La musique a pas mal changé depuis dix ans, puisque cela fait dix ans que nous existons. On est partis d’une page blanche, et peu à peu ont ressurgi des souvenirs de la techno de Detroit ou d’un groupe comme Dawn of Midi de New York. Beaucoup de choses nous ont nourris. Mais si on passe par un processus de copie, ce n’est pas une copie littérale, elle est composée sur nos sons qui, eux, viennent de nous, et ça change tout.
Comment réorchestrez-vous les morceaux électro que vous adaptez ?
On prend la base sonore, pas la mélodie ou le rythme, c’est une base sur laquelle chaque musicien travaille un son imparti. Au début, on le faisait sur ordinateur, maintenant chacun le fait directement sur son instrument. Le fait qu’on se connaisse très bien, l’habitude de travailler ensemble, nous permet de faire une répartition fréquentielle de la musique. On a cherché à abolir le déterminisme de chaque instrument, une contrebasse peut aussi produire de l’aigu par exemple, le piano doit faire l’harmonie, la guitare aussi, des a priori qu’on laisse de côté. On se connaît si bien, que l’on sait à l’avance qui va prendre tel relais, comme le côté percussif assuré par le piano et la batterie, puis la guitare qui peut être là à tous moments. Tout est basé sur la connaissance de chacun et de son placement rythmique.
Il y a aussi l’importance du retour public. On établit des pauses plus planantes qui nous permettent de repartir sur une autre orchestration, un nouveau morceau. On a une relation particulière avec la salle du Centquatre, où l’on joue vendredi. On y retrouve un public qui nous suit depuis longtemps et qui vient découvrir nos nouveaux répertoires. Là, on va interpréter certains morceaux que l’on joue depuis dix ans, mais qu’on va ralentir. On a composé pendant que tout le monde vivait au ralenti, jusqu’à la sortie du premier confinement. On a eu cette envie, qui recoupait celle où tout le monde était assis, chez soi, ne pouvait plus être debout, comme dans les salles de concert. Donc l’envie de faire quelque chose de presque planant, tout en restant très rythmique, mais qui invite à la poésie et à la rêverie, comme on l'a toujours fait.
Voulez-vous perdurer dans cette alternance de morceaux réorchestrés ou tendre vers plus de compositions originales ?
Depuis le début du groupe, on a des répertoires qui coexistent, depuis Moondog, on s’est retrouvés avec Château Flight autour de Terry Riley, et en parallèle avec nos propres compositions. Pour nous, improvisation et composition sont très mêlées, on est revenus aussi sur la musique de Detroit notamment. Mais dernièrement, on a beaucoup développé les compositions originales, avec même un changement d’orchestration. Il n’y a plus les contrebasses, on est dans un son beaucoup plus électrique. Simon Drappier est à la basse électrique et moi au synthé. On s’inspire de notre travail acoustique, issu des musiques électroniques, pour revenir à l’électro, comme dans une espèce de boucle. Et les gens qui nous suivent depuis longtemps retrouvent l’esprit du groupe dans les nouveaux développements. C’est l’objet du prochain album qui sera aussi plus facile à faire tourner, vu les complications qu’entraînent le déplacement des instruments acoustiques.
Vos albums sont uniquement en vinyle et il n’est pas facile de les trouver. Cette confidentialité est-elle un choix ?
D’une certaine façon oui. La communication a pas mal changé ces derniers temps. On se répartit un peu ce rôle entre nous, on n’a personne à la communication mais ce que l’on veut installer, c’est quelque chose sur la durée. Avec moins d’effets d’annonce, on cherche une espèce de label de qualité, afin que le public qui nous connaît depuis longtemps se retrouve dans notre répertoire. On ne se développe pas dans l’urgence et l’immédiateté qui dominent.
D’où vient ce nom de Cabaret contemporain ?
Au départ Cabaret contemporain était une association montée par notre producteur Laurent Jacquier qui produisait des musiques minimalistes américaines avec des concerts électro. On commençait avec un DJ, puis on se retrouvait avec une pièce de Steve Reich ou de Terry Riley. Et nous, ça nous faisait penser aux formations Cabaret Voltaire ou Tristesse contemporaine, on a mélangé tout ça et finalement on a gardé le nom.
Cabaret contemporain
Soirée Minimum, Maximum 2 :
- Six Marimbas et Four Organs de Steve Reich par l'Ensemble Links
- Slow de Cabaret Contemporain
- Max Cooper (live)
Vendredi 4 mars – 19h30
Centquatre-Paris
5 Rue Curial, 75019 Paris
01 53 35 50 00
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