Nicolas Godin de Air en solo avec "Contrepoint": "Bach m'a sauvé !"
"Avec les synthétiseurs, les boîtes à rythmes et les vocoders, je sentais que j'étais au bout de ce que je pouvais faire. J'avais l'impression de tourner en rond", se souvient Nicolas Godin dans l'entretien éclairant réalisé en juin lors du tournage de ce live à Rome, où le musicien a bénéficié d'une résidence d'artiste à la prestigieuse Académie de France.
"Pour me sortir de là, il me fallait revenir à la source de la musique, avant l'invention du matériel qui m'a permis à moi, adolescent autodidacte, de créer un univers musical". Pour ce retour aux sources, le musicien reprend ses études de piano et se fait happer par le génie de Glenn Gould, qui lui pose "des questions vitales".
Jouer avec l'oeuvre de Bach et le contrepoint
Le fameux travail de Gould sur "Les variations Goldberg" de Bach l'amène à considérer sous un œil neuf l'œuvre de l'immense compositeur de Leipzig. Et en particulier comme "quelque chose qui n'est pas figé et avec lequel on peut jouer". "Ca a été une vraie délivrance pour moi", raconte-t-il. Si Glenn Gould l'a incité à repousser les limites de l'interprétation, 'la musique de Jean-Sébastien Bach m'a sauvé, ça a sauvé ma créativité et mon amour de la musique", dit-il.Grand explorateur des formes musicales, Jean-Sébastien Bach est notamment le maître du contrepoint. La technique de composition contrapuntique consiste à superposer plusieurs lignes mélodiques indépendantes de même force, enchevêtrées en un même morceau. "Ca m'a beaucoup rappelé la double hélice de l'ADN", remarque Nicolas Godin. "Il y a une force dans la musique de Bach, un sentiment de puissance incroyable du fait de cet enchevêtrement absolument parfait".
"La musique est une énergie"
Persuadé qu'il doit chercher la clé de son salut dans le "Clavier bien tempéré" de Bach, Nicolas Godin s'entraîne durant plusieurs années sur ces pièces. La maîtrise venue, il décide d'enregistrer sa propre version du Clavier bien tempéré. Gonflé pour un pianiste non académique et alors que des légendes s'y sont attelées avant lui. "Mais je me suis dit après tout, la musique est une énergie. Et puis ma vision n'est pas plus conne qu'une autre."Il va cependant se heurter à une déconvenue de taille : ses propres limites techniques. La raideur de ses doigts l'empêche de jouer la phrase comme il l'entend. Qu'à cela ne tienne. Il fera avec ses outils habituels – sons, filtres, effets, équalisations - et coupera tout ce qui, dans cette science musicale d'hier, ne peut être adapté aux instruments contemporains – synthétiseurs, boîtes à rythmes – car sonnant trop kitsch.
Bach, point de départ d'un infini champ des possibles
L'aboutissement de ce travail de réinterprétation se trouve sur l'album "Contrepoint". Pour cet exercice de style, Nicolas Godin a pris une composition de Bach comme point de départ de chaque pièce. Mais il s'est bien gardé d'en rester là, l'ouvrant ensuite à tous les horizons.Ce disque contient aussi bien des clins d'oeil appuyés au jazz ("Club Nine" et son hommage au Take Five de Dave Brubeck), qu'à la bossa nova ("Clara") et à la musique de films (le féérique "Elfe Man", hommage à Danny Elfman, fidèle compositeur des films de Tim Burton et la pièce de résistance "Bach Off", hommage à Lalo Schifrin) et recèle de nombreux éclats pop, y compris de pop électronique majestueuse à la Air (on ne se refait pas).
On y entend aussi Thomas Mars de Phoenix chantant allemand sur l'adaptation de la cantate "Widerstehe Dor Der Sunde" et Glenn Gould (disparu en 1982) évoquant "une nouvelle approche de l'interprétation à l'heure des super techniques d'enregistrement" (sur "Glenn"). Mais aussi le chant voluptueux du Brésilien Marcelo Camelo et, sur le romantique "Quei Due", une Italienne lisant un texte écrit tout spécialement par l'écrivain Alessandro Barrico racontant la première rencontre, à Rome, entre Scott et Zelda Fitzgerald.
L'album captivant d'un architecte du son
Toutefois, à la première écoute, le disque pourra désarçonner les amateurs de Air. Seuls les connaisseurs de Bach seront à même d'en percevoir immédiatement tous les clins d'œil et les subtilités. Mais il suffira de comprendre le processus de création pour y entrer de plain pied. Car comme l'audacieuse pièce centrale "Bach Off" pleine de rebondissements, ce disque parvient à captiver, évitant ce faisant l'écueil de l'élitisme.Ancien étudiant en architecture issu d'une famille d'architectes, Nicolas Godin étonnait dès ses premières interviews en 1995 en citant les théories de Le Corbusier comme influence pour son instrumental "Modulor". Aujourd'hui, pour décrire l'effet produit par les compositions de Jean-Sébastien Bach, il poursuit le même raisonnement : "il faut se rapprocher de l'architecture", dit-il, "pour voir des choses aussi solidement construites et qui sont aussi légères d'apparence".
"De la même façon qu'en architecture ce ne sont pas les murs qui sont importants mais l'espace qui est entre les murs, pour moi l'espace entre deux sons est beaucoup plus important que les sons eux-mêmes. Je crée de la musique en 3D. Mon but à la fin c'est de pouvoir poser le morceau sur une table et qu'on puisse le regarder." Chiche ?
Album "Contrepoint" de Nicolas Godin (Because Music) sortie le 18 septembre 2015
Nicolas Godin est en concert le 5 novembre à Paris (la Gaîté Lyrique)
Le tracklisting du Live Culturebox à la Villa Médicis :
1. Glenn
2. Taj Mahal (un titre qui n'est pas sur l'album et qu'il a composé pour le film du même nom de Nicolas Saada au cinéma le 7 octobre prochain)
3. Clara
4. Quei Due
5. Lautner (pas non plus sur l'album)
6. Orca
7. Bach Off
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