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"Voir qu’après 25 ans la Techno Parade existe encore, ça me donne de la joie" : entretien avec Tommy Vaudecranne, le président de Technopol

Les amateurs de musiques électroniques ont rendez-vous samedi 23 septembre dans les rues de Paris à la Techno Parade, qui célèbre ses 25 ans d'activisme. Franceinfo Culture a discuté passé, présent et futur avec le président de Technopol, organisateur de l'événement.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6 min
Des milliers de personnes suivent les chars de la Techno Parade 2017 dans les rue de Paris. (LAURA PEREZ VIA TECHNOPOL)

La Techno Parade souffle ses 25 bougies avec un parcours festif en musique samedi 23 septembre dès midi à Paris, entre la place de la Bastille et la place de la Nation, ambiancé par une quinzaine de chars et des dizaines de DJ. Les musiques électroniques ont-elles encore besoin d'être défendues en France en 2023 ? Vingt-cinq ans d'activisme ont porté leurs fruits, mais des combats restent à mener, nous dit Tommy Vaudecranne, le président de Technopol, organisateur historique de l’événement qui attend cette année encore plusieurs dizaines de milliers de participants.


La Techno Parade fête ses 25 ans, qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Tommy Vaudecranne 
: Cela me procure beaucoup d’émotions. En 1998 j’étais déjà DJ mais j’ai assisté à la première Techno Parade dans le public, du début à la fin. De voir ces centaines de milliers de personnes en train de danser sur la place de la Nation, c’était incroyable ! J’ai rejoint Technopol en 2002 et j’en suis président depuis 2010. 

Alors, de voir qu’après 25 ans la Techno Parade existe encore, ça me donne de la joie. Parce que ça montre que le combat qu’on a mené a porté ses fruits, que l’événement est aujourd’hui installé, identifié, et qu’il permet de donner de la visibilité aux acteurs et aux actrices des musiques électroniques.

Tommy Vaudecranne, président de Technopol

à Franceinfo Culture

Il nous permet aussi de prendre la parole dans les médias pour évoquer différents sujets et porter nos revendications, qui ont forcément évolué depuis 1998 mais qui restent pour certaines d’actualité. J’éprouve de la joie mais cela n’empêche pas les difficultés, parce que les budgets sont de plus en plus difficiles à boucler. Chaque année, pour nous, c’est le même combat. Il faut repartir de zéro, trouver des sponsors, convaincre des institutions de nous aider. Donc voir l’événement se tenir chaque année c’est extraordinaire. Et célébrer ses 25 ans c’est encore plus fou, y compris dans ma vie personnelle et celle de beaucoup d’autres, qui étaient à la première édition et viennent aujourd’hui avec leurs enfants.

Comment les objectifs de la Techno Parade ont-ils évolué depuis 25 ans ?
Quand on a commencé, il fallait qu’on existe, qu’on soit reconnus, que les rassemblements de musiques électroniques cessent d’être diabolisés et interdits systématiquement. Il fallait qu’on montre que les DJ sont des musiciens, qu’être producteur ou DJ c’est un métier, et obtenir des accompagnements institutionnels. Aujourd’hui, on a passé cette étape mais on reste vigilants sur les questions d’acceptation. On ne peut pas dire qu’il y a une forte interdiction des événements de musiques électroniques en France mais il y a souvent des tensions, des effectifs de police plus importants, on cherche toujours la petite bête. 

L’objectif actuellement c’est que soient mieux comprises les musiques électroniques et que soient prises en compte leurs spécificités.

Tommy Vaudecranne, président de Technopol

à Franceinfo Culture

Par exemple, l’Etat a créé un "décret son" dont le but est de préserver les tympans du public. Or on se rend compte que si on applique ce décret, on ne peut plus diffuser de musiques électroniques dans de bonnes conditions, parce qu’il n’a pas pris en compte les spécificités de ces musiques.

C’est-à-dire ?
Il y a des différences entre nos musiques et celles qui sont dites "musiques actuelles". Les manifestations ne se déroulent pas à la même heure – nos soirées commencent quand les concerts se terminent -  et elles n’utilisent pas les mêmes systèmes de sonorisation, en tout cas pas aussi longtemps. Notre prochain combat c’est que les musiques électroniques ne soient pas systématiquement intégrées dans la grande famille des musiques actuelles mais soient simplement la famille des musiques électroniques. Puisque entre les genres de musiques et de métiers, les spécificités des lieux de diffusion, les amplitudes horaires, les modes de distribution, il y a beaucoup de choses qui sont propres à nos musiques et nécessitent une attention particulière. Cette méconnaissance fait que nous avons du mal à accéder aux dispositifs d'aides et aux subventions prévus pour les musiques actuelles. 

