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Dynamo de Banlieues Bleues : dix ans et un tout nouveau festival

En 2006, Banlieues Bleues, festival de jazz en Seine-Saint-Denis, investissait une ancienne manufacture de Pantin rebaptisée Dynamo. Dix ans plus tard, le festival y lance une nouvelle manifestation, le Dynamo Fest, du 30 septembre au 2 octobre. Xavier Lemettre, directeur de Banlieues Bleues et de la Dynamo, nous raconte cette aventure et la nouvelle scène du jazz auquel ce festival est dédié.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
La Dynamo de Banlieues Bleues à Pantin
 (DR)

Depuis l'an 2000, Xavier Lemettre dirige Banlieues Bleues, un festival créé initialement en 1984 et qui se tient chaque année à cheval sur mars et avril dans plusieurs villes de Seine-Saint-Denis, près de Paris. En 2006, la Dynamo de Pantin est devenue le navire amiral de Banlieues Bleues, accueillant chaque saison des concerts, résidences d'artistes, répétitions... Et pour le dixième annniversaire de sa reconversion musicale, l'ancienne manufacture pantinoise s'offre son propre festival, le Dynamo Fest, dont la première édition se tient les 30 septembre, 1er et 2 octobre 2016.

La programmation, éclectique et savoureuse, réunit entre autres le groupe britannique Sons of Kemet, le musicien suédo-turc Ilhan Ersahin,  le duo VKNG cofondé par Thomas de Pourquery (visage de l'affiche officielle du festival et incarnation de la nouvelle scène jazz que promeut Banlieues Bleues), le trio Journal Intime (qui fête aussi ses dix ans), la contrebassiste Sarah Murcia, mais aussi les captivants Brésiliens de Metá Metá, autant d'artistes qui œuvrent à "transcender les genres musicaux", selon les organisateurs.


- Culturebox : Quel était l'esprit de Banlieues Bleues à sa création ?
- Xavier Lemettre : Pour commencer, Banlieues Bleues a été un pionnier dans la mesure où il a été le premier festival pluricommunal. Une dizaine de villes de Seine-Saint-Denis se sont associées en 1984 pour fonder un festival et l'ont confié à une équipe indépendante. Le festival est devenu un événement phare de la vie musiclae non seulement pour le département, mais aussi Paris, l'Île-de-France et au-delà. Depuis, l'association et le projet n'ont pas changé. Il s'agissait dès le départ de lancer en banlieue un festival de référence qui présenterait au plus large public le jazz dans toute sa diversité, avec une grande ouverture dans les esthétiques musicales et dans une programmation de haut niveau, internationale. Aujourd'hui, le festival reste disséminé sur une quinzaine de villes de Seine-Saint-Denis, mais il y a aussi quelques concerts sur Paris et dans d'autres départements.

- Quand votre histoire personnelle avec le festival a-t-elle débuté ?
- Pour ma part, j'ai commencé à travailler à Banlieues Bleues en 1989. Il y avait à l'époque une toute petite équipe, nous étions quatre, et j'étais le chauffeur ! Le festival devenait important, il y avait beaucoup de travail, on commençait à faire des actions musicales. Je suis devenu le directeur de Banlieues Bleues onze ans plus tard, en 2000.

- En 2006, Banlieues Bleues a investi une ancienne fabrique pour en faire un nouveau lieu de musique. Racontez-nous cette aventure.
- Banlieues Bleues a toujours accueilli des créations. Beaucoup de musiciens y ont non seulement présenté leurs nouveaux projets, mais ils les ont aussi créés. On devait donc gérer et accueillir beaucoup de répétitions. Or, sans lieu prévu à cet effet, c'était très compliqué, il fallait emmener les musiciens dans des studios, parfois déménager en fonction de la disponibilité des studios... Il y avait clairement besoin d'un lieu de fabrique, et pas seulement de diffusion, pour la musique. Ce besoin ne concernait pas que le festival. Il concernait tout qu'on appelle jazz et musiques improvisées, même si c'est encore bien plus large que cela, car il y a beaucoup d'hybridations avec les musiques du monde, électroniques... Ces musiciens n'ont jamais eu d'outils pour travailler. Il existait des lieux mais ils étaient dédiés à d'autres musiques.

