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Airelle Besson, la trompette dans la peau

Trompettiste brillante et passionnée, compositrice et chef d'orchestre, Airelle Besson est désormais incontournable sur la scène jazz française. Acclamée pour son lumineux duo avec le guitariste Nelson Veras, récompensée du Prix Django Reinhardt en janvier, l'artiste, en résidence à Coutances, se lance dans une nouvelle aventure en quartet. Rencontre avant deux concerts à Jazz sous les pommiers.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12 min
La trompettiste Airelle Besson
 (Lucille Reyboz)

Airelle Besson a vu le jour un 23 mars il y a une trentaine d'années, à Paris, dans le 20e arrondissement. Elle a toujours vécu dans ce coin de l'est de la capitale, à l'exception d'un séjour de trois ans en Grande-Bretagne, durant son enfance, qui aurait pu lui être fatal. Elle avait 8 ans quand, lors d'un concert en Écosse, à la suite d'un coup de vent, une pièce métallique est tombée sur elle, lui coupant l'oreille et lui laissant le souvenir d'un choc inouï.

Formée au conservatoire, après des études classiques de trompette, mais aussi de violon, Airelle Besson a débuté sa carrière professionnelle dans le jazz à l'aube des années 2000. Quinze ans plus tard, après avoir déjà participé à l'enregistrement d'une bonne cinquantaine de disques, cette artiste, l'une des - trop - rares musiciennes de jazz françaises, bénéficie d'une réputation impeccable auprès de ses collègues masculins. Ça tombe bien : élevée par son père, elle se sent à l'aise dans cet univers d'hommes.

Airelle Besson a tout de même travaillé avec des musiciennes qui lui ont laissé un souvenir ébloui, de l'organiste Rhoda Scott à la vocaliste Youn Sun Nah en passant par la légendaire Carla Bley.

Un nouveau quartet

Amoureuse de la voix, Airelle Besson a formé un nouveau quartet avec la chanteuse suédoise Isabel Sörling, le pianiste Benjamin Moussay et le batteur Fabrice Moreau. Après l'avoir rodé fin avril au salon Jazzahead! à Brême, elle présente ce groupe samedi à Coutances, où elle a entamé cet automne une résidence de deux ans. En première partie, en duo avec son complice brésilien Nelson Veras, elle jouera des pièces de leur album "Prélude", salué par la critique, avec pour invité le violoncelliste Vincent Segal (à voir sur Culturebox).


- Culturebox : Vous souvenez-vous de vos premières notes de musique ?
- Airelle Besson : La première fois que j'ai joué des notes, je pense que c'est dans ma trompette, vers 7 ans, 7 ans et demi. Je n'ai pas pu commencer plus tôt parce qu'il fallait que j'aie mes dents définitives. J'ai débuté par le solfège, c'est comme ça que cela se passait à l'époque au conservatoire.

- Votre père rêvait de vous voir jouer de la harpe celtique...
- Oui, je ne sais pas pourquoi ! C'est un instrument qui devait beaucoup lui plaire. On allait voir des concerts de harpe, des professeurs de harpe... Moi, je boudais... C'était la trompette ou rien ! Du coup, j'ai gagné.

- D'où est venu ce désir de jouer de la trompette ?
- Je ne sais pas. J'ai juste le souvenir d'une idée fixe qui a surgi à 4 ou 5 ans. On a cherché à comprendre. Mon père n'écoutait pas particulièrement de trompette... On se demandait si mon grand-père n'avait pas écouté du Maurice André... C'est très peu probable. Ça reste un mystère.

- Si vous avez ensuite effectué un parcours classique au conservatoire, la musique a eu une place centrale dans votre vie au point de suivre une scolarité hors norme...
- Je suis allée à l'école jusqu'en CM2. Puis, entre la 6e et le bac, j'ai suivi tous les cours par correspondance. Si j'avais été au collège et au lycée, je n'aurais pas pu continuer la musique, vu que j'étais déjà dans un circuit où j'avais mes classes de solfège, de trompette, d'orchestre, de musique de chambre... Je voulais garder tous mes professeurs.

- Comment êtes-vous venue au jazz ?
- Il se trouve que le répertoire de trompette classique n'est pas énorme. Mon père étant fan de jazz, on en écoutait un peu à la maison. Il m'a fait découvrir cette musique, il m'a inscrite à des stages. Par la suite, les premières classes de jazz se sont ouvertes au conservatoire. J'ai pu avoir comme professeur le trompettiste Roger Guérin. J'ai étudié au conservatoire du 10e, dans des écoles de jazz plus privées, j'ai joué dans des big bands... Ça plaisait un peu moins à mes professeurs classiques. À l'époque, ça n'était pas très bien vu de faire du jazz. "Ça va te faire mal aux lèvres, il faut faire attention..." Plus tard, j'ai eu un autre professeur, Pierre Gillet, trompettiste à l'Opéra de Paris, qui a été très influent pour moi. Il m'a dit : "Du moment que tu fais ta base technique tous les jours, il n'y a pas de problème, tu peux faire tout ce que tu veux." C'était bien d'avoir quelqu'un ouvert d'esprit.

