Festival des Inrocks : 25 ans de souvenirs de JD Beauvallet
Le groupe que vous êtes le plus fier d’avoir été le premier à programmer quand personne n’y croyait ?
JD Beauvallet : C’est Pulp bien sûr. Au moment où on les programme en 1991, c’est la première fois qu’ils jouent hors de l’Angleterre, où ils sont encore inconnus. Pourtant ils ont déjà deux albums et des singles fantastiques à leur actif. Les journalistes anglais s'étonnnent alors que nous fassions jouer ce qu'ils imaginent être "un groupe français" en première partie de Blur ! Ce concert ça a été un moment magique et un triomphe alors que personne ne connaissait les morceaux. Du coup, Blur et la presse anglaise les ont découverts à ce moment là, et ils sont ensuite devenus le plus gros groupe anglais de la décennie avec Oasis. Jarvis Cocker est la personne qui a le plus joué au festival des Inrocks : il est venu trois fois avec Pulp, une fois en solo et une fois avec son groupe Relaxed Muscle. Cette année, il revient avec Pulp, reformé l'an passé. Alors qu’ils ont fait la tournée des stades, il a refusé en France les Zénith parce qu’il voulait finir où il avait commencé : chez nous. C’est ça la fidélité des groupes au festival !
Pulp « My Legendary Girlfriend » 1991 (extrait de l’album “Separations”)
La plus belle surprise, la fois où vous vous êtes pris une claque parce que vous ne vous attendiez pas à un si bon concert ?
JD Beauvallet : Le premier concert des Libertines, en 2002. Ils viennent de sortir leur album ou peut-être même pas encore, ils sont encore balbutiants et on assiste au festival à un concert flamboyant, et à un public subjugué et déjà fanatique.
Il y a aussi les White Stripes, en 2001 ou 2002, l’un des rares groupes programmé sans les avoir vus sur scène. On adorait les disques mais on n’avait pas mesuré à quel point ils étaient bons, et à quel point Jack White est un immense chanteur. Je le croise ensuite en backstages et je lui dis, tu as une voix extraordinaire, un jour tu feras un disque à la Sinatra avec des cordes. Il m’a regardé avec un air totalement effrayé, horrifié que je puisse pronostiquer un truc pareil, un Jack White en crooner. Pourtant je reste persuadé qu’il fera un disque comme ça un jour et que ce sera réussi.
Au rayon surprise il y a aussi Franz Ferdinand. On ne connaissait alors que le premier single et on s’est pris une grosse baffe à la Boule Noire. On a eu le sentiment d’assister au démarrage d’un truc important, déjà taillé pour les stades. J’ai été les voir ensuite pour leur dire que j’étais désolé qu’ils aient joué dans une si petite salle, devant 300 personnes seulement. L’année d’après ils sont revenus en triomphe au festival, en tête d’affiche au Zénith.
Franz Ferdinand “Take Me out”
La plus grosse erreur de casting ?
JD Beauvallet : Je crois que la plus grosse foirade reste David Lynch, en tête d’affiche à l’Olympia. Déjà on ne savait pas à quelle sauce on allait être mangés, il n’avait rien dévoilé de ce qu’il ferait. En attendant, on recevait facture sur facture d’une tripotée de vieux musiciens qu’il avait enrôlés. Au final ils étaient quatre-cinq musiciens, ils ont joué 20 minutes, une espèce de blues cosmique étrange. Et ça nous a coûté la moitié du budget du festival ! (rires). Mais c’était David Lynch bon sang, et quand on te dit que le cinéaste monte un groupe, tu ne réfléchis pas. Ah, ça, sur le papier ça avait de la gueule ! Et au final c’était un vrai happening (rires). Mais le fric que ça nous a coûté ! Comme il n’était pas en tournée il a fallu tout payer : les voyages, les répétitions, les taxis, les hôtels (fou-rire) Au final, on a entièrement produit ce concert. Bon, on ne le refera plus.
La plus belle rencontre, humainement ?
