"C'est comme si les étoiles étaient alignées" : la pianiste Leïla Olivesi savoure le beau parcours de son album "Astral" et se produit jeudi à Paris
Elle a fait ses premiers pas dans le jazz à l'adolescence. Puis, il y a près de vingt ans, elle a sorti son premier disque en leader, Frida (2004). En 2023, Leïla Olivesi savoure les fruits de sa passion pour le jazz et d'un cheminement au long cours qui l'a menée à briller et s'épanouir à la tête d'une structure réunissant sept musiciens, voire neuf en comptant les artistes invités sur ses albums. C'est ainsi qu'elle a enregistré Suite Andamane (2019), désigné Coup de Cœur de l'Académie Charles-Cros, puis Astral, sorti en novembre 2022 (chez Attention Fragile/ L'Autre Distribution), qui lui a valu le très prisé Prix Django Reinhardt de l'Académie du Jazz, au titre de l'année 2022. Astral a également été salué par les mensuels Jazz Magazine et Jazz News. Mais la pianiste quadragénaire avait déjà l'habitude des distinctions.
Née le 30 octobre 1977 au Moulin d'Andé (Eure), en Normandie, d'un père mauritanien et d'une mère corse, Leïla Olivesi a grandi à Paris tout en gardant des liens forts avec sa région natale. Elle avait 13 ans quand elle a rejoint la troupe juvénile des P'tits Loups du jazz dirigée par Olivier Caillard. Diplômée en philosophie, musicologie, piano jazz, formation musicale, écriture et orchestration, elle a obtenu ses premières distinctions d'artiste dès le début des années 2000. Elle a sorti six albums, elle a composé des musiques de films. Elle est devenue pédagogue, mais aussi conférencière, en binôme avec le regretté Claude Carrière (à qui elle rend hommage dans le morceau Missing CC ), pour célébrer Duke Ellington.
À la tête d'un formidable groupe
Avec Astral, Leïla Olivesi montre toute la palette de ses talents d'écriture pour orchestre, lyrique et contrastée, tout en aménageant des espaces d'improvisation. Il faut dire qu'elle s'est bien entourée pour les deux derniers albums : Quentin Ghomari (trompette), Baptiste Herbin (saxophone, flûte), Adrien Sanchez et Jean-Charles Richard (saxophones), Manu Codjia (guitare), Yoni Zelnik (contrebasse), Donald Kontomanou (batterie), ainsi que deux invitées, Chloé Cailleton (chant) et Géraldine Laurent (saxophone), forment l'effectif du disque. La pianiste et les sept jazzmen se produisent jeudi 21 septembre à Paris, au New Morning.
Franceinfo Culture : D'où vient votre goût pour les grandes formations ? Vient-il de votre expérience avec les P'tits Loups du jazz quand vous étiez adolescente ?
Leïla Olivesi : C'est possible. Je ne me suis jamais posé cette question. Quand j'étais petite, j'ai assez rapidement voulu faire du jazz. Et le jazz, déjà, c'était une musique d'ensemble pour moi. C'est ça qui me parlait. Les P'tits loups du jazz, c'est venu un peu plus tard, alors que j'étais déjà dans cette musique. J'avais 13 ans quand on a fait notre premier disque avec les P'tits Loups, et c'est vrai qu'à chaque fois, on était très nombreux, c'était festif. Donc je retrouve peut-être cet aspect partage dans les grands ensembles. Mais je pense aussi que j'ai été marquée par la musique que j'écoutais, une musique qui me parlait quand elle était orchestrale. À la maison, on écoutait Astor Piazzolla qui jouait avec des grandes formations, ainsi que Miles Davis et Gil Evans qui étaient dans une superbe recherche de son. Il y avait aussi des musiques de la Nouvelle-Orléans : c'est un peu un festival à moitié improvisé, avec plein de timbres d'instruments. Donc j'ai grandi dans ce goût sans jamais vraiment me le dire.
Vous avez donc voulu faire du jazz dès votre enfance ?
Il y avait d'abord l'environnement à la maison. Je baignais dans le jazz dès la naissance, ma mère en était férue. Elle travaillait dans le cinéma mais elle était aussi artiste, elle a écrit des poèmes. Elle était amie avec Nina Simone qui venait à la maison, comme pas mal de musiciens. J'ai commencé à apprendre la musique avec la famille Caillard [ndlr : une famille de musiciens pédagogues]. Jacqueline Caillard était d'abord ma professeure de flûte à bec, ensuite on a fait du piano ensemble. Rapidement, vers l'âge de 9 ans, j'ai commencé à faire des stages d'été. Pendant une semaine, on suivait des cours individuels, mais on faisait aussi des activités en groupe. Et là, alors que j'allais prendre mes cours de flûte, j'entendais, à côté, des ados qui jouaient du jazz. Je me suis dit : "C'est ça que je veux faire !" Le saxophoniste Rémi Sciuto, qui était un petit peu plus âgé que moi, faisait ces stages également, je l'entendais jouer. C'était un de mes modèles.
Vous avez cultivé ce goût du collectif pendant vos études musicales...
