French Touch : le doc culte en replay et les souvenirs du réalisateur
Réalisé en 1999, "French Touch, ces Français qui font danser le monde" est un documentaire culte sur la scène électronique française des années 90. Diffusé à l'origine par France 2, il était reprogrammé le week-end dernier sur Arte. L'occasion de le revoir en streaming ci-dessous (pour une brève durée) et de recueillir les souvenirs et le point de vue d'un de ses deux réalisateurs, Alexis Bernier.
1999. Daft Punk est déjà superstar de la planète électronique et Laurent Garnier roi des platines. Dans leur sillage, Air, Cassius, Stardust, Alex Gopher ou Bob Sinclar font la une des journaux de musique anglo-saxons qui se pâment devant "la French Touch". En France, c'est l'euphorie et une myriade de petites structures (labels, soirées, magasins, associations) font palpiter le mouvement.
Alexis Bernier, alors journaliste à Libération, et Philippe Lévy, photographe et vidéaste, réalisent un documentaire de 50 mn pour "Envoyé Spécial" de France 2 qui témoigne de cette effervescence. De Paris à New York, Londres, Barcelone ou Montpellier, ils saisissent l'histoire en train de se faire avec les acteurs de la scène d'alors : Laurent Garnier, Gilb'R, Cassius, Kid Loco, Laurent Ho, Rinocérose, les organisateurs des soirées Respect, le patron du label F-Com et même Thomas Bangalter de Daft Punk mixant dans l'ombre lors d'une rave. Un regard dans le rétro aussi précieux que jubilatoire.
Le documentaire diffusé sur Arte est visible jusqu'au samedi 15 février au soir.Entretien avec Alexis Bernier, l'un des deux réalisateurs du film avec Philippe Lévy :
Quels sont vos souvenirs les plus forts de ce tournage ?
Alexis Bernier : J’en ai plein bien sûr, mais avec le recul, je me souviens surtout à quel point ce film, réalisé pour « Envoyé Spécial » sur France 2, a été fait simplement. On dit souvent que c’est difficile d’intéresser la télévision à des sujets musicaux, or Paul Nahon et Bernard Benyamin, patrons de l’émission à l’époque, nous ont accueillis Philippe et moi de façon très chaleureuse. Notre proposition les avait interessés immédiatement. Ils sentaient bien qu’il se passait quelque chose et que ça méritait un reportage. Et ils nous ont fait confiance, bien que nous soyons novices, car nous connaissions parfaitement cet univers.
Avaient-ils des requêtes particulières ?
Non, mais le fait que le documentaire soit réalisé pour France 2 et pour le grand public a eu un impact important sur sa forme : il a un caractère excessivement pédagogique et didactique. Ca martèle des choses qui peuvent paraître un peu neu-neu. Mais cette idée d’expliquer au plus grand nombre fait peut-être aujourd’hui sa force car il a encore plus valeur de document.
Peu de documentaires sur la techno ont été faits depuis.
Disons qu’il y en a eu mais peu d’aussi riches et construits. Nous avons eu les moyens : nous sommes allés à New York, à Londres, à Barcelone, à Montpellier et en Bretagne pour le réaliser.
L’avez-vous revu récemment ?
Je l’ai revu hier et ce qui m’a frappé, c’est l’enthousiasme et la fraîcheur de tous les intervenants. On ne mesure pas à quel point c’était incroyablement nouveau de trouver autant de disques français dans le monde. Musicalement, les Français, y compris dans le rock, avaient toujours rasé les murs à l’étranger. Là, on vivait tous un moment incroyable, euphorique. Tout le monde avait la patate, on avait l’impression que tout était possible et qu’on allait construire des empires.
La French Touch musicale a-t-elle ouvert des portes pour d’autres choses ?
Oui, on a ensuite parlé de « French touch » d'un peu tout et n'importe quoi, l'architecture, le design ou la cuisine bien évidemment. Ca a permis à toute l’industrie française de se voir différemment. Mais le terme "French touch" est rapidement devenu un cliché agaçant.
Des regrets ?
J’aurais aimé que Thomas Bangalter intervienne davantage, ou au moins qu’on entende sa voix. Malgré l’immense notoriété de Daft Punk, il continuait à l’époque à mixer dans de petits lieux comme on le voit dans le film. Autre regret, la séquence où l’on voit Gilb’R (du label Versatile), Philippe Zdar et Boombass (Cassius) à New York. C’est une des pires interviews de ma vie. Avec le jet-lag, nous étions tous crevés et au final Gilb’r a l’air complètement absent alors que c’est quelqu’un de passionnant et Philippe Zdar a l’air prétentieux alors qu’il est tout l’inverse. Je n'arrivais pas a leur poser les bonnes questions.
Avez-vous eu des retours après la diffusion du reportage ? Est-ce que le fait de passer sur France 2 à une heure de grande écoute a marqué une forme de reconnaissance pour les musiques électroniques ?
Absolument pas. A l’époque, le peu de retours que nous avons eu des gens du milieu, c’était plutôt pour dire « on n’a rien appris ». Normal, ils avaient le nez dedans. Au fond, vu de l’intérieur, notre reportage venait presque trop tard : 1999 c’était déjà la fin d’un cycle.
L’an passé, votre film a été montré dans le cadre de l’exposition consacrée au graphisme de la French Touch au prestigieux Musée des Arts Décoratifs. Que pensez-vous de cette entrée au musée ? Etait-ce prématuré ?
Je n'ai rien contre les musées. Ce que je sais en revanche, c'est qu'avec la musique électronique tout est allé tres vite. La techno a d’abord été très underground, puis sévèrement réprimée (avec les raves interdites notamment) dès qu'elle a pris de l'ampleur et presque en même temps récupérée (comme on le montre dans le film) autant par le mainstream le plus commercial que par les institutions politiques ou même muséales.
Pourrait-on faire un nouveau volet de ce documentaire aujourd’hui ?
Je rêverais de faire une suite à ce film ! Après la période de difficulté du début du millénaire, marquée par le retour en grâce du rock, il y a eu un renouveau à la fin des années 2000. Le succès de Justice a relancé l’intérêt pour la scène française. On pourrait aussi faire un film plus mélancolique façon « que sont-ils devenus ? » : il y a ceux qui n’ont pas réussi à perdurer, ceux qui rament, et d’autres qui ont continué à exploser comme la figure fantômatique de Daft Punk.
Est-ce que Daft Punk n’a pas involontairement cannibalisé tout l’intérêt pour la French Touch ?
Non, je ne crois pas. D’abord, les Daft Punk ne sont plus vraiment considérés comme français. Ensuite, il y a des tas de noms attendus à l’étranger : ceux de Kavinsky, Justice, Philippe Zdar (en tant que producteur de Phoenix notamment), ou même Woodkid. En fait, plus personne ne se pose la question dans ces termes : un groupe ne marche pas parce qu’il est français ou le contraire. Le fait d’être français n’a pas d’incidence en tant que tel, c’est justement ce que la French Touch a changé. Nous sommes entrés dans une normalité impensable il y a 20 ans.
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