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Pussy Riot : l'Occident fustige le verdict, la Russie est divisée

La Russie fait face, ce samedi, à une volée de critiques après la condamnation, vendredi, à deux ans de camp des trois jeunes contestataires du groupe de punk rock russe Pussy Riot, une peine qui pourrait toutefois être adoucie en appel, selon des observateurs. Pendant ce temps, l'affaire divise le pays, alors que le patriarcat orthodoxe russe prône désormais "la clémence".
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture
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Manifestation de soutien à Berlin aux Pussy Riot, vendredi 17 août 2012.
 (Marcus Bandt / AFP)

De Washington à Berlin, de Paris à Bruxelles, la sentence a été qualifiée vendredi de "disproportionnée" à l'égard de Nadejda Tolokonnikova, 22 ans, Ekaterina Samoutsevitch, 30 ans, et Maria Alekhina, 24 ans, jugées pour avoir chanté en février une "prière punk" anti-Poutine dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou.

Moscou se justifie
Face à ce tollé, le ministère russe des Affaires étrangères a rétorqué samedi dans un communiqué que le code pénal en Allemagne prévoyait que "les délits effectués contre la religion et les opinions, y compris les actes de hooliganisme dans les lieux de prière, sont punis d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à trois ans ou d'une amende".

"L'article 189 du code pénal d'Autriche prévoit pour les actes de hooliganisme dans les église, offensant la morale une condamnation de prison allant jusqu'à six mois ou une amende pouvant atteindre 360 jours de salaire", ajoute la diplomatie russe.

La Russie partagée
En Russie, les opinions sont contrastées. "La peine qui divise la société : deux ans de camp", titre samedi le quotidien populaire Moskovski Komsomolets. Selon un sondage interactif effectué par la radio indépendante Echo de Moscou, 77% des auditeurs estiment qu'"il n'est pas possible d'être d'accord" avec la condamnation.

"Deux ans, c'est vraiment beaucoup", écrit de son côté "Komsomolskaïa Pravda", qui entrevoit toutefois une issue plus favorable pour les jeunes femmes dans le futur. "On a le sentiment que le tribunal de Moscou, après le pourvoi en cassation des avocats ne laissera qu'un an (de camp) et rendra la liberté à ces sottes, pour retrouver leurs enfants et leurs proches", ajoute toutefois le journal.

"Tout repose sur la cassation", confirme Denis Dvornikov, membre de la Chambre civile cité par l'agence Interfax, un organe consultatif auprès des autorités. "Le tribunal devait avertir ceux qui voudraient faire la même chose, que de tels actes coûtent deux ans." Et d'ajouter : "En cassation, la peine sera diminuée pour que les prévenues puissent sortir un mois plus tard. D'autant plus qu'il y a maintenant des raisons sérieuses de le faire, après les déclarations officielles de l'Eglise."

En effet, vendredi soir, le Patriarcat orthodoxe russe a prôné vendredi soir "la clémence" envers les jeunes femmes, exprimant "l'espoir qu'elles renonceront à toute répétition de ce genre de sacrilège". Jusque-là, l'attitude intransigeante adoptée par la hiérarchie orthodoxe dans cette affaire a écorné l'image de l'Eglise dans la société et troublé une partie des fidèles, y compris des prêtres, pour qui pardonner aux jeunes femmes aurait été plus conforme aux valeurs chrétiennes.

L'hypothèse d'une grâce peu plausible pour l'instant
Par ailleurs, l'hypothèse d'une grâce se heurte à un obstacle de taille : les trois Pussy Riot ont annoncé qu'elles ne la demanderaient pas à Vladimir Poutine et refusent de reconnaître leur culpabilité. Or, un haut responsable du parti au pouvoir Russie Unie, Sergueï Neverov, a souligné à Ria Novosti qu'un geste de clémence du chef de l'Etat n'était envisageable que si les trois jeunes femmes "faisaient une demande en ce sens au président".

"Une libération avant terme et une mesure de grâce ne sont possibles que si les condamnées reconnaissent leur faute et s'en repentent", a renchéri un autre membre de la Chambre civile, Iossif Diskine. Une hypothèse a priori exclue dans le cas des Pussy Riot.

Manifestation à Paris, vendredi 17 août 2012.
 (Nicolas Kovarik / Citizenside / AFP)

Madonna "bouleversée et dégoûtée"
En concert samedi soir à Zurich, en Suisse, la popstar américaine s'est déclarée "bouleversée et dégoûtée" par la condamnation des membres de Pussy Riot. "Je vais consacrer le reste de ma vie à combattre toutes les formes de discrimination et je crois vraiment que je peux le faire par ma musique, avec ceux qui sont autour de moi (désignant ses musiciens), à travers mon art." La chanteuse avait manifesté son soutien pour le groupe de contestataires le 7 août lors d'un concert en Russie, un pays où elle a affronté critiques et polémiques.

