Interview  "J'ai toujours su que je voulais faire de la musique et que ça allait être un vecteur pour m'exprimer" : Lalla Rami, l'étoile montante de la scène musicale parisienne

Lalla Rami, chanteuse et rappeuse marocaine de 24 ans, gravit les échelons de la scène musicale parisienne avec sa musique "sucrée et multiculturelle". Rencontre avec cette artiste aux multiples facettes à l'occasion de la sortie de son premier clip "Aïcha Candyshop".
Article rédigé par Maryame Bellahcen
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Photo prise lors du tournage du clip "Aïcha Candyshop" de l'artiste Lalla Rami. (ILIA ZAVIALOV)

Née à Kenitra au Maroc, Lalla Rami, jeune femme transgenre âgée de 24 ans, a su s'imposer sur la scène musicale française. Auteure, compositrice, interprète, "popstar, chanteuse, rappeuse, dangereuse", Lalla Rami "colonise toute la carte" comme elle le chante dans son dernier single.

Son secret ? Ses textes, qui naviguent entre l'intime et le politique et slaloment entre trois langues : la darija [l'arabe dialectal marocain], l'anglais et le français, le tout accompagné de prod énergique, dansante et dynamique. Tous ces éléments ont forgé le style pluriel et plein de couleurs de Lalla Rami, à l'image de ses inspirations musicales et de son parcours. Pour parler de son dernier titre Aïcha Candyshop, sorti le 12 juillet 2024, et revenir sur son parcours musical et ses inspirations, Franceinfo l'a rencontrée.

Franceinfo Culture : Vous avez écrit votre premier texte à 10 ans, d'où vient cette passion précoce pour la musique ?

Lalla Rami : Je pense qu'il y a plein de trucs qui sont entrés en jeu. Je pense que ma grand-mère, ma tante et ma mère y sont pour beaucoup. Puisque chez ma grand-mère, c'était tout le temps du chaabi [musique populaire marocaine] à la maison. Hajja El Hamdaouia, Tahor, ou sinon Oum Kalthoum"Hel Raa Alhoub Soukara mitlana" [paroles de chanson en arabe qui signifient "est-ce que l'amour a déjà connu deux ivrognes comme nous ?"], chantait ma grand-mère à tue-tête. Ma mère adorait Sade et Toni Braxton, c'est une R&B girl. Puis, il y avait ma tante qui était à fond sur la pop culture : Mariah Carey, Beyoncé, Michael Jackson, Whitney Houston, Rihanna et Zaho aussi. Mes cousines, c'était Nicki Minaj, Lil' Kim. Mes cousins, eux, adoraient Tupac, Biggie, La Fouine, Booba. Il y avait de la musique autour de moi autant marocaine qu'américaine ou française.

Il y a donc un amour de la pop culture américaine et marocaine qui inspire votre musique ?

Oui, ça m'inspire beaucoup. Je ne saurais pas expliquer pourquoi j'étais autant obsédée par toutes les pop stars à 10 ans. Quand j'ai connu Nicki Minaj, Lady Gaga, Rihanna, tout ça, j'ai eu ce truc de fascination. Mais pas que, la culture arabo-amazigh et marocaine est infiniment riche et j'aimais trop les dessins animés comme les Winx Club, les Mew Mew Power, j'y trouve beaucoup d'inspiration. Actuellement, dans ma musique, je me sens hyper alignée avec l'enfant que j'étais. C'est une sorte de réappropriation, en mode, "vous ne m'avez pas laissé être la petite fille que j'étais, la grande dame que je suis aujourd'hui, donc je récupère ce droit".

Votre musique, c'est donc aussi un moyen de revendiquer cette enfance ?

Et c'est aussi de la résilience. Toute ma vie, j'ai été persécutée et harcelée. Ma musique, c'est un peu une manière de vivre hyper forte. Réclamer cette enfance. J'aime bien le pont que le projet fait à travers différentes cultures. J'ai été inspirée des pop stars, mais aussi des meufs qui ont des superpouvoirs, Wonder Woman, les Totally Spies, les X-Men. Et je pense que tout ça ensemble, ça représente un peu ce truc de se réapproprier tout ce qu'on nous prend dans ce système et dans cette société qui va à notre encontre, et tout ça, j'essaye de le transmettre dans Aïcha Candyshop.

En parlant d'Aïcha Candyshop, quelle a été l'inspiration derrière le nom de ce titre ?

C'est un jeu de mots entre Aïcha Kandisha et Candyshop. Aïcha Kandisha est une figure de la culture amazigh marocaine [une légende] qui a souvent été, pour moi, le symbole de la diabolisation des femmes : c'était une icône décoloniale et antipatriarcale. Aïcha Kandisha charmait les colons portugais pour ensuite les tuer, car elle était sublime et forte. En fait, elle a été diabolisée. Quand j'étais petite, ma grand-mère me disait tout le temps "va dormir sinon Aïcha Kandisha va venir te hanter". J'ai toujours trouvé très violent la manière dont les meufs sont diabolisées quand elles ont trop de pouvoir.

Et à quoi fait référence candyshop ?