Quand j'ai fait des études d'écriture et d'orchestration, c'est vrai que je me suis penchée de plus près sur les orchestres symphoniques. J'ai étudié aussi, un peu, l'écriture pour big band. Mais je suis plus ou moins autodidacte dans ce domaine, j'ai fait des cours d'arrangement mais je n'ai jamais vraiment appris de recettes. J'aime bien laisser parler plutôt ce que j'entends dans ma tête plutôt que d'appliquer des recettes précises du genre : "Quand on écrit à quatre voix, il faut que tel instrument soit au-dessus de tel autre..." Je préfère faire les choses de manière plus spontanée. Ça ne veut pas dire que ça ne prend pas du temps, mais en tout cas il y a cette recherche de ce qui me parle.
En matière de larges ensembles, avez-vous des références, des artistes qui vous ont inspirée ?
Duke Ellington, bien sûr. J'aime bien les grands ensembles, mais j'aime bien aussi les médiums ensembles, quand il y a pas mal d'instruments différents, mais que les choses soient assez riches, alliées de différentes manières. Je pense à la musique de Danilo Pérez, ainsi qu'à SF Jazz Collective que je trouve génial, avec Miguel Zenón, ou à la collaboration de Wayne Shorter avec le groupe Imani Winds dans l'album Without a Net où il y a une écriture pour des bois. Je n'aime pas quand la musique sonne de façon systématique, générique, je préfère des choses très personnalisées.
C'est ce que vous avez voulu faire dans vos derniers projets musicaux...
C'est exactement ce que j'essaye de mettre en œuvre, en choisissant les solistes pour qui j'écris. Je veux qu'ils soient à la fois des musiciens d'ensemble et des solistes. J'aime cet équilibre : d'un côté, être au service de la musique et veiller à faire sonner l'ensemble, et en même temps, avoir la liberté de s'exprimer, improviser, inventer de la musique en direct. Pour moi, c'est la richesse du jazz. Quand j'ai monté le nonet pour la Suite Andamane, j'avais une idée de la musique que j'allais jouer. C'est un aller-retour entre le projet et les musiciens. J'ai formé le groupe par rapport à ce que j'avais envie d'exprimer en général avec ma musique, par exemple en termes de timbres. J'ai choisi des gens avec qui j'avais déjà joué auparavant en plus petite formation. Quand j'ai écrit les partitions, je savais donc qui allait jouer, mais aussi comment ça allait sonner. Après, parfois, on a des surprises. Au départ, on se projette, on imagine ce que ça va donner... Puis, une fois qu'on joue tous ensemble, il se peut qu'il y ait des petits ajustements à faire. En général, ça va plutôt dans le bon sens, et avec les échanges au sein du groupe, la musique s'enrichit.
Cette orientation récente vous a bien réussi. Le 12 mars dernier, vous avez reçu le Prix Django Reinhardt, la plus importante distinction de l'Académie du jazz. Qu'est-ce que ça représente pour vous ?
J'ai été extrêmement touchée. Quand j'ai appris que j'avais ce prix, j'ai regardé la liste de tous les anciens lauréats. Là, j'ai été prise d'un vertige en me disant : "Waouh ! D'accord !" C'est une famille vraiment prestigieuse... Ce n'est pas un prix comme les autres. C'est quelque chose qui me paraît important, d'autant plus qu'on ne peut l'avoir qu'une seule fois dans sa carrière. L'Académie du jazz est une association vraiment estimable à mes yeux, ce n'est pas un truc d'industrie, il y a un côté "l'art pour l'art" que j'apprécie. Il faut dire aussi qu' Astral est la révélation d'un long cheminement. J'ai vraiment la sensation d'avoir trouvé la bonne formation, la musique que j'ai envie de faire. C'est comme si les étoiles étaient alignées, tout fonctionne bien, c'est très agréable.
Est-ce que le fait d'être une femme musicienne a rendu plus compliqué votre cheminement dans le jazz, qui plus est à la tête d'un big band ?
Pas spécialement. Dans mon parcours, jusqu'à récemment - puisqu'on n'arrête pas de me poser la question -, avant que ce débat n'arrive sur la scène, je ne m'étais jamais trop posé la question de ces difficultés-là. En fait, je ne me considérais pas comme une femme musicienne, mais plutôt comme une musicienne de façon générique, comme "un musicien", vous voyez. Avec les gens avec qui je collabore, je n'ai pas rencontré de difficulté du fait d'être une femme. Je me suis toujours entourée de gentlemen ! [elle rit] Peut-être que si j'avais été un homme, cela aurait été plus simple pour la diffusion dès le départ. Il faut peut-être un peu plus de temps pour que les gens nous prennent au sérieux quand on est une femme... Je le dis vraiment avec des pincettes. Évidemment, il y a eu parfois des choses un peu déplacées dans mon parcours, mais c'était plutôt avec des ingé-son qu'avec des musiciens.
Après la Suite Andamane et Astral, est-ce que vous envisagez de réaliser le prochain album avec la même formation ?
J'aimerais bien faire une trilogie. Je souhaiterais continuer à explorer avec cet ensemble, parce qu'on n'en a pas du tout fait le tour ! J'essaye de commencer à préparer le troisième album. Comme ça se passe parfaitement, je pense que tout le monde est partant pour l'aventure.
Leïla Olivesi "Astral" en concert à Paris
Jeudi 21 septembre 2023, New Morning, 20H30
Son agenda concert, sur son site officiel
> Leïla Olivesi évoque Nina Simone dans "C'est une chanson" sur France Inter (19 septembre 2023)
> Leïla Olivesi invitée de "Mélodies Nocturnes" (20 janvier 2023)
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