La nef de la Dynamo
 (DR)

- Vous vous êtes donc mis en recherche de ce lieu...
- Oui. Les collectivités territoriales, le département, la région et l'État lui-même trouvaient notre projet vraiment intéressant. On a fini par tomber sur cette friche industrielle à l'abandon, à Pantin, du côté des Quatre-Chemins. C'était une ancienne usine de recyclage de sacs de toile, un bâtiment qui ne se voyait pas trop de la rue. On s'est dit que l'on pouvait y faire quelque chose. Il y a eu une concertation avec des architectes voisins du site. Ça a abouti à la Dynamo. C'est une espèce de complexe musical. Il y a une salle de concert totalement modulable qui est aussi une salle laboratoire où l'on peut fabriquer des choses de tout type musical, acoustique, électrique... Elle peut se transformer en plateau de création en vue de grandes répétitions. Elle possède une configuration particulière, en U : les gradins entourent la scène (sauf à l'arrière), ce qui donne une très grande proximité entre le public et les musiciens. Elle a enfin la chance d'avoir une acoustique précise et claire qui ne donne pas droit à l'erreur aux musiciens, ce qui en fait une référence sur la région parisienne.

Autour de la salle, il y a des studios de répétition, une grande nef où se retrouve le public avant et après les concerts, ainsi qu'un jardin pour les musiciens en résidence. Ces derniers ne dorment pas sur place mais fabriquent leurs projets pendant des semaines, voire des mois, de la conception aux répétitions, à l'ajout de nouvelles dimensions à ces projets.

- Vous souvenez-vous du premier concert donné à la Dynamo ?
- Il a eu lieu le 17 mars 2006 lors d'une édition du festival Banlieues Bleues. C'était un moment très important pour nous. Il s'est passé près de dix ans entre la première visite du lieu et les différentes étapes qui ont précédé cette soirée, à la fois pour réunir les financements, faire le concours d'architectes, la rédaction du programme... Le premier concert était donc très attendu, même si nous ne disposions pas encore de matériel de sonorisation ! L'acoustique de la salle étant assez exceptionnelle, un groupe de jazz peut y jouer sans sonorisation, ce qui se passe très rarement de nos jours. Le tout premier concert a été donné par l'orchestre du pianiste allemand Alex Von Schlippenbach dont le projet consistait à jouer tout le répertoire de Monk en acoustique, ce qui tombait très bien. Le concert a duré quatre heures. La sonorisation est arrivée quelques mois plus tard. Elle a été baptisée par un des groupes qui produisent le plus de décibels dans l'improvisation, des Norvégiens qui s'appellent Supersilent mais qui ne sont pas du tout silencieux ! La salle de la Dynamo s'adapte aussi bien à des choses très sonores.

Le jardin de la Dynamo
 (DR)

Aujourd'hui, il nous reste à terminer l'aménagement de la Dynamo. Nous disposons de 200 mètres carrés de studios potentiels. Ce projet, appelé Dynamo Bis, visera à ajouter trois studios supplémentaires au site existant et de quoi accueillir davantage de musiciens et de compagnies en résidence. Nous partagerons ces futurs lieux avec d'autres structures culturelles.

- Quelles sont les grandes difficultés que vous avez rencontrées pour installer et pérenniser ce nouveau lieu de musique ?
- Dès qu'on franchit le périphérique, on change de monde... Beaucoup de gens qui habitent dans Paris ont de plus en plus de mal à le franchir... tout comme une grande partie du milieu musical qui s'enferre dans un centralisme parisien qui n'a plus lieu d'être. D'abord, il y a beaucoup plus de gens qui habitent en banlieue que dans le centre de Paris, et qui y travaillent, parce que ça coûte moins cher. En matière de culture notamment, les choses les plus intéressantes, la création, ne se passent pas au centre, mais en périphérie où il y a un bouillonnement. C'est aussi moins cher pour les artistes, pour les coûts de production, et la population y est plus jeune. Nous nous trouvons en plein cœur de cette effervescence. Pantin est en train de se développer, à l'instar de Montreuil. Malgré tout, il subsiste une difficulté, une limite parfois psychologique incarnée par le périphérique, même si cette barrière n'existera bientôt plus avec le Grand Paris. Une autre difficulté réside plutôt dans l'état actuel du monde du disque.