Candyshop, c'est en référence au titre de 50 Cent du même nom [Candy Shop]. C'est un mot qui fait vraiment penser à la pop culture américaine. Ça représente aussi cette hyper sexualisation des femmes. Comme l'époque de Katy Perry, en femme bonbon dans Teenage Dream ou California Gurls, le male gaze. Et du coup, pour moi, c'était une manière de se réapproprier à la fois la fétichisation et la diabolisation qu'on peut subir en tant que femme trans et racisée. "J'suis le cauchemar dont ils rêvent."[paroles de la chanson Aïcha Candyshop]. J'ai donc créé cet alter ego.

Photo prise lors du tournage du clip "Aïcha Candyshop" de l'artiste Lalla Rami. (ILIA ZAVIALOV)

Dans ce titre, vous vous décrivez comme "starocaine" et parlez de votre identité. Dans votre parcours musical, quelle place ont eu votre culture musulmane et votre transidentité ?

C'est hyper perçu comme une dichotomie par les autres. Mais moi, c'est ma vie. J'ai pas choisi d'être une meuf. J'ai pas choisi d'être trans. J'ai pas choisi d'être marocaine. J'ai pas choisi d'être une immigrée. On a tenté de m'écarter de la foi ou d'une quelconque spiritualité et on continue de le faire, mais je suis beaucoup trop bénie pour ne pas aimer Dieu en retour. J'ai pas choisi toutes ces choses-là. Donc moi, je n'ai jamais ressenti de dichotomie. Je n'ai jamais eu à choisir entre être marocaine, musulmane ou trans, ou faire de la musique. Pour moi, toutes ces choses-là sont intrinsèquement liées. J'ai bien évidemment vu des hommes ne pas comprendre le projet, ne pas comprendre qui j'étais. Mais en fait, ils ne comprennent pas qui je suis, mais comprennent ce que je fais, car ma musique n'est pas complexe, elle est accessible à tous.

Comment décririez-vous ce titre et votre musique en trois mots ?

En trois mots ? Je dirais multiculturelle, sucrée et pop. C'est réducteur de la décrire en trois mots, pour moi, c'est juste de la bonne musique qui me fait me sentir connectée à la fois à mon intime et au monde. Je pourrais produire de la musique différente toute ma vie, mais ce sera toujours de la pop, parce que je suis une popstar. Si ça se trouve, je pourrais faire du R&B, du rock alternatif, du reggaeton… Il y a tellement de genres musicaux différents, je pourrais même faire un album de gnaoua, mais ce sera toujours de la pop.

Le concept du clip est plein de références, comment s'est passé le processus créatif ?

C'était très organique et enrichissant. J'ai écrit la chanson entre décembre 2023 et janvier 2024. J'ai participé à tout le processus créatif, de l'écriture à la réalisation du clip, en passant par le storyboard. Je suis une folle [rires]. J'ai été aidée de mes amis artistes comme Ilhamour avec qui j'ai écrit le script du clip, Baeby Mama qui l'a coréalisé avec moi, Chouf qui est à l'origine du jeu de mots Aïcha Candyshop ou Malca avec qui j'ai composé le titre. J'ai aussi une incroyable glam team qui ne sait qu'élever ma vision par leurs idées. Il y a plein de références, la scène d'ouverture par exemple est une référence directe à une scène de la série Pose de Ryan Murphy. Aïcha est très inspirée des Totally Spies! mais aussi de Lady Gaga.

Vous avez souvent parlé en public de votre parcours semé d'embûches. Comment en êtes-vous arrivée à ce stade, surtout dans une ville comme Paris, qui a une scène musicale très vaste ?

Je suis en compétition avec moi-même depuis que je suis petite. Je suis juste une passionnée, juste une artiste qui aime trop ce qu'elle fait, qui a envie de faire de belles choses avec son art, de pouvoir participer à faire en sorte que ce monde aille mieux et que moins de gens vivent les trucs que j'ai pu vivre. Je ne me suis pas battue pour me faire une place artistiquement, je me suis battue partout, dans la rue, devant l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). J'ai tout le temps été très consciente de ma place dans tel ou tel espace, de l'opportunité que j'avais. Il arrivait que le matin, je sois à l'Ofpra, à attendre de 5h30 du matin jusqu'à 11h pour être prise en charge, et que le lendemain, je sois invitée à la mairie de Paris pour performer. À cette époque, j'étais encore en situation irrégulière et je n'avais même pas de récépissé. Le mardi, j'étais invitée à la radio et habillée en Mugler de la tête aux pieds. Le mercredi, je n'avais pas de quoi manger. C'était ça ma vie. C'était vraiment les deux mondes.

Comment avez-vous vécu cet épisode de votre vie ?

C'était dur à ce moment-là. Mais j'ai eu de la persévérance. Je n'ai pas lâché le cap. Le plus important, c'est d'avancer avec l'amour et avec de bonnes intentions. J'ai bien dormi sur mes deux oreilles, même si ce n'était pas dans les meilleures conditions. Je n'ai laissé personne me prendre ma pureté, ma bonté, ma lumière. J'aime bien l'idée d'être une superhéroïne. J'ai toujours su que je voulais faire de la musique et j'ai toujours su que ça allait être un vecteur pour m'exprimer et pour impacter ce monde d'une certaine manière comme je peux.

Et aujourd'hui, quels sont les projets musicaux en préparation ?

Pour l'instant, je ne peux pas trop en parler. Mais pour la rentrée, plein de surprises et de nouveaux projets sont prévus, donc restez à l'affût [rires].

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