Grand format

GRAND FORMAT. "Il nous apporte du bonheur encore aujourd'hui" : quarante ans après sa mort, comment les fans de Claude François perpétuent son souvenir

Simon Gourmellet le samedi 10 mars 2018

Des fans de Claude François au pied de la statue du chanteur, au cimetière de Dannemois (Essonne), le 1er février 2018.  (SIMON GOURMELLET / FRANCEINFO)

"J'ai écrit un mot pour Claude, mais j'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois. La feuille était à chaque fois trempée de mes larmes." Quarante ans après la mort de Claude François, la plaie est toujours béante dans le cœur de Fabienne. Pour la messe commémorant le 40e anniversaire de la disparition du chanteur, qui sera célébrée samedi 10 mars, au sein de l'église Notre-Dame d'Auteuil, à Paris, cette fan de la première heure a surmonté son chagrin pour rédiger un texte à lire lors de cette commémoration.

C'est sous la pluie et dans le froid du cimetière de Dannemois (Essonne), où repose la star, que nous l'avons retrouvée, le 1er février, en compagnie de ses trois amies, fans inconditionnelles elles aussi. Toutes étaient venues remplacer les chapelets volés, déposer des fleurs, des petits angelots et un baiser sur la statue de leur idole, à la date de son anniversaire. Entre larmes, photos sépia et pattes d'eph', plongée dans des vies entièrement consacrées au chanteur, où le temps semble comme suspendu depuis sa mort, le 11 mars 1978.

Fabienne : "Il m'a sauvée"

Fabienne, devant l'affiche du film "Cloclo", sorti en 2012. Elle était dans les coulisses du concert, à Arcachon, où cette photo de Claude de François a été prise. (SIMON GOURMELLET/FRANCEINFO)

Comme d'habitude. C'est le même pèlerinage tous les mois. Fabienne quitte le Cantal où elle vit depuis quinze ans. Direction le moulin de Dannemois, dans l'Essonne, l'ancienne propriété du chanteur. "Son havre de paix", comme il l'appelait. Collée sur le tableau de bord de sa voiture, une photo d'elle enlaçant le chanteur et, sous le pare-brise, une fresque de son visage.

Fabienne vient passer une semaine complète chez sa complice de toujours, Nanou. Toutes les deux ont fait partie de ces jeunes femmes qui suivaient la star comme son ombre. Passant des journées entières au pied du 46 boulevard Exelmans, l'adresse parisienne de Cloclo, dans le 16e arrondissement, guettant ses sorties, le suivant dans le moindre de ses galas, enregistrements ou sur les plateaux d'émissions de télé. Mais pas seulement. Fabienne figurait parmi les privilégiées, ces rares fans qui, aujourd'hui, peuvent se targuer d'avoir passé des journées entières "au moulin". D'avoir connu l'intimité de la star, assise dans l'escalier en colimaçon du grand salon, ou d'avoir partagé un barbecue "avec Sardou".

Comme d'habitude aussi, Fabienne ne manque jamais un 1er février, l'anniversaire de Cloco."Je ne dis pas Cloclo, pour moi, c'est Claude. Et je ne vais pas sur sa tombe, je rends visite à Claude." Pardon. Pas de place aux approximations, lorsqu'on évoque l'idole. Impossible pour cette sexagénaire de tourner la page. D'ailleurs, il n'en est même pas question. "Sans lui, je me laisse mourir", explique-t-elle. 

Ses fans aussi pensent toujours à lui... Un des nombreux disques de Claude François exposés au moulin de Dannemois (Essonne). (SIMON GOURMELLET/ FRANCEINFO)

A 12 ans, elle rejoint sa mère à Paris et se met en quête de son idole. Elle trouve son adresse dans le magazine Salut les copains et décide qu'elle le suivra partout. Pourquoi ? "Parce que c'est Claude, tout simplement". Ses chansons et son énergie font oublier à la jeune femme son quotidien. Un jour, alors qu'elle fait le pied de grue sur le trottoir en face de son immeuble, elle se décide enfin à approcher la star. "Il m'a alors dit : 'Tu en as mis du temps à traverser la rue. Tu reviens quand tu veux'." Une invitation qu'elle n'a pas refusée, bien au contraire. 