- Les ventes ne se portent pas aux mieux...
- Les disques se vendent de moins en moins, et dans le même temps, les gens vont à des concerts très différents, les genres sont en train d'exploser, tout se mélange. Il existe une nouvelle scène combinant plusieurs esthétiques, notamment dans les musiques improvisées, et qui se mélange à l'électro, fabrique de nouvelles choses... Cette nouvelle scène a grandi depuis cinq ans autour de la Dynamo qui en est devenue le havre. Elle attire un nouveau public. Il y a là une dynamique très porteuse. Ces musiciens commencent à dépasser les frontières européennes et devenir des têtes d'affiche en Europe, ce qui est très nouveau. Il y a aussi de nouvelles formes de spectacles pour ces musiques jazz et improvisées, dans lesquels les gens ne sont pas forcément assis comme dans les clubs de jazz à l'ancienne. C'est le cas du Dynamo Fest où nous proposons des concerts debout. Du coup, tout ce qu'il y a autour du concert prend de l'intérêt. À travers la musique, des gens très différents retrouvent l'expérience, le sens d'être en société, de partager quelque chose.

Détail de l'affiche du premier Dynamo Fest
 (DR)

- Un portrait de Thomas de Pourquery illustre l'affiche du Dynamo Fest. J'imagine qu'il incarne idéalement, à vos yeux, cette nouvelle scène ?
- Il est la tête d'affiche du Dynamo Fest. Il a été celle de la dernière édition de Banlieues Bleues dont il a fait l'ouverture avec un big band et un disque. Il incarne la nouvelle génération du jazz français, y compris à l'étranger. Il possède aussi ce nouveau style à la fois très éclectique et expressif en matière de musique. Il est lui-même tantôt saxophoniste, tantôt chanteur dans un groupe de rock, tantôt acteur. Il a une expression plurielle, une pluralité d'approches artistiques, avec un charisme et un grand talent. Thomas a fait une résidence à la Dynamo il y a cinq ans. Il a fabriqué le groupe Supersonic qui a obtenu une Victoire du Jazz et a donné plus de 120 concerts en France et en Europe. Il prépare son nouveau répertoire qu'on lancera au prochain festival Banlieues Bleues. Il vient au Dynamo Fest avec des groupes qui n'ont jamais joué à Pantin, VKNG, groupe de pop un peu freak, et Insult Reason, un groupe punk déjanté. Entre-temps, autour de lui, beaucoup d'artistes comme lui, plus jeunes, sont arrivés et sont en train de faire des choses très intéressantes, dans des esthétiques très diverses.

- Quels sont vos autres coups de cœur dans la programmation du premier Dynamo Fest ?
- Il y a Sons of Kemet, la révélation du jazz britannique avec deux batteurs, le saxophoniste Sabaka Hutchings et un tubiste. C'est comme une fanfare de poche avec un énorme groove, une espèce de transe. Ils sont très attendus depuis leur passage au dernier festival Banlieues Bleues. Il y a aussi Ilhan Ersahin et son groupe Istanbul Sessions, entre la Turquie et New York. Ils font de la fusion mais possèdent un son assez sale, surprenant. Ensuite, il y a Metá Metá qui fait une espèce de "jazzcore", comme on dirait du hardcore, un jazz assez resserré avec deux dimensions, punk et afro-brésilienne. Dans leur cas, l'hybridation du jazz s'est faite à São Paulo, la ville la plus excitante du Brésil, dans un mélange d'ingrédients peu courants. Je trouve que la musique n'a jamais été aussi ouverte et audacieuse et notre fierté, c'est d'accompagner ce mouvement.


Dynamo Fest
Dynamo de Banlieues Bleues
9, rue Gabrielle Josserand 93500 Pantin
Réservations sur le site ou au 01 49 22 10 10

Vendredi 30 septembre : Hifi Lo-Noise, Sons of Kemet, Ilhan Ersahin's Istanbul Sessions (invité : Vincent Segal) 
Samedi 1er octobre : Sarah Murcia et Fantazio, Journal Intime, VKNG 
Dimanche 2 octobre : Csaba Palotaï The Deserter, Metá Metá, Insult Reason
> Le programme détaillé sur le site de Banlieues Bleues

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