"Il y avait un désir d’être novateur et populaire à la fois" : Etienne de Crécy revient sur la création de l'album "Pansoul" de Motorbass réédité pour ses 25 ans
Paru en 1996, l'album "Pansoul" de Motorbass est un des tout premiers joyaux de la "French Touch" et un diamant éternel. Sa réédition en version remasterisée est l'occasion de sonder les souvenirs de son co-créateur Etienne de Crécy. Rencontre.
Pansoul de Motorbass, est un des rares albums dont on ne se lasse pas depuis sa sortie en 1996. Car avec ce disque de house déviante d’une densité sonore inouïe, à la fois dansant et méditatif, on a toujours l’impression d’entrer dans une autre dimension. Vingt-cinq ans plus tard, alors qu’il fait l’objet d’une réédition en version fraîchement remasterisée pour l’occasion, cet album garde intacts toute sa puissance et son mystère.
Hommes de l'ombre de Mc Solaar
Ses auteurs, Etienne de Crécy et Philippe Zdar, se rencontrent au studio parisien PlusXXX (prononcer Plus30) à l’aube des années 90. Ensemble, le premier en tant qu’assistant et le second en tant qu’ingénieur du son, travaillent sur les deux premiers albums fertiles de Mc Solaar (Qui sème le vent récolte le tempo en 1991 et Prose Combat en 1994) en compagnie de Hubert Blanc-Francart alias Boombass. Colocataires pendant cinq ans, Etienne et Philippe écoutent du hip-hop durant la semaine et montent à bord des premières raves party le week-end. Sur leur temps libre, nourris de cette double matière sonore, ils font de la musique sur leurs machines avec passion.
Un unique album rapidement devenu culte
Après deux maxis remarqués, la collaboration du tandem atteint son summum sur l'hypnotique Pansoul, le premier et unique album de Motorbass. Il paraît en 1996, au moment même où l’effervescence techno gagne la France, allumant, sur les traces de Detroit, mais à la française, une série de feux sur le dance-floor que la presse anglaise conquise vient tout juste de baptiser French Touch.
Ce disque, qui fait la jonction entre la house music et l’asbtract hip-hop à base de samples (que pratique alors Philippe Zdar en parallèle avec Boombass au sein de La Funk Mob), est rapidement épuisé, et devient presque instantanément culte. D’autant que les deux complices ne se montrent pas, et ne le défendent pas sur scène. Après une première réédition en 2003, ce huit titres introuvable jusqu’ici sur les plateformes de streaming, ressort enfin. Philippe Zdar n’étant plus de ce monde suite à un accident en 2019, Etienne de Crécy en répond seul aujourd’hui.
Entre la sortie des deux premiers maxis de Motorbass, Visine et Trans-Phunk en 1992-1993 et la parution de l'album Pansoul en 1996, le contexte avait-il changé?
Etienne de Crécy : En trois ans, le contexte avait beaucoup changé. Quand on a commencé à travailler sur les premiers maxis, cette musique n’existait pas encore en France. Il y avait deux magasins de disques techno, BPM et Techno Import à Bastille, mais aucun Français ne faisait cette musique. On n'entendait pas encore parler de Laurent Garnier, Les Daft Punk faisaient encore du rock sous le nom de Darlin' et St Germain n'avait pas encore sorti son premier album (pour lequel le terme French Touch a été inventé par la presse anglaise NDLR). Nos influences c’était la techno de Detroit, et à ce moment-là nous allions encore dans des raves. Et puis petit à petit le truc a pris de l’ampleur, les gens s’y sont intéressés, des DJ français ont émergé et d’un coup toutes les pièces du puzzle se sont assemblées au moment où on a sorti l’album.
Comment travailliez-vous ? Qu’est ce qui explique que la musique de "Pansoul" soit si dense, qu'elle fourmille de détails sonores ?
Avec Philippe, on a toujours travaillé de la même façon, avec un sampler et un seul synthétiseur. Entre les premiers maxis et l'album, la différence de son vient du fait qu’on avait fait des progrès en trois ans et passé beaucoup de temps à faire de la musique. On avait aussi acheté des tas de disques de soul, de funk et de jazz, où se trouvait la matière première, les samples. Si l’album est si riche en textures, c’est dû aux samples. Parce que dans chaque son qu’on utilisait il y avait déjà toute une orchestration. Dans le premier sample tu avais une basse, une batterie et une guitare. Dans le deuxième il y avait les mêmes plus un piano et dans le troisième, les mêmes plus une trompette…
Vous étiez fous de techno mais l'album est aussi très hip-hop.
Au moment où on s’est mis à faire de la musique, on écoutait du hip-hop comme tous les producteurs de musique électronique, c’était la musique intéressante du moment. Il y a d’ailleurs des scratches de Jimmy Jay (DJ de Mc Solaar NDLR) sur un morceau de l’album, Flying Fingers. Mais Philippe, dans ses séances avec Mc Solaar, cachait qu’il faisait de la techno, parce que dans le hip-hop la techno était mal considérée, c’était un truc honteux.
