Raphaël Pichon ovationné par le public d’Ambronay grâce à ses bouleversants "Grands motets" de Bach
Raphaël Pichon a assuré, avec son ensemble Pygmalion, l’ouverture de la 40e édition du festival d’Ambronay, vendredi soir : ses "Grands Motets" du Cantor de Leipzig, joyeux et bouleversants, ont été ovationnés. A revoir en live sur france.tv / Culturebox.
Ici et là, aux abords de l’Abbatiale, sur la place conventuelle de l’abbaye, sur les murs des bâtiments, d’immenses affiches célèbrent avec fierté la 40e édition du festival. Après un premier concert anniversaire et gratuit réservé, sur jeu concours, aux habitants du département, vendredi 13 septembre était la véritable soirée d’ouverture. Avec un "enfant d’ici" à l’affiche. Non, pas le régional de l'étape, entendez plutôt l’un de ces musiciens du baroque que le festival a contribué à révéler.
Sommet de la musique vocale
D’ailleurs Raphaël Pichon n’a pas manqué de rappeler, lors de la "mise en oreilles" - rencontre habituelle avec les artistes, en fin d’après-midi, avant les concerts - son arrivée en 2006, avec quelques jours de retard après la rentrée, à l’Académie baroque européenne avec un autre "nouveau", en retard comme lui, un certain Sébastien Daucé… Depuis, l’un et l’autre font référence, avec leurs ensembles, Pygmalion et Les Correspondances, dans la musique baroque.
C’est un sommet de la musique vocale qu’a choisi Raphaël Pichon pour le concert d’ouverture, les Grands Motets de Jean-Sébastien Bach : six pièces écrites par le Cantor de Leipzig à partir de sa prise de fonction comme maître de chapelle, en 1723. Une œuvre qui accompagne le chef et son ensemble depuis dix ans et dont ils viennent juste de terminer l’enregistrement en studio. "C’est beau d’arriver aux 40 ans du festival avec ce programme qui est un peu une forme d’aboutissement", nous dit Raphaël Pichon peu avant le concert. "Ces pièces sont peut-être l‘un des plus grands challenges choraux qui n’aient jamais été écrits, par leur virtuosité, leur complexité. Et ce qui est fascinant, c’est que justement, cette difficulté est au service d’une émotion extrêmement directe."
Dialogue des chœurs
Message reçu, immédiatement, dans l’Abbatiale d’Ambronay, avec le premier motet, Singet dem Herrn ein neues Lied (Chantez au seigneur un chant nouveau) et ses rencontres de voix : "Seule, la grâce de Dieu est solide et demeure dans l’éternité", chante le premier chœur, auquel répond simultanément, en aria, le deuxième chœur : "Dieu, admets-nous plus près de toi." C’est l’une des particularités de l’œuvre, et elle procure une beauté troublante : "Les deux chœurs se répondent, se complètent, discutent, ça vient d’une tradition qui s’appelle 'i cori spezzati' qui est née à Venise, au 16e siècle", raconte Pichon. Mais la rhétorique, l’imagerie, la spiritualité, sont propres au Cantor.
Moment de suspension du concert, le Jesu, meine Freude (Jésus, ma joie), célèbre motet construit en une symétrie parfaite, en onze parties. L’excellent chœur Pygmalion parvient à transmettre les mouvements de l’âme : superbe décomposition de certains mots, accentuation d’autres, dialogue réussi avec les cinq instrumentistes du "continuo" . Les spectateurs sont absorbés non seulement par les textes, dont ils ont la traduction dans le programme, mais par leur musicalité. "J’ai toujours dit à l’ensemble ma conviction que la musique du texte est plus importante que les notes écrites", explique le musicien. "Si on se prenait à n’avoir que le texte avec sa notation rythmique, on aurait déjà une grande partie de cette musique."
"Goûtez la vie"
Conçus pour être chantés lors de cérémonies d’obsèques, ces motets procurent en réalité des émotions contrastées : "Ces textes disent en quelque sorte : ayez confiance en la vie ! Goûtez la vie. Évidemment, la vie, ça peut être celle d’ici ou celle d’après", explique Raphaël Pichon. L’exhortation répétée, à Dieu, l’expression douce de la douleur du motet "Komm, Jesu Komm" ("Viens, Jésus, viens !"), trouve une rassurante réponse de Dieu dans le magnifique Fruchte dich nicht, ich bin bei dir (Ne crains pas, je suis avec toi), autre moment magique du concert.
Les spectateurs sont emportés. Et apprécient également la nouveauté apportée par Raphaël Pichon, des motets du 16e siècle (pour la plupart italiens) découverts par le musicien, et notamment celui de Giovanni Gabrieli (Jubilate deo) ou encore celui de Jacobus Gallus (Ecce, quomodo muritur iustus), émouvantes expressions d’affects a cappella, des œuvres que Bach a lui-même données à Leipzig. "J’ai découvert ce recueil unique, le Florilegium Portense, qui compte 114 motets des grands maîtres du passé." Des pièces "d’un temps où la lisibilité du texte n’était pas la chose première, mais plutôt l’idée, l’harmonie", selon Raphaël Pichon, ont convaincu le public d’Ambronay qui a réservé à son poulain une véritable ovation. Digne d’une 40e édition.
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