<em>Mon bac en poche, comme ça ne se passait pas bien avec mes parents, j'ai voulu trouver un travail tout de suite pour les quitter. Mais Claude a dit non. Il m'a demandé ce que je voulais faire. J'ai répondu "avocate d'affaires". Il m'a alors dit de retirer un dossier à la Sorbonne pour faire du droit. Et c'est ce que j'ai fait durant trois ans. Il m'a sauvée.</em>

Fabienne, fan de Claude Françoisà franceinfo

Quand on évoque le 11 mars 1978, le jour de sa mort, les larmes jaillissent, comme si le drame avait eu lieu la veille. Fabienne n'a même pas la force d'évoquer "ce cauchemar". Quarante ans après, la souffrance est intacte. Submergée par l'émotion, elle préfère s'éclipser. C'est au téléphone, dans le confort de son petit musée personnel, qu'elle parviendra à nous parler de cette journée-là.

Elle était au pied du domicile de Claude avec d'autres fans, lorsqu'elle a appris la nouvelle. "J'attendais qu'il descende pour une émission aux Buttes-Chaumont. Je l'appelle par l'interphone, il me dit 'écoute ma chérie, je descends dans 10 minutes'. Dix minutes plus tard, toujours rien, puis des pompiers débarquent". En ajustant une applique dans sa salle de bains, le chanteur vient de s'électrocuter. "On pensait que c'était pour une des deux dames, ses voisines. Deux mégères qui ne comprenaient pas comment on pouvait l'aduler comme ça. Mais un des pompiers a parlé de dernier étage. On s'est regardées, ensuite l'attente a été interminable." 

Quand on a compris, tout ce dont je me souviens, c'est qu'une copine m'a ramenée chez elle. Pour le reste, c'est le trou noir.

Fabienne, fan de Claude Françoisà franceinfo

Son médecin lui a conseillé de faire des séances d'hypnose pour se souvenir, "mais je ne veux pas, c'est trop dur", dit-elle. En revanche, elle se souvient parfaitement des jours qui ont suivi sa mort et de la nuit qu'elle a passée dans le cimetière de Dannemois, inconsolable. 

Après ? C'est sa vie qui bascule. Elle sombre dans la dépression, passe de 48 à plus de 140 kilos et commence à souffrir d'asthme. Physiquement, elle ne s'en remettra jamais vraiment. Pour surmonter l'absence, elle se lance alors à corps perdu dans ce qu'elle sait faire de mieux : rendre hommage à Claude François. Petit à petit, elle accumule les souvenirs et les pièces de collection. Tel un temple, toute sa maison est consacrée à la star, "sauf les toilettes et la salle de bains". Elle possède même la manche d'un peignoir du chanteur, arrachée lors d'un gala. Fabienne appelle également tous les jours sa complice Nanou. Que peuvent-elles bien se raconter ? Leurs souvenirs, des anecdotes qui leur reviennent en tête. Elles commentent également les dernières révélations sur la star. "Vous savez, Claude nous apporte encore du bonheur aujourd'hui", insiste Fabienne. 

Fabienne connaît l'histoire de chaque costume, chaque robe ou chaque photo du musée du moulin de Dannemois (Essonne). &nbsp; (SIMON GOURMELLET/FRANCEINFO)

Au fil des ans, elle est devenue l'encyclopédie vivante de la carrière du chanteur. Au moulin de Dannemois, c'est même elle qui nous fait visiter. Elle connaît l'histoire de chaque pièce de la demeure, de chaque costume, chaque accessoire, chaque photo. Devant un ensemble de velours bleu aux pattes d'eph', elle s'arrête soudain de parler, pose la main sur sa poitrine, trop émue pour continuer. Il faut fouiller dans ses photographies personnelles pour comprendre que c'est dans cette tenue qu'il l'a un jour embrassée. Sur la joue. Mais quand même.

Muriel : "Encore aujourd'hui, sa musique m'apaise"

Muriel, super fan, au moulin de Dannemois (Essonne), le 1er février 2018.&nbsp; (SIMON GOURMELLET / FRANCEINFO)

Muriel n’a pas connu Claude aussi bien que Fabienne. Alors elle se nourrit des souvenirs inlassablement répétés de ses amies et collectionne elle aussi tout ce qui est en rapport avec le chanteur. Son sac à main est customisé avec des porte-clés à son effigie et, dans les pliures de son permis de conduire, elle garde précieusement un confetti ramassé lors d’un des concerts auxquels elle a assisté, "le 2 juin 1973".

