"Electro de Kraftwerk à Daft Punk" à la Philharmonie: 7 questions au commissaire d'exposition Jean-Yves Leloup
Quel est votre rapport personnel à la musique électronique ? Comment l’avez-vous découverte et pourquoi vous passionne-t-elle ?
Jean-Yves Leloup : Je suis né en 1968 et j’ai écouté très jeune Kraftwerk, Jean-Michel Jarre, Art of Noise. Comme beaucoup de jeunes des années 70 et 80 la musique électronique représentait pour moi la musique du futur et une forme d’incarnation de la science fiction qui nous fascinait à l’époque. Ensuite il il y a eu la découverte de la house et de la techno et je me suis retrouvé à travailler dès 1989 à Radio FG, devenu le média central de cette culture. J’y ai travaillé une quinzaine d’années et j’y ai vu de près tous les nouveaux dj internationaux, souvent du même âge que moi, venus parler et mixer à l’antenne. C’est donc une musique qui m’a accompagné naturellement toute ma vie.
Quelle approche avez-vous privilégiée pour l’exposition ?
Ni les responsables de la Philharmonie ni moi ne voulions d’une approche historique et didactique - dans ce cas mieux vaut faire un livre et j’en ai écrit plusieurs. L’idée était de faire une exposition-expérience. J’ai été un raveur assidu pendant quelques années, de 1991 à 1996, une période intense et hédoniste. Ce qui m’a beaucoup frappé c’est l’esthétique, cette immersion dans les corps, les lumières, les fumigènes et cette forme de communion et de participation du public avec la danse. On retrouve cette approche très sensorielle de l’art et de la musique dans cette exposition, dans la scénographie et la mise en valeur des danseurs anonymes au même titre que les artistes novateurs.
De quelle façon le dj et producteur Laurent Garnier a-t-il collaboré à l'exposition ?
Laurent Garnier a été un des premiers à participer à l’exposition et à dire oui. Il a travaillé sur des mixes autour de différentes thématiques, soit autour d’une ville (Berlin, Detroit, Chicago, New York etc), soit autour d’une esthétique ou d’une époque (disco, bass music, ambient, electronica etc). Il a réalisé onze mixes au total, de 30 minutes chacun, qui sont joués en permanence dans l’exposition. C’est une bande-son unificatrice : tout le monde entend la même musique u même moment. Et on sait toujours ce qui est joué car la playlist est affichée et actualisée en temps réel sur les murs.
D’autres figures de la musique électronique ont-elles contribué à cette exposition ?
Les figures majeures de la musique électronique ont participé activement. Jean-Michel Jarre prête pour la première fois ses instruments et a conçu son studio imaginaire pour l’exposition, un studio qui rassemble certaines des technologies novatrices qui l’ont accompagné depuis 50 ans. Il était encore là il y a quelques jours, à fabriquer ce studio devant nos yeux. Les Daft Punk se sont aussi beaucoup impliqués. Leur installation baptisée "Technologic Redux" est leur première participation à une exposition. Ils ont essayé de recréer une scène d’un de leurs clips en travaillant notamment sur un petit robot qui va chanter a cappella le morceau "Technologic", qui décrit assez bien nos usages modernes des technologies. Le fondateur de Kraftwerk Ralph Hütter est venu régulièrement lui aussi, nous avons beaucoup discuté et il a proposé de donner des concerts à la Philharmonie. Il ne voulait pas prêter des instruments ou des robots, une approche qu’il trouve trop fétichiste. Il souhaitait plutôt montrer le résultat de son travail avec une série de vidéos en relief à voir avec des lunettes 3D et un son surround immersif. Jeff Mills était là hier, il nous a prêtés un costume et un instrument. Jacques et Molécule ont également contribué à l’exposition avec une œuvre chacun.
Qu'avez-vous découvert en montant cette exposition ?
J'ai découvert le côté indépendant de ces artistes majeurs, qui contrôlent tout ce qui a trait à leur oeuvre jusque dans le moindre détail. Daft Punk, Jean-Michel Jarre et Kraftwerk sont tous venus durant le montage de l'exposition. Ce sont des perfectionnistes. Tous conçoivent en outre leur oeuvre comme allant au-delà de la musique elle-même, ils essayent de travailler sur une sorte d'oeuvre d'art total, même si le terme peut paraître un peu prétentieux, et ont une approche multimédia. J'ai découvert par ailleurs que si les jeunes écoutent des musiques différentes, dans des pays différents et à des époques différentes, le désir de communion, cette volonté d'hédonisme et de transcendance à travers la musique, sont des valeurs que l'on retrouve partout, de l'Afrique du Sud à Moscou, en passant par Paris ou Rio.
Parlez nous de 1024, auteurs de la scénographie et d'une l'installation spectaculaire à l'exposition.
1024 Architecture est un duo d’artistes : ils sont, disent ils, "architectes de formation et artistes de déformation". Ils se sont fait connaître en 2007 avec le Cube, le dispositif scénique de Etienne de Crécy pour la tournée Beats’n’Cubes qui a duré sept ans. Artisans du développement du mapping, auteurs d'installations d’art numérique, ils conçoivent également leurs propres logiciels. Ce sont donc des artistes complets et très exigeants. Pour l’exposition, ils ont d'abord conçu une œuvre d’art numérique, Core, une installation synchronisée sur la bande-son de Laurent Garnier qui met en œuvre une technique de spatialisation de la lumière. Ils présentent aussi le Walking Cube. Et ils ont finalement créé toute la scénographie de l’exposition.
Que répondez-vous à ceux qui ne veulent pas voir la musique électronique muséifiée ?
Il ne s’agit pas de muséifier la musique. D’abord ici ce n’est pas un musée mais un espace d’expositions temporaires. L’électronique est une culture très vivante mais qui a une histoire. Certaines personnes ressentiront peut être un peu de nostalgie en venant mais nous avons tenu à avoir des artistes d’hier et d’aujourd’hui et à montrer des choses encore en train de se faire. On donne à voir et à entendre une culture en action mais qui a des racines et des fondements, tout simplement.
Exposition "Electro, de Kraftwerk à Daft Punk" à la Philharmonie de Paris Jusqu' au 11 août 2019
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