Quand on fait une demande d’implantation de festival par exemple, nous voudrions une égalité de traitement avec les festivals de rock, qu’il n’y ait pas sans arrêt des réserves sur les nuisances ou autres. 

Tommy Vaudecranne, président de Technopol

à Franceinfo Culture


Quels sont les autres combats que vous menez actuellement ?
Nous travaillons sur l’écologie, et en particulier sur la manière dont on produit un festival de façon plus vertueuse, de la récupération au recyclage, mais qui concerne aussi la façon dont les artistes vont se déplacer et organiser leur carrière. 

On travaille notamment sur ce qu’on appelle "le circuit court artistique". Nous collaborons avec d’autres organisations pour créer des tournées à bas carbone.

Tommy Vaudecranne, président de Technopol

à Franceinfo Culture

Il s’agit aussi de privilégier l’émergence de notre scène, des scènes locales, et de ne pas aller chercher systématiquement des artistes à l’autre bout du monde, qui vont se déplacer en avion ou en jet privé. On essaye de créer une collaboration inter-régions pour faire tourner ces artistes sur le territoire national. C’est ce qu’ont développé l’Allemagne et les Pays-Bas notamment.

A la 20e Techno Parade parisienne, le 22 septembre 2018. (YOAN VALAT / EPA / MAXPPP)


La défense des free party, des Teknivals, n'entre pas dans votre champ d’intervention ?
Pour nous, les free party c’est indispensable, il faut que ça existe. Et ça se passe souvent dans de très bonnes conditions. La musique doit être accessible à tous, or pour les classes populaires, le prix d’un billet en festival ou d’une entrée en club est de plus en plus élevé. Avec les Teknivals, on n’est plus dans l’économie de l’industrie, on est dans le partage, dans la fête libre, ouverte, inclusive et gratuite. Et la France est le pays au monde où on a le plus de sound systems et les plus gros teknivals. Mais nous ne portons pas leur parole parce qu'ils sont structurés, ils ont une coordination nationale qui discute avec les institutions et donc on ne les représente pas. Nous, nous défendons des événements qui évoluent dans un environnement économique. Mais on est prêts à les soutenir, comme lorsque nous étions montés au créneau après l’intervention policière complètement disproportionnée à la rave de Redon en juin 2021. 

La techno a 40 ans. Les jeunes continuent-ils à s’intéresser et à s’investir dans les musiques électroniques ?
Enormément ! On n’a jamais eu autant de vocations de DJ, de compositeurs de musiques électroniques et de labels. Aujourd’hui, quand on se prend de passion pour les musiques électroniques on peut espérer en faire son métier. Quand on a commencé dans les années 90, ce n’était pas le cas : le statut de DJ n’existait pas et les événements étaient souvent interdits. Bien sûr, il y aura toujours des gens pour considérer que la techno est "has been". Mais il y a un renouvellement permanent, on constate que les évènements attirent de plus en plus de monde et certains DJ fédèrent actuellement beaucoup de jeunes. Ce qui est intéressant, c’est plutôt d’observer les tendances qui vont émerger plutôt que d’essayer de faire vivre un truc qui effectivement est un peu passé, comme la techno classique qui avait du succès dans les années 2000.

Qu’observez-vous actuellement comme tendances émergentes?
Il y a beaucoup d’hybridations et beaucoup de sonorités proches de l’eurodance qui marchent très bien en ce moment. On remarque aussi une très forte émergence des musiques africaines, qui influent sur la manière de composer, mais aussi des musiques d’Amérique centrale et en particulier du baile funk brésilien qui influe sur les rythmiques. Et puis on entend de plus en plus de rappeurs travailler avec des musiciens de musique électronique. Par ailleurs, les musiques dites dures, hardcore, gabber, hardstyle, prennent de l’importance et on en entend sur des scènes dites techno, ce qui aurait été impossible auparavant. 

En fait, il y a de moins en moins de chapelles étanches et l’hybridation est générale. Les artistes communiquent beaucoup plus aujourd’hui à travers les outils (qui sont les mêmes partout) et les manières de créer qu’à travers les chapelles musicales.

Tommy Vaudecranne, président de Technopol

à Franceinfo Culture

Cela donne lieu à des mélanges inimaginables auparavant. Parmi ces tendances, certaines durent et d’autres pas. Mais en tout cas, tous les six mois quelque chose de neuf apparaît parce que les jeunes générations s’en emparent.

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