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Fauve ≠, un hybride savamment dosé

Phénomène musical français sans précédent, Fauve ≠ a réussi l'exploit de remplir des dizaines de salles de concert avant même la sortie de son premier album.

Article rédigé par Elodie Drouard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Fauve ≠ en concert aux Eurockéennes de Belfort (Territoire de Belfort), le 6 juillet 2013. (EDDY BERTHIER / FLICKR / FRANCETV INFO)

L'événement musical de l'année 2014 s'appelle Fauve ≠, un collectif sans maison de disques qui enflamme un large public, de l'adolescent au hipster, et séduit les médias, du Monde (lien abonnés) à Télérama en passant par Les Inrockuptibles. Les places pour les vingt dates au Bataclan programmées entre février et mai et précédées d'un buzz monstre (30 000 places, soit presque deux Bercy), se sont arrachées avant même la sortie du premier album Vieux Frères - partie 1, le 3 février. Francetv info a autopsié le phénomène.

30% de Jacques Brel

La chanson française dite "à texte" se revendique presque toujours de Jacques Brel, ce Belge en colère qui adorait les "vraies gens". Comme Stromae, Miossec, Grand Corps Malade et tant d’autres, Fauve ≠ est un fils du grand Jacques. Textes débordant d’émotion, éructés avec intensité, le premier album de Fauve ≠ s’adresse à leurs éponymes "vieux frères", leurs potes et, par extension, à vous, à moi. "Si tu racontes ta vie de mec normal, les gens normaux comprennent. Notre normalité, c’est nos peurs, nos angoisses", explique le collectif dans Les Inrockuptibles. Fauve ≠ fait de son journal intime une chronique sociale. On pense à Jef, à Ces gens-là.

Dans le livret du coffret de l'intégrale Jacques Brel, l'écrivain Eric-Emmanuel Schmitt décrit l'artiste comme "un enfant qui n'avait pas supporté l'enterrement de sa jeunesse". Fauve ≠ nous révèle que le mal-être adolescent se poursuit désormais à l'âge adulte. Une maladie qui touche un autre descendant de Brel, le très agaçant Saez.

20% de Jacques Lacan

"Pourquoi dès qu’il y en a une qui est gentille je me barre en courant ?" se demande Fauve ≠ durant les 4 minutes 42 secondes du titre Infirmière. Cette interrogation légitime que beaucoup verbalisent sur le divan est ici exprimée dans une thérapie collective. "La seule règle au départ, c’était de se retrouver pour vider son sac ensemble. (...) Expulser, c’est les séances de psy qu’on ne faisait pas. Raconter sans fiction. Il y avait ce besoin de construire quelque chose de thérapeutique, et de s’occuper", confie Fauve ≠, toujours dans Les Inrockuptibles.

En seulement 40 minutes, Vieux Frères - Partie 1 pose les problématiques : "Je suis nulle part, je vais nulle part, je suis pétrifié et je serai jamais un autre que ça" dans Requin Tigre, "Comment est-ce que tu peux penser que tu tiens à moi si moi-même j'y tiens pas ?" dans Voyou, etc. L’album n’apporte aucune solution, mais Fauve ≠ nous promet un tome 2 à la fin de l’année dans lequel on espère entrevoir une réponse à tous ces questionnements existentiels.

20% de Daft Punk

Derrière Fauve ≠ se cache un "collectif" (ils n’aiment pas qu’on parle de "groupe") de cinq Parisiens. Pour en savoir plus, il faut se référer à la pléthore d’interviews données depuis plus d'un an dans la presse. Ils sont jeunes (27 ans en moyenne), amis de longue date et, jusqu’en mai dernier, date de sortie de leur EP Blizzard, avaient tous un boulot de cadre (chef de produit, avocat, etc.).