Vous aviez sorti de la musique sous différents pseudos avant Motorbass, comme La Chatte Rouge, L’Homme qui valait trois milliards. Vous vous cherchiez ?
A l’époque, les pseudos ça se faisait beaucoup dans la techno. Nous avions aussi mis plein de logos au dos de la pochette de Pansoul. L’idée était de brouiller les pistes au maximum tout en se conformant à la culture techno dans laquelle nous voulions nous intégrer. D’ailleurs, pour Superdiscount, j’ai fait l’erreur d’utiliser plein de pseudos différents et j’ai passé ensuite le reste de ma carrière à expliquer que tous ces pseudos c’était moi ! (rires)
Quel était votre état d’esprit pour "Pansoul" ? Aviez-vous conscience de faire quelque chose de neuf musicalement ?
Il n’y avait pas d’enjeu. Aucune injonction d’efficacité sur le dance-floor, qui est aujourd’hui la principale contrainte d’un producteur de musique électronique. Et pas non plus d’enjeu commercial puisque c’était une musique qui n’existait pas commercialement. Dans la musique électronique, il y avait un désir d’être novateur, c’était vraiment une musique de recherche. Mais en même temps avec l’objectif d’être populaire, de se faire comprendre instantanément. C’est ce que j’ai adoré dans cette musique. Il y avait une grande recherche de modernité et d’économie de moyens, de simplicité. Ce n’est pas une musique de virtuose, donc personne ne faisait de démonstration de virtuosité ou de complexité. Au contraire, c’était à celui qui réussirait à faire le truc le plus novateur avec le moins d’éléments.
Avez vous tenté de refaire de la musique avec Philippe ultérieurement ?
En réalité, la sortie de Pansoul a correspondu à la fin de notre collaboration. J’ai monté le label Solid, j’ai sorti mon album Superdiscount, j’ai rencontré ma femme. On se voyait toujours régulièrement, et au début des années 2000 on a retravaillé sur des morceaux. Mais ça ne fonctionnait plus. Je pense que le fait d’être en colocation pendant 5 ans avait provoqué une alchimie particulière. Au moment où nous avons tenté de retravailler ensemble, l’album avait déjà une aura et ça mettait une pression qui n’existait pas auparavant et qui ne collait pas avec l’innocence des débuts.
Comment expliquez vous que cet album ait si peu vieilli ?
Même si j’en suis hyper fier, je trouve qu’il a quand même un peu vieilli. Après, c’est une question de fraîcheur initiale. Mais il est daté pour les jeunes de vingt ans, habitués à des sons hyper cleans. Eux, je pense qu’ils entendent un vieux disque.
Que regrettez-vous le plus de cette époque ?
La facilité, la fraicheur et l’excitation avec laquelle on faisait les choses. Je trouve que l’expérience, le poids de l’expérience, est quelque chose qui encombre pour faire de la musique électronique. Ceux dont j’aime la musique sont généralement des jeunes qui ne se sont pas pris la tête. A mon âge c’est plus difficile. Les morceaux doivent rester simples mais j’ai tendance à compliquer les choses sinon ça me paraît trop facile. Aujourd’hui, je travaille à ce que les gens n’entendent pas mon boulot, mais c'est moins fun. C’est tout un travail de faire croire que je suis encore innocent (rires).
Si on vous suppliait aujourd’hui de faire un morceau à la Motorbass, le pourriez-vous ?
Eh bien c’est à peu près ce que je fais en ce moment ! L’album sur lequel je travaille, qui n’attend plus que des featurings, ce ne sont que des samples. J’ai un nouveau plug-in qui permet d’utiliser les samples de manière assez simple. Or je me suis rendu compte que cette méthode de travail à l’ancienne, les jeunes ne savent pas faire, c’est une proposition qui n’existe pratiquement plus dans la musique électronique. Sur ce domaine là, je n’ai aucune concurrence (rires).
Ca a du sens pour vous de ressortir Pansoul aujourd’hui ?
Oui ça a du sens. D’abord parce que cet album n’a jamais été travaillé. A l’époque on n’a pas fait DJ ensemble et on ne l’a pas défendu sur scène. C’est Philippe qui était le propriétaire des masters et avec son côté foutraque il ne l’a jamais travaillé correctement. L’album est ressorti en 2003 chez Virgin et ensuite le master est resté indisponible pendant des années. Pansoul n’a jamais été disponible sur les plateformes de streaming jusqu'ici mais il le sera le jour de la réédition. Et puis je l’ai remasterisé pour l’occasion avec Alex Gopher. L’album ne sonnait pas bien, il manquait de basses. J’ai été étonné du travail qu’il a fallu faire. Mais pas d’inquiétude, en l’écoutant on pensera qu’il a toujours été comme ça.
L'album Pansoul de Motorbass ressort chez Ed Banger en version remasterisée vendredi 22 octobre 2021. Pansoul est aussi disponible pour la première fois sur toutes les plateformes de streaming (Spotify, Apple et Deezer)
Le premier album de La Funk Mob (Philippe Zdar avec Hubert Blanc-Francart dit Boombass) et celui de Superdiscount, qui fêtent également leurs 25 ans, sont réédités au même moment.
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