JD Beauvallet : Il y en a beaucoup. D’abord parce qu’il y a un vrai attachement des artistes au festival. Souvent, c’est là que ça a vraiment commencé pour eux, comme ils disent. Parce qu’ils sont devant un public connaisseur, avide de nouveautés et qui leur fait un triomphe. C’est le cas de Placebo, de Foals, de Pulp. Pour eux, le festival a été un révélateur, le déclic qui leur a donné confiance. Sinon, il y a aussi Two Door Cinema Club à la Boule Noire pour la première soirée Kitsuné. On tombe sur un groupe de gars d’à peine 18 ans qui font le show, précis, carré et on sort totalement subjugués. Entre temps, La Roux annule son concert du surlendemain. On a aussitôt pensé à eux pour la remplacer et ils ont accepté de retraverser le channel en Eurostar pour la remplacer au pied levé, à la Cigale cette fois.
Two Door Cinema Club au festival des Inrocks (Cigale) 2009
Comment expliquez-vous cet attachement des artistes au festival ? Quelle est votre botte secrète ?
JD Beauvallet : Bien sûr il y a les groupes dont on a aidé à l'ascension mais la fidélité tient aussi à l’accueil soigné des musiciens. Il faut savoir qu’en backstages au festival, il y a un catering de dingue avec de la super bonne bouffe. Les groupes et leur entourage sont ravis . Du coup, les managers sont toujours prêts à nous refourguer leurs groupes pourvu qu’ils puissent venir faire leur cure gastronomique chez nous (rire). Dominique Revert de Alias, avec lequel je fais la programmation, a même créé ces dernières années un bar à vins en backstages où les viticulteurs font goûter leurs flacons aux artistes. J’ai ainsi vu le regard bouleversé de jeunes musiciens anglais boire pour la toute première fois de leur vie du bon vin ! L’ambiance conviviale qui règne en backstages c’est quelque chose que l’on construit depuis longtemps. Un autre bon point, c'est le principe de nos plateaux de groupes qui tournent en régions. C'est une ambiance colonie de vacances, ça crée des amitiés, notamment entre groupes anglais. Ils finissent souvent copains comme cochons.
Le plus gros bad trip ?
JD Beauvallet : Le plus dur à affronter, le plus violent, ça a été pour le premier concert de Beirut à la Boule Noire. Zach Condon arrive quelques jours avant, tout se passe bien, il fait les interviews et puis on sent un drôle de malaise monter et le jour du concert il reste introuvable. Nous avons finalement retrouvé sa trace à Ste-Anne où il avait été admis après une grosse crise d’angoisse. Pendant trois jours, il est resté tout seul car n’étant pas de sa famille nous ne pouvions le voir. C’était difficile de se dire que nous faisions la fête au festival pendant qu’il moisissait en HP, ça a plombé l’ambiance. Depuis, il a joué pour le festival et tout s’est bien passé.
Beirut "Elephant Gun"
L'anecdote la plus drôle ?
JD Beauvallet : Comme je le disais, en tournée les groupes finissent souvent copains comme cochons. Gossip avait sympathisé avec un autre groupe de la tournée Inrocks, je ne sais plus lequel, et ils avaient fait la fiesta au Bikini à Toulouse, un endroit familial où le patron cuisine pour tout le monde. Tout va bien, ils vont se coucher chacun dans leur Tour Bus, ils ferment les rideaux. Le lendemain, arrivé à la frontière, Gossip s’inquiète de ne pas voir son guitariste se lever et se rend compte qu’il n’est pas dans son lit. Il s’était trompé de Tour Bus! Il s’est retrouvé à Toulouse sans papiers, sans rien, et ils avaient un concert le surlendemain à Londres…
L'incident le plus cocasse ?
JD Beauvallet : Les Black Lips, le groupe garage d’Atlanta, n’arrêtait pas de vomir sur scène durant le concert à la Cigale. La personne qui s’occupait du catering était catastrophée, elle se sentait responsable, pensait qu'un élément du dîner n’était pas passé. En fait, pas du tout, c’était voulu : ils étaient tous munis de petites fioles dans laquelle se trouvait du vinaigre, et à chaque goulée, cela les faisait rendre. A un moment, l’un d'eux avait même chopé une fille dans le public et lui avait roulé un patin ! En sortant de scène, ils se sont excusés mille fois en assurant à la responsable que la bouffe était géniale.