Réactions officielles internationales après le verdict

En France
: "Le verdict prononcé ce jour apparaît comme particulièrement disproportionné, compte tenu des faits mineurs qui leur sont reprochés", a indiqué M. Floreani, porte-parole adjoint du Quai d'Orsay. Il a noté toutefois que "la procédure n'est pas terminée, les voies de recours en Russie et à Strasbourg n'ayant pas été épuisées".

La ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, a fait part vendredi de sa "consternation" après l'annonce du verdict. Dans un communiqué, elle "regrette profondément cette décision et cette peine manifestement démesurée, à l'encontre de trois jeunes femmes qui ont l'insolence de leurs vingt ans et le goût de la provocation qui caractérise la musique punk".

De son côté, la ministre française des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement Najet Vallaud-Belkacem avait salué dans la matinée les manifestations en tweetant "L'impertinence ne devrait jamais amener en prison".

Aux Etats-Unis : Le département d'Etat américain a dénoncé lui aussi vendredi un verdict "disproportionné", et s'est dit "préoccupé à la fois par le verdict, par les peines disproportionnées infligées (...) et par l'impact négatif sur la liberté d'expression en Russie". Washington a exhorté Moscou à "réviser ce procès" et à "assurer le respect de la liberté d'expression".

En Allemagne : la chancelière allemande Angela Merkel a condamné la sentence, l'estimant "démesurément dure". Cela "n'est pas en harmonie avec les valeurs européennes d'Etat de droit et de démocratie pour lesquelles la Russie s'est prononcé en tant que membre du Conseil de l'Europe", a déclaré Mme Merkel qui a dit avoir suivi le procès avec "inquiétude". "Une société civile dynamique et des citoyens engagés politiquement sont une condition nécessaire à la modernisation de la Russie et pas une menace pour ce pays", a ajouté la chancelière, ancienne citoyenne de l'ex-RDA communiste.

Grande-Bretagne : Le secrétaire britannique aux Affaires étrangères Alistair Blurt, a estimé que la sentence était "disproportionnée" et qu'elle "met en cause l'engagement de la Russie à protéger les droits fondamentaux et les libertés", y compris le droit à la liberté d'expression. Alistair Blurt s'est aussi déclaré "très inquiet des informations sur la détention des jeunes femmes et la conduite du procès".

Union Européenne : Le chef de la diplomatie de l'UE, Catherine Ashton, s'est déclarée "profondément déçue" par le verdict qu'elle a jugé "disproportionné". Rappelant les allégations de "mauvais traitements" à l'encontre des trois jeunes femmes pendant leur détention provisoire et les "irrégularités" signalées au cours de leur procès, Mme Ashton a affirmé que cette affaire posait une "sérieuse question" quant au respect du droit en Russie. Cette affaire, a-t-elle souligné, "est contraire aux obligations internationales de la Russie en matière de respect de la liberté d'expression".

L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a dénoncé vendredi le verdict, redoutant une tendance dans plusieurs pays à limiter la liberté d'expression.

Manifestante à Barcelone (Espagne), vendredi 17 août 2012.
 (Josep Lago / AFP)
Manifestations de soutien

A Paris, environ 200 personnes réunies près du musée Beaubourg ont accueilli par des huées l'annonce des attendus du verdict reconnaissant coupables de "hooliganisme" et d'"incitation à la haine religieuse" Nadejda Tolokonnikova, Ekaterina Samoutsevitch et Maria Alekhina. Quelques jeunes femmes avaient le visage masqué par des cagoules de couleur, comme étaient apparues les trois jeunes Russes dans la vidéo tournée en février qui leur a valu d'être poursuivies par la justice.

A Londres, une cinquantaine de personnes s'étaient donné rendez-vous au Royal Court Theatre, au coeur de la capitale, qui avait mis en scène une mini-pièce intitulée "Pussy Riots, the final verdict", où des actrices ont rejoué les plaidoiries des trois jeunes femmes lors du procès.

A Bruxelles, une cinquantaine de personnes se sont rassemblées à proximité de l'ambassade russe. Certains manifestants arboraient des portraits de Vladimir Poutine, outrageusement maquillé et rebaptisé pour l'occasion "Vladimir Pussy".

A Kiev, une militante du mouvement ukrainien Femen, Inna Chevtchenko, seins nus et armée d'une tronçonneuse, a scié une croix érigée à la mémoire de victimes de répressions staliniennes.

A Sofia, le monument des soldats de l'Armée Rouge a été la cible d'une action de manifestants qui ont décoré les soldats de la marque du groupe punk russe, une cagoule colorée.

A Barcelone (Espagne), une cinquantaine de jeunes se sont rassemblés près de l'église de la Sagrada Familia pour réclamer "la liberté pour Pussy Riot".

A Varsovie, une centaine de manifestants ont défilé quelques heures après la signature dans la capitale polonaise par le patriarche orthodoxe russe Kirill et le chef de l'Eglise catholique de Pologne Jozef Michalik d'un appel inédit à la réconciliation polono-russe.
Une militante du mouvement ukrainien Femen, scie à la tronçonneuse une croix en soutien aux Pussy Riot.
 (Genya Savilov / AFP)

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