Nuits de Fourvière : le "bon jour" de Bob Dylan
"Dylan is Dylan" et il crée toujours l’engouement. Pendant que plusieurs dizaines de personnes s’agglutinent à l’extérieur, devant les grilles du théâtre, pour tenter d’apercevoir la star sur scène, une foule hétéroclite de têtes blanches et de jeunes trentenaires prend place dans les travées chauffées par le soleil. N’en déplaise aux habitués du festival, cette fois, les spectateurs n’ont pas droit aux coussins individuels. Bob Dylan ne veut pas subir le traditionnel lancer en sa direction. La légende n’accepte pas non plus de photo, ni d'enregistrement, ni de rencontre avec la presse.
Des milliers de fans fébriles
Dans l’assistance, on ne s’étonne pas que l’artiste se dérobe à certaines obligations, cela fait partie du personnage. Marianne, 50 ans, vient au concert à reculons : "avec lui," lance-t-elle, "c’est à double tranchant : soit il donne beaucoup, soit il tourne le dos au public," comme cela avait été le cas il y a deux ans à la Halle Tony Garnier de Lyon. Mais Bob Dylan va s’avérer dans un bon jour.
Sous son chapeau à bord rigide, ses bottes blanches aux pieds, ce cow-boy de 71 ans fait son apparition aux notes d’"Absolutely Sweet Mary". Sa voix rauque qui rend les paroles bien souvent incompréhensibles frappe immédiatement et on redécouvre avec ce premier morceau, le portrait de ce routard amoureux, présent sur l’album "Blonde on Blonde". Cette chanson est une bonne surprise pour Richard, stetson de cuir sur la tête. "Dylanologue" depuis l’âge de 14 ans, ce quadragénaire explique que son idole interprète rarement ce titre en live. Preuve que ce soir-là, le chanteur veut surprendre ses fans, peut être plus qu’à l’accoutumée. Il le fait avec plus ou moins de réussite, au fil de ses quelques 110 concerts annuels depuis le début de son "Never ending tour" en 1988.
Une légende férue d'expérimentations
Au chant, au piano ou à l’harmonica, l’artiste enchaîne ses tubes très vite, sans un mot pour le public : "Things have changed", "Tangled up in blue" ou encore "Rollin’ and Tumblin’". Des couacs techniques et quelques faussetés (derrière son clavier, il démarre parfois, une tonalité en-dessous de ses musiciens) n’empêchent pas les moments de grâce, notamment cette version surprenante et très travaillée de "Desolation Row". Emporté par le swing de son blues unique, il se lance alors dans quelques pas de danse.
Dylan monopolise l’attention de ses cinq musiciens (dont l’excellent Charlie Sexton à la guitare), tous entièrement à son service. Il est bien souvent habité par sa musique comme lorsqu’il se délecte de son "Sugar Baby". Etonnamment, un sourire éclaire régulièrement son visage et son regard parcourt les premiers rangs. Les étoiles de la nuit lyonnaise l'incitent au partage. Malgré sa voix éraillée et parfois mal assurée, une grande sensibilité se dégage souvent de son interprétation comme dans "Forgetful heart", très mélancolique ce soir-là. Quand il lance "Without you, it is so hard today", il nous touche en plein coeur.
Le mythe Dylan suscite toujours la fascination. Mais alors que l’on semble tutoyer le ciel, des détails viennent interrompre notre élan. Principal frein : l’expérimentation vocale. Il y a les effets de réverbe trop métalliques, mais aussi les mots que le chanteur triture comme s’il les passait dans une moulinette country d’un autre temps. Manifestement, il prend du plaisir à s’amuser ainsi de ses propres morceaux. Mais du côté des spectateurs, certains s’agacent de ses prises de risques devenues de plus en plus systématiques. Comme l’affirme Régis, 58 ans, venu spécialement de Bourges pour ce concert, "c’est bien qu’il essaie des choses, mais ce n’est pas toujours réussi !"
D’autres au contraire, s’enthousiasment et lui pardonnent tout. "C’est l’un des seuls grands artistes qui ne cherchent pas à plaire," estime François, un autre fan de toujours, "il est toujours là où on ne l’attend pas et puis, il n’a pas peur de vieillir contrairement à un groupe comme les Rolling Stones qui font la même chose depuis quarante ans." C'est d'ailleurs sur le cultissime "Like a Rolling Stone" suivi de "All along the Watchtower" que Bob Dylan achève sa performance.
Le chanteur Raphaël le compare à Presley et Lennon
Le public semble avoir du mal à réaliser, conscient de vivre un moment historique aux côtés de l’une des figures de la musique populaire américaine. Le chanteur Raphaël, présent dans l’assistance, nous confie le comparer à Elvis Presley et John Lennon. "Sept cents groupes se sont formés grâce à lui et pour ma part, je ne peux pas dire qu’il m’influence dans mon travail, mais il a tout simplement inventé les mots dont on se sert."
Après une prestation de près de deux heures et une ovation prolongée, Dylan accepte de revenir pour un seul rappel : une version triste de "Blowin’ in the wind". A la dernière note, il nous tourne le dos sans un remerciement et quitte la scène, déjà plongée dans le noir. Le mythe nous échappe une nouvelle fois.
Prochains concerts prévus en France :
- le 20 juillet 2012 dans les Arènes de Bayonne
- le 22 juillet 2012 au festival des Vieilles Charrues à Carhaix
Bob Dylan sort le 11 septembre 2012, chez Columbia Records, un 35ème album baptisé "Tempest". Une production de "Jack Frost", un pseudonyme que le chanteur a utilisé dans le passé. Dix nouvelles chansons originales le composeront. Sa publication coïncidera avec le 50ème anniversaire de la sortie du premier album de l'artiste.
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