Les Black Lips au festival des Inrocks (Cigale) 2009
Autre anecdote cocasse, le concert des Stone Roses. On en était fous et on arrive à les faire venir. On est en 1991-92 et en gros, c’est leur dernier concert à dimension humaine avant qu'ils explosent et fassent la tournée des stades. Ils arrivent sur scène, beaux, félins, éblouissants. On dirait Clash ! Le public est en délire, la Cigale se transforme en trampoline géant. Sur ce, je vais faire un tour dans le car-régie de France Inter qui retransmet le concert. Là, les gars sont consternés. Ils ont les arrivées de chaque piste séparée et je me rends compte qu'en réalité c’est la cacophonie totale. Ils jouent tous à côté, et au micro, Ian Brown chante totalement faux. Pourtant, dans la salle l’effervescence est telle, ils jouent avec une telle énergie, une telle flamboyance, qu’on n’y verra que du feu.
Le souvenir le plus émouvant ?
JD Beauvallet : La veille du concert de Metronomy et Hot Chip, il y avait eu pas mal de stage-diving sur le festival et les hommes de la sécurité insistaient pour installer des barrières devant la scène. On refuse mais on promet de faire gaffe. Or, le premier mec qui fait du stage diving ce soir là, c’était qui ? Mon fils de 14 ans !!! (rires)
Il y a aussi ce truc bouleversant. L’année où Gossip joue à la Cigale, Beth Ditto traine en backstages et on se met à discuter. Elle ne sait pas du tout qui je suis. Je suis avec mes enfants et elle se met à leur parler, leur dit qu’ils lui font penser à ses petits frères et sœurs. Au final elle leur a écrit à chacun un poème. Rien que pour ça, la fille est en or.
The Gossip aux festival des Inrocks (Cigale) 2007
La leçon apprise, le truc que vous ne referez plus ?
1) Ne jamais proposer un concert à un réalisateur connu (voir plus haut).
2) Se méfier des groupes qui ne sont pas ensemble depuis longtemps, capables de se séparer avant même de jouer. On commence à préparer l’affiche en début d’année et il arrive que les groupes se soient sabordés avant même de venir jouer au festival.
3) Se méfier des groupes en pleine ascension. Ils sont souvent hyper fiers d’être contactés en janvier quand on commence à monter le festival. Mais l'automne venu, une fois qu’ils ont été sollicités pour un featuring sur l’album de Kanye West ou en première partie de la tournée américaine de Noel Gallagher, ils n’en ont plus rien à fiche et ils nous plantent. Ca nous est encore arrivé cette année avec Jake Bugg, un songwriter qu’on aime beaucoup.
Des regrets ?
JD Beauvallet : Oui, il y a forcément des groupes que j’aurais voulu avoir et que je n'ai pas eu pour des histoires de timing. Le plus drôle, c'est que les gens pensent souvent les avoir vus au festival ! C’est le cas de Bjork, de Beck, de Jeff Buckley ou Radiohead. Je me désole aussi d’avoir toujours échoué à avoir des groupes de rap comme Pharcyde ou De La Soul. Je pense qu'ils n’ont pas l’attachement au journal qu’ont les autres groupes. Cette année par exemple, j’aurais adoré avoir Kendrick Lamar.
Ce qui a le plus changé en 25 ans ?
JD Beauvallet : La compétition. A l’époque, il y avait 3 festivals : les Transmusicales, le Printemps de Bourges et les Inrocks. Maintenant il y en a partout. On n’avait pas Pitchfork en face par exemple. Ca oblige à booker les groupes plus tôt, à se remettre en question. Mais ceux qui ont du souci à se faire sont davantage les festivals sans âme, sans personnalité, qui se contentent d’empiler les noms sans projet éditorial. Nous, nous sommes en passe de faire notre plus grosse année, on va être complets presque tous les soirs alors qu’on nous disait « attention, le spectacle vivant est en crise ».
La 25e édition du festival des Inrockuptibles se tient du 5 au 13 novembre à Paris, mais aussi à Marseille, Lyon, Lille, Nantes et Toulouse. Avec notamment Alt-J, Spiritualized, Willy Moon, Citizens!, Electric Guests, Alabama Shakes etc...
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