: Interview Sur scène, le duo Paradis tente d'amener sa house chantée au 7e ciel
Deux personnalités fortes venues d'horizons différents
L’air de rien Pierre Rousseau et Simon Mény ont réussi l’impossible avec leur projet Paradis : réconcilier la chanson française et l’électronique, le dance-floor et la langueur horizontale.Leur histoire est celle d’une "bromance" (une amitié amoureuse) entre deux garçons venus d’horizons différents, musicalement et géographiquement. Simon a grandi entre l’Argentine et Lisbonne tandis que Pierre évoluait entre les Etats-Unis et l’Angleterre. Le premier penche vers la techno dépressive alors que le second aime la disco euphorique. Leur premier point de rencontre c’est Paris. Une ville qu’ils ont découvert ensemble et où ils ont partagé très vite leur créativité musicale sur le terrain de la house music, à mi-chemin de leurs goûts respectifs.
Il y a six ans, le Dj new yorkais Tim Sweeney, animateur d’une émission de radio culte, Beats in Space, les repère sur la foi d’une reprise d’Alain Souchon, "La ballade de Jim". Visiblement séduit, il les pousse à chanter davantage et inaugure son label Beats in Space en 2011 avec un maxi des deux frenchy.
Depuis, le duo Paradis a signé chez Barclay (2014), assuré une quinzaine de premières parties pour Christine & The Queens (2015), été remarqué lors d’une résidence aux Trans Musicales de Rennes (2015), signé une poignée de remixes et démontré son amour d’Alain Chamfort avec une superbe reprise de son "Paradis" sur la compilation hommage de versions revisitées sortie l’an dernier.
"Recto Verso", album romantique
Ils ont surtout pris leur temps, presque trois ans, pour faire éclore leur premier album, "Recto Verso" sorti en septembre 2016. En les rencontrant, on comprend pourquoi : Paradis est le fruit de deux obsessionnels, de deux personnalités radicales loin d’être toujours d’accord. Simon et Pierre, qui font absolument tout ensemble sur ce disque, textes et musiques, insistent vouloir créer avec Paradis quelque chose de commun, pas une simple addition mais la manifestation d’un véritable point de fusion. "Paradis c’est vraiment cette zone où deux personnes se rencontrent, cette petite zone où on arrive tous les deux à s'accorder", résume Simon.Le résultat est un album lumineux et romantique à la simplicité trompeuse, sur le thème de l’altérité. Un album mélancolique mais jamais triste, où la voix enchanteresse de Simon enlace voluptueusement les ondoiements d’une délicieuse house downtempo. Une musique sur laquelle il fait bon aimer, rêver ou danser langoureusement.
RENCONTRE
Vous êtes le seul et peut-être même le premier groupe à mélanger house music et chanson française sur la longueur d'un album. Pourquoi selon vous ?Pierre : D'abord, nous n'avons pas l'impression de mélanger deux styles de musique, nous avons l'impression de faire quelque chose qui est le nôtre. Mais c'est vrai que l'utilisation du français dans la house est rare, à part un morceau des années 90, "Tout est bleu" de Ame Strong. On n'a pas l'impression d'avoir inventé quoi que ce soit, on a plutôt l'impression de s'inscrire dans la continuité de ce qui s'est passé dans les années 80 dans la new-wave, un moment de mélange de musique électronique et de chanson, et puis plus largement quelque chose qui existe depuis l'invention de la house partout dans le monde. La house est plus un point de départ pour nous qu'un point de convergence, elle n'était pas une fin mais un moyen, notre première manière de communiquer.
Les textes sont assez simples, élusifs et en même temps ciselés. Vous les travaillez beaucoup ?En apprenant à se connaître, on a réalisé que le plus important pour nous c'était la chanson. C'est ça notre point de convergence.
Simon : Oui, on les travaille ensemble. Et on les travaille beaucoup, on passe autant de temps sur les textes que sur la musique.
Simon, tu as une voix ensorceleuse, la travailles-tu ? Tu as aussi un phrasé très particulier…Pierre : On a voulu des textes à l'image de la musique : assez simples. On a toujours considéré qu'il y avait une complexité et une profondeur dans cette simplicité, qu'elle soit musicale ou textuelle.
Simon : On écrit les lignes de chant avant d'écrire le texte, c'est donc la musique qui dicte quelle direction les mots vont prendre. Au départ je n'avais pas pris de cours mais j'ai eu besoin de ça pour m'améliorer sur scène. Le chant, aujourd'hui, c'est quelque chose que j'ai très envie de développer.
