Iggy Pop revient plus libre que jamais avec "Free", un album ovni plus jazz que rock
Le parrain du punk fait de la liberté la valeur cardinale de son nouvel album à tendance jazz expérimental. "Free" est un disque hétéroclite et crépusculaire avec du bon et du moins bon.
On le sait, Iggy Pop aime déjouer les attentes et n'est pas homme à faire ce qu'on attend de lui. Et l'Iguane aime le jazz, John Coltrane en particulier, qui l'inspira dès ses débuts avec les Stooges – "Ce que j'ai entendu John Coltrane faire avec son saxophone, j'ai tenté de le faire physiquement", a-t-il dit un jour. Pour autant, nous ne nous attendions pas à son nouvel album, Free.
Successeur de Post Pop Depression (2016) supervisé par Josh Homme de Queens of the Stone Age et présenté alors comme un chant du cygne, Free a très peu à voir avec ses prédécesseurs. Il s'agit d'un album ovni, plus jazz que rock, d'un disque "libre" et expérimental qui flirte parfois avec l'ambient music. Sur ces dix titres hétéroclites, la voix de baryton et de crooner buriné du parrain du punk s'épanouit, sans oublier de laisser s'exprimer d'autres facettes vocales, plus délicates ou plus énervées. Décrit à raison par Iggy Pop comme "sombre et contemplatif", Free peut toutefois laisser perplexe.
Deux musiciens donnent sa couleur à l'album
Au crépuscule de sa carrière, l'Iguane, 72 ans, dit vouloir se sentir libre (free) plus que tout autre chose. Après Josh Homme pour Post Pop Depression, le chanteur s'est entouré cette fois de deux jeunes musiciens américains : Leron Thomas, 40 ans, trompettiste et chanteur de jazz, et Sarah Lipstate, 30 ans, compositrice, réalisatrice et guitariste sous pseudo Noveller.
Elle apporte des guitares liquides et des climats intrigants, crépusculaires et tendus, tandis que la trompette expressive de Leron Thomas irrigue tout l'album, lui donnant une touche "free" et un esprit jazz avant-garde que la batterie soyeuse, feutrée ou assourdie vient rarement démentir.
Ne pas se fier au single James Bond, qui seul a fait l'objet d'un clip à ce jour : ce titre simplissime et entêtant avec sa basse bien marquée ne représente aucunement la teneur de l'album. Ne pas s'arrêter non plus sur la fausse note Dirty Sanchez où Iggy renoue avec son côté provocateur et crie: "Always playing with your butts/ The things you do for the camera/This online porn is driving me nuts".
On leur préfèrera le plus subtil Glow in the Dark, l'atmosphérique Page et surtout le titre le plus lumineux de l'album, Sonali. Sans oublier le franchement rock et poignant Loves Missing, une méditation sur la tragédie de la solitude et l'absence d'amour. Cette chanson, qui met en scène une femme esseulée, est l'un des deux seuls textes qu'Iggy Pop a écrit sur Free. "C'est un album dans lequel les autres artistes parlent pour moi, mais auxquels je prête ma voix", explique-t-il dans sa note d'intention.
Des textes de Lou Reed et Dylan Thomas
Deux de ces textes, lus façon "spoken word" par l'ancien Stooges, se détachent du lot. Le premier est signé Lou Reed et s'intitule We Are The People. Il s'agit d'un poème écrit en 1970 juste après que Lou Reed eut quitté le Velvet Underground, finalement publié en avril 2018 avec une douzaine d'autres inédits sous le titre Do Angels Need Haircut ?.
"Nous sommes les gens désespérés au-delà de l'émotion parce que cela défie la pensée (…) Nous sommes les gens qui ne savent pas mourir en paix", dit notamment ce texte très politique écrit il y a 50 ans, qui trouve un écho particulier dans l'Amérique de Trump.
Le second est l'un des poèmes les plus célèbres du poète gallois Dylan Thomas (1914-1953), Do Not Go Gentle Into That Good Night. Il s'agit d'un texte intense et suffocant sur la fin de vie écrit en 1951 par le poète pour son propre père. Iggy Pop y fait sa meilleure imitation vocale du vieux cowboy au gosier raviné par le whisky pour haranguer le vieillard face à la mort qui vient : "Rage, enrage contre la lumière qui se meurt / N'entre pas apaisé dans cette bonne nuit / La vieillesse devrait s'embraser, se déchaîner face au jour qui s'achève."
Dawn, qui referme l'album, semble avoir été écrit par Iggy Pop comme une suite au poème de Dylan Thomas. C'est un texte funèbre, presque glaçant, qui souligne les similitudes entre cet album et Blackstar, l'adieu discographique de son ami David Bowie, comme lui à la fois jazz, expérimental et parsemé de références à sa mort prochaine.
"Ne serait-ce que s'allonger c'est renoncer", prévient Iggy Pop sur les sinistres nappes synthétiques de Dawn. "Tu dois faire quelque chose, quelque chose, parce que l'obscurité est comme un challenger. (…) L'amour et le sexe vont se présenter mais aucun des deux ne pourra résoudre l'obscurité". Brrrr ! Heureusement que l'Iguane a prévu d'atteindre au moins 80 ans "pour contrarier", dit-il, "ceux qui ne m'aiment pas."
Free (Caroline/Universal) de Iggy Pop sort vendredi 6 septembre
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