Brothers in arts, 1944-2014 l'hommage de Chris Brubeck et Guillaume Saint-James à leurs pères
L’histoire commence avec une question, quand un petit garçon demande à Chris Brubeck et Guillaume Saint-James pourquoi ils jouent du jazz. Les deux compositeurs, qui ne se connaissent alors que depuis peu, lui répondent en cœur que leurs pères leur ont transmis leur passion pour cette musique. Ils découvrent alors que sans se rencontrer, ces deux pères s’étaient trouvés en même temps, à l’été 1944, au même endroit, en Normandie. Dès lors, Chris et Guillaume se déclarent frères, et même frères en arts, en hommage direct aux frères d’armes de la guerre : Brothers in Arms, Brothers in Arts.
Le plomb des pères, le cuivre des fils
Guillaume Saint-James et Chris Brubeck collaborent professionnellement à plusieurs reprises, en particulier sur le projet Americana de l’Orchestre Symphonique de Bretagne. Le même Orchestre de Bretagne qui va bientôt leur commander une œuvre commémorative pour les 70 ans du Débarquement du 6 juin 1944. Une affaire de famille pour ces nouveaux Brothers : les pères avaient connu le plomb des balles, les fils allaient le raconter par le laiton et le cuivre de leurs instruments.
Alors tout l’hiver, Chris et Guillaume vont écrire ensemble. Grâce à la transmission de leur musique par le web, ils peuvent se soumettre des idées, réécrire, corriger, avancer. Et bien sûr, ils se rencontrent aussi souvent que possible : c’est ainsi qu’en décembre, Guillaume traverse l’Atlantique et rejoint Chris pour deux concerts, l’un devant les Nations Unies, et un second, peut-être encore plus émouvant, devant Iola Brubeck, l’épouse de Dave, au milieu des pianos du maître. Iola devait disparaître quelques semaines plus tard, un peu plus d’un an après Dave.
Juin 2014, le jour J des musiciens approche, Chris Brubeck rejoint Guillaume Saint-James à Rennes. Ils y finalisent leur œuvre, une pièce passionnante qui se veut évocatrice des derniers jours heureux d’avant la guerre jusqu’aux sanglants affrontements vers la Libération. La joie, et la douleur, servies par des mélodies d’une impressionnante virtuosité. Brothers in Arts sera exécutée en public les 12 et 13 juin derniers, devant un TNB comble et enthousiaste. D’autres représentations suivront, de nouveau à Rennes en septembre et aux USA en novembre.
Parallèlement à cette œuvre, Guillaume Saint-James a participé tout au long de l’année scolaire à un projet pédagogique au Collège Angèle Vannier de Saint-Brice en Coglès (35). Le choix du Coglais n'est pas anodin, c'est là qu'à l'été 1944, Patton avait dû s'arrêter et stationner ses troupes, avant de foncer sur rennes... pour cause de panne d'essence! Le projet se voulait pluridisciplinaire à base d’histoire, de français, d’arts plastiques et de musique. Guillaume Saint-James a accompagné la démarche des enseignants. Les élèves ont rencontré des anciens qui leur ont raconté leur guerre, ils ont visité les grands sites de 44, comme les cimetières américains. Les élèves ont ensuite écrit, dessiné et composé pour un spectacle joué en public en fin d’année.
En 44, Dave Brubeck est un GI pris dans la tourmente du débarquement en Europe. Il joue du piano mais n’a guère eu l’occasion de toucher un clavier depuis son départ des USA. C’est en remplaçant au pied levé un pianiste qui devait accompagner trois chanteuses que sa vie basculera : un général mélomane l’entend, et décide qu’un tel talent ne doit pas mourir au front. Il préfère lui confier une tout autre mission, celle de divertir les troupes en accompagnant leur avancée vers l’Allemagne.
Dave Brubeck va donc rassembler le Wolf Pack, le premier orchestre américain mêlant Blancs et Noirs, en passant outre les lois américaines de ségrégation raciale. Dans le même esprit de fraternité, il recrutera aussi des musiciens allemands, une fois le Rhin franchi. De retour en Amérique, Brubeck connaîtra une carrière fulgurante.
Son disque Time Out (1959) est la sixième plus grosse vente de l’industrie musicale, toutes catégories confondues.
Un disque qui regorge de tubes innovants, en particulier rythmiquement : Rondo a la Turk, Three to get ready, et surtout Take Five, dont on doit d’ailleurs la composition à son saxophoniste, Paul Desmond. Tout au long de sa carrière, Dave Brubeck s’attachera à imprimer une marque humaniste dans sa musique, et se souviendra de l’Europe. Un dernier détail qui en rassurera plus d’un, même s’il avait failli lui fermer quelques portes : Dave Brubeck ne savait pas lire la musique !
Dans la famille Saint-James, le père
Alain Saint-James est un adolescent de Normandie, qui voit passer à sa porte le déferlement des troupes alliées en juin 1944. Mais sur le moment, il a d’autres préoccupations : il doit être opéré d’une appendicite à la lumière d’une bougie …
Une double vocation naîtra de cette coïncidence : Alain Saint-James sera médecin, mais, bouleversé par cette musique que les GI’s semblaient emporter partout avec eux, c’est décidé, il jouera du jazz ! Amateur, il emmènera son tuba dans les clubs de Saint-Germain des Prés, et comme Dave Brubeck, il transmettra à ses enfants un amour, un dévouement sans faille à la cause du jazz, et de la musique en général.
Des frères d'armes aux frères en arts
Comme ses frères, Chris Brubeck va réussir à se faire un prénom dans la grande famille du jazz. Multi-instrumentiste (trombone, piano, basse), il s’impose comme compositeur. Très inspiré en particulier par l’imagerie de son pays, il va par exemple créer avec son père une œuvre liée aux images du photographe-poète Ansel Adams, l’un des grands maîtres du noir et blanc. Guillaume Saint-James apprend d’abord le piano, puis le sax, avant de commencer une brillante et remarquée carrière d’instrumentiste. Mais très vite, il réserve son énergie à la composition pour l’expression de ses propres univers. Mélodies subtiles et bouleversantes (Un papillon pour Maria …) enchaînées à des collages burlesques, les univers de Guillaume Saint-James sont directement visuels, drôles, vertigineux. Une discrète virtuosité au service d’une musique souvent narrative, qui laisse souvent pantelant quand le dernier souffle des instruments s’éteint.
Du Tatiphone, re-création sur l’œuvre de Jacques Tati, à Polis, son dernier disque, le saxophoniste est entouré des joyeux comparses de son « Jazzarium », dont le batteur Christophe Lavergne, le bassiste Jérôme Séguin, et peut-être surtout l’immense accordéoniste Didier Ithursarry, frère siamois mélodique de Guillaume Saint-James.
Parmi les bijoux concoctés par ces orfèvres, Météo-Songs, Les Poissons Rouges ou Polis, qui a donné lieu récemment à une réécriture avec l’Orchestre de Bretagne, pour se transformer en Megapolis.
Guillaume et Catherine Saint-James sont aussi les fondateurs du festival Jazz aux Ecluses à Hédé (35), qui réunit tous les ans amateurs de jazz et badauds sur les bords du canal d’Ille et Rance. (Edition 2013 ; Edition 2012).
Nous vous conseillons la lecture du passionnant dossier sur jazz et libération
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