Pierre : On passe du temps non seulement sur les rimes mais aussi sur les rimes internes aux phrases. On travaille également les consonnes comme des percussions c'est-à-dire que des "que" et des "se" tombent à des moments précis.
Simon : On ne met pas le texte au second plan mais on construit vraiment le morceau comme un puzzle, en partant du son pour aller vers une histoire que l'auditeur peut facilement s'approprier. Et puis on laisse un maximum de double sens, d'images capables d'évoquer à la fois des choses simples et plus compliquées.
Pierre : On a toujours aimé l'ambiguïté dans les textes. Ne pas savoir si on parle d'amour ou d'amitié, de travail, de relations sociales…
Vous semblez également cultiver l'ambiguïté sur la nature de votre relation…
Pierre : C'est juste que notre relation est ambigüe, c'est tout.
Simon : Le thème de la dualité de l'album c'est pareil, c'est arrivé tout seul. A force d'écrire des chansons on s'est aperçus qu'il y avait ce thème récurrent d'opposition des points de vue.
Pierre : Nos chansons et notre groupe ont toujours été pour nous une façon de nous retrouver. Notre musique c'est ce qui nous permet de nous réunir.
Pierre : La musique de Paradis n'est ni la mienne ni la sienne, c'est vraiment la nôtre, c'est quelque chose de très radical. Paradis est une démocratie autoritaire, assez jusqu'au-boutiste, avec deux parties à 50%. (rires)
Au-delà de la musique, vous avez un goût prononcé pour la photo et vous supervisez tous vos visuels et vos clips. D'où vient la photo de la pochette de l'album "Recto Verso" ?
Simon : Nous avons choisi de travailler avec le photographe Andrea Montano. Nous ne voulions pas poser, nous voulions accompagner le projet d’une imagerie la plus spontanée et réelle possible. Nous lui avons donc proposé de nous suivre en tournée en 2015, en se disant qu'une de ses photos ferait sans doute la pochette.
En fait, on ne sait pas vraiment si vous vous embrassez ou si vous vous battez sur cette photo où l'on vous voit dans l'eau ?
Simon : Oui, c’est ce qu’on a compris au bout d’un long moment avec cette image qui est restée en marge très longtemps. Cette photo n’était pas du tout ce qu’on imaginait comme esthétique pour nous. Mais elle représente tellement de symboles qui étaient forts sur le disque et sur le texte et sur notre relation, qu’elle a fini par s'imposer.
Pierre : C’est la même chose que dans le choix des mots, il n’y a aucun code temporel sur cette photo : c’est de l’eau et des corps, il n’y a pas de vêtements, pas de marqueurs, ça pourrait être il y a un million d’années ou bien il y a 20 ans, et, s’il reste de l’eau sur terre, dans 50 ans.Simon : C’est très important pour nous d’avoir une imagerie forte et qui interpelle. Cette photo de deux garçons qui ont l’air d’être nus dans l’eau est à l’image de notre musique, où la capacité de projection et de fantasme est forte.
On imagine que vous, si pudiques et timides, avez dû vous pousser pour aller sur scène.
Pierre : Je n'avais même pas envisagé de faire de la scène ! Ca a presque été un sujet de discorde entre nous. La plus grande mise en danger de notre vie ça a été de signer sur une maison de disque et d'aller en concert.
Simon : On y est allés parce qu'il y avait une envie de notre public. Au début, on jouait des disques en Dj's et les gens venaient nous voir pour qu'on joue nos chansons. La musique on la fait pour nous mais les concerts c'est pour le public. On a compris ça assez rapidement mais on ne savait pas du tout comment s'y prendre. Notre tout premier live c'était le 7 mars 2015 sur le parvis de Beaubourg, nous accompagnions un défilé de mode, c'était un cadre assez incroyable. On est ensuite partis dans la foulée sur une quinzaine de dates en première partie de Christine & The Queens. C'était trop tôt dans le processus, on était tous les deux avec nos machines, c'était laborieux, on a des souvenirs de live terribles.