"On n’est pas dans le paraître, on veut surtout montrer qu’on est comme les gens qui nous écoutent", martèle Fauve ≠ sur Ziknation. Pour des questions de pudeur d'abord (histoire de préserver les protagonistes de leurs textes intimes), puis pour faire face à un succès qui les dépasse ("On n’est pas Jenifer, on ne veut pas être reconnus dans la rue, ça peut détruire une personnalité", expliquent-ils dans Les Inrocks), les membres de Fauve ≠ choisissent l'anonymat. "Ecrire le prénom du chanteur (Quentin) est d'ailleurs presque un péché pour ce groupe", confie Télérama. Ils refusent les passages télé, et les quelques photos qui illustrent les articles entretiennent cette volonté en jouant, non pas avec des casques comme le célèbre duo de robots, mais principalement avec les contre-jour. Un cache-cache consenti par les médias qui se poursuit jusque sur scène, où un éclairage étudié laisse le collectif dans la pénombre.

Mais cet anonymat a ses limites. Les concerts de Fauve ≠ se ponctuent par un systématique "On se retrouve au bar pour boire un verre" lancé par le chanteur au public. Tout comme les Daft Punk, dont les photos à visages découverts s'arrachent, on ne devrait pas tarder à voir apparaître sur Twitter des selfies en compagnie des membres du collectif. On se demande maintenant comment s’en sortira Fauve ≠ lorsqu’il viendra chercher son prix sur la scène des Victoires de la musique en 2015.

10% de Lena Dunham

"Je ne veux pas que vous flippiez, mais je pense que je pourrais bien être la voix de ma génération. Enfin… une voix… d’une génération",explique à ses parents Hannah, alias Lena Dunham, dans le premier épisode de la série Girls. Fauve ≠, de son côté, s’est retrouvé étiqueté "porte-parole de la génération Y", un titre qu'il refuse d'endosser. Une réaction qu'explique à L’Express.fr Olivier Rollot, auteur de La Génération Y : "Ce rejet du leader charismatique est caractéristique de cette jeunesse. Elle prône une culture de l'entraide qui est la conjugaison de la crise et d'internet."

10% de Diabologum

Fauve ≠ n’avait pas vraiment entendu parler de Diabologum avant que les médias ne les comparent à ce groupe toulousain qui a connu un succès confidentiel au milieu des années 1990. Pourtant, en réécoutant le groupe de Michel Cloup, la filiation apparaît évidente. Même phrasé parlé ("spoken word") que débite un chanteur à la voix adolescente sur une musique post-rock énervée. Mêmes textes (même s’ils sont plus soignés chez Diabologum) qui parlent au premier degré de l’absurdité de la vie et d’un mal-être générationnel. On pense aussi à Taxi Girl, la poésie en moins, ou à Noir Désir, sans le charisme de Bertrand Cantat.

9% de Stupeflip

Si Fauve ≠ a un phrasé proche d'un Grand Corps Malade (les rimes en moins), sa musique n'en reste pas moins très éloignée. Pour compenser la musicalité apportée par les rimes du slam, Fauve ≠ joue sur les répétitions. Des accords de guitare en boucle ou des beats un peu rap fabriqués sur une MPC2000, machine de prédilection des producteurs hip-hop des années 1990, comme l'explique Le Nouvelobs.com. Résultat, une musique qui rappelle le rap blanc français du Klub des Loosers ou encore de Stupeflip, des influences que cite volontiers le groupe.

1% de Mylène Farmer

Il aura suffi d’un titre pour que Fauve ≠ s’attire la sympathie de la communauté LGBT. Il faut dire que les chansons d’amour entre deux garçons sont plutôt rares. Kané, découvert sur la compilation pour hipsters Kitsuné Parisien III en février 2013 et dont la vidéo approche les deux millions de vues sur leur compte YouTube, a contribué à populariser le collectif auprès d’un public gay sensible au thème de l’exclusion. Kané, ou l'alternative salvatrice au tube Désenchantée de Mylène Farmer.

Dans Infirmière, extrait de l'album, le chanteur livre ses doutes sur sa sexualité lorsqu'on lui demande s'il n'est pas "pédé" ("Pauvre vieux, si tu savais combien de fois j'me suis posé la question, sincèrement") après avoir avoué que les concerts ne sont pas le "harem" de filles fantasmé. Le premier groupe queer français est né.

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