Après la disparition d'Arsène Tchakarian, les oeuvres inspirées par "l'Affiche rouge" et le Groupe Manouchian
L'Affiche rouge. Pour l'Histoire, ces deux mots accolés évoquent le placard collé en 1944 sur les murs de Paris et de plusieurs grandes villes de France à 15 000 exemplaires par les autorités nazies et dénonçant un groupe de 23 résistants communistes dirigé par le poète arménien Missak Manouchian. Ils venaient tout juste d'être exécutés.
Dernier survivant
Les 23 résistants arrêtés sont fusillés, à l'exception de la seule femme tombée entre les mains des nazis et qui sera décapitée quelques mois plus tard. Arsène Tchakarian n'avait pas été arrêté et il était le dernier survivant de ce groupe de FTP-MOI, Francs Tireurs Partisans de la Main d'œvre immigrée. Il vient de mourir à 101 ans. D'origine arménienne lui aussi, il était l'auteur d'un des nombreux livres consacrés au Groupe Manouchian "Les Francs-Tireurs de l'Affiche rouge", publié en 1986. Après la guerre et jusqu'à ses derniers jours, Arsène Tchakarian intervenait dans les établissements scolaires. Il témoignait alors sans relâche devant les collégiens et les lycéens de la vie sous l'Occupation et de l'action de la Résistance. Il était aussi un farouche défenseur de la reconnaissance du génocide arménien de 1915.Aragon
En 1956, le poète communiste Louis Aragon écrit "Strophes pour se souvenir", publié dans "Le roman inachevé". Le poème s'inspire des derniers mots écrits par Missak Manouchian à son épouse Mélinée, quelques heures avant d'être fusillé : "... et je te dis de vivre et d'avoir un enfant." (Mélinée survivra, grâce à la famille de Charles Aznavour qui la cachera). La mise en musique par Léo Ferré de ce texte magnifique et sa publication sur l'album "Aragon" en 1961 sous le titre "L'Affiche rouge", contribueront grandement à attirer l'attention du public sur le Groupe Manouchian. L'artiste la chantera dans tous ses concerts jusqu'à la fin de sa vie en 1993.
Eluard
Paul Eluard, exclu avant guerre du Parti Communiste, avait publié dans les premières années d'après guerre son propre poème dédié à l'Affiche rouge, moins connu aujourd'hui que celui d'Aragon et dont voici un extrait.
C’est que ces étrangers,
comme on les nomme encore,
Croyaient à la justice,
ici-bas, et concrète,
Ils avaient dans leur sang
le sang de leurs semblables
ces étrangers savaient
quelle était leur patrie.
Paul Eluard
Cinéma
Deux films français racontent l'histoire du groupe Manouchian, le premier sort en 1976 et obtient le prix Jean Vigo. C'est "L'Affiche rouge" de Frank Cassenti. Missak Manouchian y est interprété par Roger Ibanez. Le film est très théâtral, à mi-chemin entre la fiction et le documentaire. Le réalisateur a imaginé de faire intervenir les survivants auprès des comédiens qui sont censés mettre sur pied un spectacle consacré à l'Affiche rouge.Plus récent, "L'Armée du Crime" de Robert Guédiguian sort en 2009. D'une facture plus classique, le film relate à la fois les faits de résistance et le destin du groupe Manouchian. Le rôle du chef de groupe est interprété par Simon Abkarian, arménien comme son personnage et physiquement très proche de lui. Guédiguian colle de près à ce que l'Histoire a retenu de ce drame.
Documentaires et polémique
De nombreux documentaires ont été consacrés au groupe Manouchian, notamment en 1993 pour le cinquantenaire de l'exécution des 23 résistants. Nous retiendrons ici celui qui a fait polémique au milieu des années 1980.En 1983, Mosco Boucault signe "Des terroristes à la retraite". Ce documentaire d'une heure dix dont le commentaire est dit par Simone Signoret et Gérard Desarthe est surtout composé d'interviews des survivants, alors encore relativement nombreux. Parmi ces témoignages pour l'Histoire, celui de Mélinée qui, contrairement au vœu de son mari dans sa dernière lettre, ne s'est jamais remariée. Le film s'ouvre sur l'appel aux morts, au cimetière d'Ivry où presque tous les fusillés du 21 février 1944 ont été enterrés et où a été élevée une stèle à leur mémoire.
Le film ne sera montré au grand public qu'en 1985. Le Parti Communiste avait fait pression pour que le film soit interdit : il ne pouvait pas accepter l'accusation, notamment de Mélinée. Elle était en effet convaincue que Missak Manouchian et son équipe avaient été sacrifiés pour des raisons tactiques par le commissaire politique des FTP Main d'oeuvre immigrée. Une situation qui ne fut pas propre à Paris mais que les groupes MOI d'autres villes comme Lyon (bataillon "Carmagnole") ou Grenoble (bataillon "Liberté") ont également connue. Il faudra des interventions politiques, notamment celle du ministre Georges Fillioud pour vaincre les pressions. "Des terroristes à la retraite" sera finalement diffusé en juillet 1985 aux "Dossiers de l'écran". Le débat qui suivra sera l'occasion d'incidents et d'intimidations.
Mosco consacrera en 1993 un autre film au même sujet : "Ni travail, ni famille, ni patrie - Journal d’une brigade FTP-MOI."
D'autres documentaires portent des regards différents ou complémentaires sur le drame du Groupe Manouchian. C'est le cas de "La traque de l'Affiche rouge" (2006) de Denis Peschanski et Jorge Amat avec la participation du quotidien "L'Humanité" et la fondation Gabriel-Péri.
Pascal Convert, l'architecte du monument aux fusillés érigé au Mont-Valérien, réalise en 2002 "Mont-Valérien, au nom des fusillés".
Une multitude de livres
Côté littérature, nombre de livres, d'études et de mémoires ont été consacrés à l'Affiche rouge et au Groupe Manouchian. Nous n'en citerons que quelques-uns. Benoît Rayski, le fils d'Adam Rayski membre du Groupe, a publié en 2009 "L’Affiche rouge – 21 février 1944" . Didier Daeninckx et Laurent Corvaisier ont publié une vie de Manouchian en bande dessinée "Missak, l'enfant de l'Affiche rouge". Et bien sûr le livre d'Arsène Tchakarian dont il a déjà été fait mention.
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