- J'ai appris que le trompettiste de jazz qui vous avait le plus influencée était Tom Harrell...
- Aujourd'hui, je suis un peu moins focalisée sur lui que je ne l'étais pendant mes années CNSM, au début des années 2000. J'ai découvert le son qu'il avait, je l'ai vu sur scène, ça a été une révélation. Il est un peu en dehors du temps. En plus, le personnage est particulier, puisqu'il souffre d'une maladie... Il est dans un autre monde, mais dès qu'il prend sa trompette, c'est complètement... autre chose ! Je l'ai beaucoup suivi à une époque, je suis allée à une masterclass à Paris, je l'ai écouté en concert plusieurs fois, notamment à New York en duo avec Baptiste Trotignon. S'il y a un trompettiste qui m'a beaucoup influencée, c'est lui.

- Et aujourd'hui ?
- Je n'écoute pas particulièrement de trompettistes. Je vais écouter un instrumentiste plutôt pour une personnalité, un son, ce qu'il a à donner. J'ai beaucoup écouté Keith Jarrett, il m'accompagne encore aujourd'hui. Ça peut être aussi un saxophoniste, comme Stan Getz. Côté trompettistes, à l'adolescence, j'ai beaucoup écouté Chet Baker. Il est l'un des premiers musiciens que j'aie relevés (dont elle s'est exercée à écrire la partition en écoutant sa musique, ndlr). Mais je n'ai pas vraiment de héros, de personne à qui je veuille ressembler, ce n'est pas ma démarche.


- Il n'y a pas beaucoup de musiciennes de jazz en France, mais un peu plus que quand vous avez débuté. Comment avez-vous été accueillie dans ce monde très masculin ?
- Il y a une dizaine d'années, à l'époque où j'ai lancé le quintet Rockingchair avec Sylvain Rifflet, les musiciens manifestaient de la curiosité à mon égard, ce qui était normal parce que c'était nouveau. Mais moi, je ne voulais pas rentrer dans ce jeu d'être la musicienne parce que je suis une femme. J'ai toujours voulu mettre tout ça de côté.

- N'avez-vous jamais surpris de regard méfiant à votre égard ? Jamais eu la sensation de devoir faire encore plus vos preuves, parce que vous étiez une femme ?
- Non, jamais. J'ai plutôt eu un bon accueil du genre : "Ah ouais ! C'est super !" Je ne fais pas de forcing pour réaliser les choses, elles viennent d'elles-mêmes. Je n'essaye pas de démontrer ou de prouver quelque chose. Je me présente comme musicienne, point. Si c'est moi, c'est moi. Si c'est un autre, c'est un autre. Pour moi, le plus important, c'est la musique. En fait, je me rends compte que dans mon parcours, que ce soit comme trompettiste en classique, puis en jazz, je me suis retrouvée quasiment toujours toute seule. Et récemment, en cours de direction d'orchestre, c'était pareil. Bizarrement, je suis attirée par les parcours atypiques, censés être plutôt masculins. Or, le milieu masculin, c'est un milieu que j'aime beaucoup, j'y ai toujours évolué.

- Il faudrait encourager les jeunes filles à s'intéresser aux instruments à vent... D'autant que la pratique de ces instruments implique des difficultés particulières qui peuvent dissuader les vocations !
- Ça peut être dissuasif, en effet, en comparaison avec un instrument comme le piano. La trompette, les premiers mois, les premières années, c'est dur ! C'est ingrat parce qu'on n'a pas un beau son au début. On ne peut jouer que cinq minutes par cinq minutes, parce qu'on n'a aucune résistance au niveau des lèvres. Il faut de la régularité, une discipline quotidienne, quasi sportive, dès l'enfance. Je m'y astreins encore aujourd'hui. Mais quand on est enfant, ce n'est pas évident. Ça m'a été inculqué par mon père dès mon plus jeune âge, et maintenant, ça fait partie de moi.

- Êtes-vous amenée à rencontrer des jeunes élèves, musiciens en herbe ?
- À Coutances, je travaille sur un programme de l'Éducation nationale, Orchestre à l'école, qui permet de confier des instruments à des enfants, plutôt issus des quartiers défavorisés. Récemment, j'ai rencontré des classes de CM1, CM2. Ils ne vont jamais au spectacle, ils sont avides d'apprendre, ils ont des tas de questions à poser ! Ils m'ont demandé de leur jouer "mon meilleur morceau" ! Alors je les ai fait travailler ce morceau. Certaines filles jouent du trombone, de la clarinette, de la trompette, de la flûte... J'essaye de les motiver. Et quand je croise des copains dont les filles, notamment, font de la musique, je dis toujours à ces dernières : "Continuez ! Persévérez ! Même si c'est dur au début !"