Et puis il y a eu la résidence aux Trans Musicales de Rennes en décembre 2015, qui a fait décoller votre notoriété…
Simon : Là on intègre un musicien au clavier pour créer un pont entre la rythmique et la voix. C'est une autre étape vers quelque chose de plus organique. Ensuite, la sortie de notre album ayant été décalée par la maison de disques, nous avons tourné à l'été 2016 en tant que Dj's avec un live unique au Midi Festival. Nous avions juste répété la veille avec le batteur et pourtant c'était super bien, c'est un très très bon souvenir. L'album est sorti en septembre puis nous avons été mettre au point le live durant une semaine à la Paloma de Nîmes. Enfin, il y a eu le concert à la Cigale au festival des Inrocks en novembre, notre premier vrai live à Paris. Un concert très important car c'est la première fois que l'on a ressenti quelque chose de fort de la part public.
Dans quelle configuration vous produisez-vous actuellement, et notamment à la Gaité Lyrique les 24 et 25 mars puis à la Cigale le 16 mai?
Pierre : aujourd'hui, nous avons deux musiciens avec nous sur scène, un batteur qui ne joue pas une note d'électronique et un claviériste au Fender Rhodes et au synthé. Moi je joue de la guitare alors qu'il n'y en a pas ou très peu sur l'album et Simon chante et contrôle un synthétiseur que l'on ne trouve pas non plus sur le disque.
Le Live est donc très différent de l'album ? Comment avez-vous adapté votre musique à la scène ?
Pierre : Il s'agit vraiment d'autres versions, on a complètement réadapté notre musique. Reproduire en concert ce qu'on avait fait en studio s'est vite avéré complètement impossible. Cela nous a pris deux ans pour comprendre qu'il fallait réinterpréter notre musique. Ce travail nous a fait réaliser la force d'une chanson. Car une chanson, ce n'est pas qu'un enregistrement. Une chanson, quand elle est bonne, est une œuvre vivante qui a vocation à être reprise, réinterprétée sous une autre forme, sur scène notamment. En terme d’arrangements, cela n’a plus rien à voir avec l'album. En studio, tout est dans la retenue, alors qu’en live c’est presque le contraire.
Simon : Notre live c’est comme si on challengeait nos chansons pour savoir si elles étaient bonnes, au-delà de leur forme première. On provoque nos chansons, on leur dit est-ce que t’es cap’ d’exister autrement ?
Pierre : Le live comporte des moments extrêmement bruyants, il y a des guitares avec de la distorsion, et une batterie qui fait clang clang, toutes choses qui ne sont pas sur le disque.
Vous êtes désormais à l'aise sur scène ? Vous vous lâchez, il y a du bonheur ?
Pierre : Il y a du bonheur mais il y a pas mal de frustration aussi. Car il y a un cap qu’on a toujours pas réussi à passer c’est que lorsque le public est dans la réserve, on est dans la réserve aussi. Du coup, je commence à fantasmer d’arriver à soulever un public même s’il dort, comme les artistes qu’on admire qui ont cette capacité. Mais il va sans doute falloir plus de trente dates…
A quand le prochain album ? Avez-vous déjà écrit des morceaux ?
Pierre : On ne compose pas sur la route. Et on ne composera pas avant la fin de la tournée. Ensuite il y aura sans doute une période de blanc. Après avoir passé tant d'années ensemble, on a besoin de vivre des choses chacun de son côté pour se reconstruire et alimenter Paradis.
Simon : Le prochain album sera sans doute nourri de la nouvelle approche que nous apporte le live, peut-être plus acoustique. La chose la plus importante, et sur laquelle on s’entend le mieux ce sont les émotions musicales, la couleur des accords. Ca je pense que ça ne va pas changer. On fera toujours une musique qui aura cette couleur et cette émotion.
Pierre : C’est quelque chose que le live nous a permis de comprendre. Personne n'est venu nous voir après un concert en se plaignant que ce soit trop différent du disque, parce que la substance musicale est là. On n’utilise quasiment que des accords mineurs 7 : un accord mineur 7 c’est la rencontre entre un accord majeur et un accord mineur. Cet accord, c'est notre bébé.
Paradis est en concert les 24 et 25 mars à Paris (Gaîté Lyrique, complet les deux soirs), le 30 mars à Saint Jean de Vedas (34) au Tropisme Festival, le 1er avril à Cognac, le 6 avril à Chamonix, le 7 avril à Metz, le 8 avril à Mulhouse, le 20 avril au Printemps de Bourges, le 22 avril à Bruxelles (Le Botanique), le 16 mai à Paris (La Cigale), le 20 mai à Reims etc
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