Muriel garde précieusement, et depuis plus de quarante ans, un confetti ramassé lors d'un concert de Claude François.&nbsp; (SIMON GOURMELLET / FRANCEINFO)

Le jour de sa mort, elle a eu "un coup de pot". Lorsque la nouvelle est tombée à la radio, elle était dans sa voiture, mais écoutait une cassette, de Claude François, forcément. "Sans cela, c’était l’accident, c’est sûr." Quand elle arrive chez elle, ses parents ont la mine grave. Elle croit d’abord à un problème concernant ses grands-parents. Mais quand elle comprend, elle perd pied, monte sur une chaise, puis sur la table et pense se jeter par la fenêtre.

<span>C’est mon père qui m'a rattrapée avant que je saute.</span>

Muriel, fan de Claude François&nbsp;à franceinfo

Comme pour Fabienne, sa passion ne s'est pas éteinte avec cette mort subite, bien au contraire. Elle aussi s'est créé son petit univers à la gloire de Claude. Preuve que le feu n'est pas éteint, elle vient désormais, depuis quelques années, fêter son anniversaire en famille au moulin de Dannemois. C’est là qu’elle se sent bien. Là, ou dans sa maison du sud de la France, "je me lâche", confie-t-elle. Toutes les pièces sont décorées de photos, de disques, d’affiches et de bibelots à l’effigie de Claude. "Je m'asseois sur mon canapé, j'allume quelques bougies et j'écoute Claude. Encore aujourd'hui, il m'apaise." Elle assiste aussi régulièrement, avec ses copines, aux shows de Franck d'Auria, "le meilleur" des sosies de Claude François. "On le connaît bien et il nous aime bien, car on met l'ambiance dans la salle", s'amuse Muriel.

Comment ses enfants voient-ils cette obsession ? Son fils aîné déteste ce Claude qui obnubile sa mère, alors que le second accepte davantage. "Ma belle-fille m'offre toujours des cadeaux en rapport avec Claude. Et elle a raison, puisque tout ce qui se rapporte à lui me fait plaisir".

Françoise : "J'ai besoin de l'entendre pour m'endormir"

Françoise, ici au moulin de Dannemois (Essonne), le 1er février 2018, n'a certes pas vu Claude François en concert, elle n'en est pas moins l'une de ses plus grandes fans.&nbsp; (SIMON GOURMELLET / FRANCEINFO)

Des quatre copines, c'est Françoise la plus timide, la plus discrète. Mais lorsqu'on évoque le chanteur, son visage s'illumine d'un sourire presque triste. C'est à 63 ans seulement qu'elle a enfin pu vivre sa passion à fond. Jusqu'à cette séparation, elle s'imposait de ne pas afficher au grand jour son amour pour Claude. Par pudeur. C'est dans son jardin secret qu'elle cultivait sa mémoire.

Depuis que je suis divorcée, je ne me cache plus. Maintenant, il n'y a que Claude.

Françoise, fan de Claude Françoisà franceinfo

Aujourd'hui, elle envoie des baisers aux photos qui tapissent son appartement et partage même ses nuits avec le chanteur. Ou plutôt un coussin à son effigie. "Je couche avec lui", plaisante-t-elle. Mais elle n'est pas la seule. Ses amies ont le même...

Sa spécialité à elle, ce sont les vinyles. Elle en a des centaines, achetés à prix d'or sur internet. Il ne lui manque que la perle rare, le Graal de tout collectionneur fan de Claude François : une édition du Nabout Twist. Le tout premier 45 tours du chanteur, sorti en 1962. Un échec commercial qui sera rapidement oublié après le succès de Belles, belles, belles, quelques mois plus tard. Aujourd'hui, la précieuse galette se négocie à plus de 2 500 euros.