- D'où vous est venue l'envie de suivre une formation de chef d'orchestre ?
- La direction d'orchestre m'a toujours attirée, même si je n'aspire pas à devenir chef car j'aime trop jouer de la trompette et composer. À la fin du groupe "Rockingchair", une aventure de dix ans, j'ai eu besoin de me ressourcer. Je me suis inscrite en cours de direction d'orchestre avec pour professeur Nicolas Brochot, qui a bien voulu d'une élève atypique comme moi, venue du jazz. J'ai fait quatre années de formation qui ont été vraiment bénéfiques, non seulement pour la musique, mais parce qu'elles m'ont aussi apporté une philosophie de vie, une manière d'appréhender l'orchestre. Il y a des codes sociaux très forts dans les orchestres. Nous, en jazz, on est des bisounours ! En plus, cette formation m'a amené des commandes, dont une de l'Orchestre national de Lyon sur le film "Loulou" de Pabst, de 1928. Il y a eu aussi une commande des gardiens de la paix pour une partition que j'ai dirigée la première fois avec un choeur d'enfants, et où j'étais également soliste.


- Vous vous trouvez dans une période fastueuse de votre carrière, entre le bel accueil reçu par votre album "Prélude" en duo avec Nelson Veras, votre Prix Django Reinhardt à l'Académie du Jazz, qui désigne le meilleur musicien français de l'année, et cette résidence à Coutances...
- Après Rockingchair, j'avais perdu un peu l'envie, la confiance... Puis en 2013, j'ai intégré un programme européen qui s'appelle Take Five Europe. L'idée était de faire une résidence à huis clos, d'une semaine, avec des musiciens de cinq nationalités, dans le Kent. Il y avait une partie musicale dirigée par John Surman, un saxophoniste anglais, et une autre partie plus music business. J'ai rencontré des musiciens magnifiques. Ça m'a complètement reboostée, redonné confiance. Ça explique un peu tout ce qui se passe pour moi aujourd'hui, la sortie du disque avec Nelson, l'accueil critique incroyable... Puis tout s'est goupillé, avec cette résidence à Coutances qui est un cadeau du ciel...

- En quoi consiste-t-elle ?
- Il y a des créations au théâtre, durant la saison culturelle, et une grosse présence à Jazz sous les pommiers. Jusqu'à présent, les résidents intervenaient surtout pendant le festival. Ce qui est nouveau, c'est qu'un dispositif a été mis en place par le ministère de la Culture et la Sacem pour faire amener le jazz et les compositeurs actuels dans les théâtres. On a soutenu ce projet au ministère qui l'a accepté. Jusqu'à présent, il y a eu déjà deux créations au théâtre, fin novembre et début février. J'ai dû écrire deux programmes d'une heure chacun en très peu de temps, tout en ayant la sortie du disque à gérer cet automne ! Et il va y avoir la vraie création du quartet. À Coutances, je travaille dans des conditions de rêve, difficiles à imaginer dans le jazz, surtout dans la conjoncture actuelle. Pour moi, c'est un grand privilège, je sais que ça ne dure qu'un temps et qu'il faut en profiter !

"Radio One", un morceau du quartet d'Airelle Besson

- Parlez-moi de ce nouveau quartet.
- Pour moi, ce quartet devait se faire avec une chanteuse. J'adore la voix. Je la considère comme un instrument à part entière, c'est quelque chose qui se rapproche aussi un peu de la trompette. J'avais les deux premiers protagonistes, Benjamin Moussay et Fabrice Moreau, dont j'adore la musicalité, la fraîcheur, la manière très ouverte d'appréhender la musique. Mais je cherchais toujours la chanteuse. Youn Sun Nah, à qui j'ai proposé le projet, est trop occupée. Après son refus, j'ai cherché pendant deux ans. Puis on m'a parlé d'Isabel Sörling, que j'ai choisie. Elle a un côté très expérimental en tant que musicienne, un peu folk aussi. Elle utilise sa voix comme un instrument, et c'est ce qui m'intéresse beaucoup, qu'elle ne soit pas juste une chanteuse pour porter des paroles. On a joué pour la première fois à Brême. Il était tard, l'endroit était bruyant, mais les gens présents m'ont tous dit qu'il y a un gros potentiel. La musique est là, elle ne demande plus qu'à être jouée, je sens qu'on va bien s'amuser !

- Une dernière question : considérez-vous la trompette comme un prolongement de votre corps ?
- Vous êtes la première personne à me demander ça... Pour moi, c'est plus la prolongation de la voix que celle du corps, mais ça va un peu ensemble. C'est l'extension de la voix, finalement, son amplification ! Après toutes ces années, quand je suis sur scène avec la trompette, c'est hyper naturel. Ce n'est vraiment pas un corps étranger.

Rencontre avec Airelle Besson à Jazz sous les pommiers :
P.J. Vergnes, M.Bellinghen, H.Douafir

Airelle Besson en concert à Jazz sous les pommiers
Samedi 16 mai 2015, 18h45 (complet)
En duo avec Nelson Veras (guitare), avec pour invité Vincent Segal (violoncelle) : le live à suivre ici
En quartet avec Isabel Sörling (chant), Benjamin Moussay (piano), Fabrice Moreau (batterie)
> L'agenda-concert d'Airelle Besson ici (cliquer "news + calendar")

> Tous les concerts de Jazz sous les pommiers sur Culturebox ici

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