Même à table, Claude est avec Françoise et ses amies.&nbsp; (SIMON GOURMELLET / FRANCEINFO)

Elle était en plein essayage du costume de marié de son futur – désormais ex – mari, le jour de la mort de Claude François. Dans la boutique, "la musique d'ambiance s'est alors interrompue pour un flash spécial à la radio. Tout à coup, c'était le grand silence, tout le monde s'est figé." Choquée, inconsolable, elle demande à rentrer chez elle. "Je ne voyais plus rien à cause des larmes." 

Pendant des semaines et des semaines, elle se passe en boucle les disques du chanteur. "Je pleurais dans ma chambre, seule, pour ne pas le montrer." Terminés également les programmes télé de Guy Lux. L'absence de Claude à l'écran était trop douloureuse.

Mon plus&nbsp;grand regret ? Ne pas avoir pu assister à un&nbsp;gala. Je ne l'ai pas connu<em>.</em>

Françoise, fan de Claude Françoisà franceinfo

"C'est pas grave, ma chérie", la console Fabienne,"il te connaît à travers nous." 

Nanou : "Sans lui, on survit"

Anne, ou plutôt "Nanou", comme l'a surnommée Claude, au moulin de Dannemois (Essonne), le 1er février 2018.&nbsp; (SIMON GOURMELLET / FRANCEINFO)

Anne, c’était avant de rencontrer Claude. Appelez-la plutôt Nanou. C'est le surnom que le chanteur lui a donné. Une rencontre qui a bouleversé sa vie. Comme Fabienne, elle a passé des jours entiers devant l'appartement du chanteur pour lui parler, tenter de décrocher un sourire, une attention ou une photo. Des clichés qu'elle a postés sur une page Facebook baptisée "Mes souvenirs avec Claude François". Fan inconditionnelle, elle a eu, comme Fabienne, le privilège de passer des jours entiers au moulin de Dannemois et de suivre la star dans ses déplacements.

<span>Une fois, on a fait un cache-cache dans le jardin. Claude avait&nbsp;grimpé dans le saule pleureur, près du barbecue. Il nous a surprises, Fabienne et moi, et nous a poussées dans l’eau. C'était un vrai clown.</span>

Nanou, fan de Claude Françoisà franceinfo

Une image bien loin de celle d'une star capricieuse, colérique et cassante, dessinée dans certains documentaires. "Ce sont des méchancetés. Il ne faut pas oublier ce qu'il a donné à la France", s'emporte Nanou pour qui, quarante ans après, les paroles des tubes de Cloclo résonnent avec toujours autant de force. "Claude parle de l'abandon, du divorce, du mal-être… Des thèmes qui nous touchent toujours. Il était en avance sur son temps."

La sexagénaire est incollable sur toutes les dates de "ses galas". Normal, elle a assisté à la plupart d'entre eux. Elle est même allée à Londres pour un concert au Royal Albert Hall, le 16 janvier 1978 : "C'était magique !" 

Cela ne devait être que le début d'une nouvelle carrière pour lui. Après l'Angleterre, il allait conquérir les Etats-Unis, c'est sûr.

Nanou, fan de Claude Françoisà franceinfo

Comme Fabienne, elle a aussi été touchée dans sa chair par la disparition brutale de Claude François. Depuis ce 11 mars 1978, elle a des problèmes de santé et souffre de diabète. "C'est lié au stress", souffle-t-elle en jetant un œil à son tee-shirt. Elle y a fait imprimer une photo d'elle embrassant son idole, accompagnée de la phrase qu'il lui a glissée à l'oreille ce jour-là : "Attention Nanou, je suis enrhumé, tu vas l'attraper."

Anne devant la tombe de Claude François, à Dannemois (Essonne), le 1er février 2018. Au premier plan, des porte-clés à l'effigie de la star réalisés par ses fans.&nbsp; (SIMON GOURMELLET / FRANCEINFO)

Depuis sa mort, Claude n'est pas qu'un simple souvenir, entretenu dans son musée personnel ou en partageant ses anecdotes avec Fabienne, Muriel ou Françoise. Depuis ce 11 mars 1978, Claude, c'est son confident, consulté pour chaque décision importante de sa vie. "Je lui parle, je lui pose des questions." Le téléphone ne sonne pas, et les réponses ne viennent pas, mais elle y trouve du réconfort, de l'assurance. "Son absence est lourde à supporter. Sans lui, on survit", conclut-elle. 

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