Émile Parisien de retour avec "Sfumato" et un groupe de haute volée
Bien-aimé du public et de la critique, le saxophoniste Émile Parisien, Prix Django Reinhardt 2012, Artiste de l'année aux Victoires du Jazz 2014, pour ne citer que les distinctions les plus récentes, vient d'ajouter une nouvelle pépite à une discographie passionnante et originale : "Sfumato", un album sorti le 7 octobre sur le label allemand Act.
Pour cette nouvelle aventure, le jeune homme de 34 ans a sollicité une éminence du piano européen, l'Allemand Joachim Kühn, de 38 ans son aîné, et qui a travaillé par le passé avec les saxophonistes Ornette Coleman, Archie Shepp ou Pharoah Sanders. Sur le disque, le quintet s'est renforcé de deux invités de marque : un autre illustre aîné, Michel Portal, avec lequel Émile Parisien se produit régulièrement, et enfin, l'ami et complice accordéoniste Vincent Peirani, avec lequel il a vécu une fabuleuse épopée grâce à l'album "Belle époque".
Ce samedi soir, le quintet d'Émile Parisien présente son nouveau répertoire à Paris, au New Morning, avec Michel Portal, avant deux dates en région en décembre. Dimanche, hasard du calendrier - ou pragmatisme du label Act -, Vincent Peirani lui succédera sur la fameuse scène parisienne pour présenter son propre projet, "Tandem", un superbe disque enregistré avec un autre pianiste allemand, l'excellent Michael Wollny.
- Culturebox : En peinture, le sfumato est une technique qui donne un effet vaporeux, des contours imprécis. Pourquoi un tel titre pour votre disque ?
- Émile Parisien : Bonne question ! D'une part pour rattacher ma musique à mon goût pour l'art pictural et l'art en général. D'autre part, j'ai choisi ce mot parce que je trouvais que ça correspondait bien à la manière dont ce disque avait été construit. J'utilise pas mal de codes - jazz, blues, pop - qui possèdent à la base des esthétiques assez précises. Or ici, toutes ces esthétiques se retrouvent mélangées, atténuées par des couches de musique qui se superposent.
- Vous décrivez "Sfumato" comme un disque comme "plutôt introspectivement triste" auprès de l'AFP. Personnellement, je ne suis pas d’accord...
- En tout cas, c'est introspectif... Je dis aussi que c'est triste, parce que je ne suis pas la personne la plus joyeuse de la Terre ! On commence avec une mélodie plutôt nostalgique à la base... Après, il y a aussi les éléments qu'apportent les membres du groupe. Ça crée un équilibre un peu moins dark que ce que je peux être, moi-même, personnellement.
- Joachim Kühn est un illustre pianiste qui a une longue et brillante carrière à son actif. Ça doit être un rêve de l’avoir comme membre d’un quintet à son nom !
- Oui ! C'est un rêve, un honneur, c'est carrément incroyable, moi-même, j'en suis encore surpris, sous le charme, très heureux.
- "Sfumato" réunit autour de vous un groupe inédit, non seulement du fait de la participation de Joachim Kühn, mais aussi par celle du guitariste Manu Codjia, du bassiste Simon Tailleu et du batteur Mario Costa. Comment ce groupe est-il né ?
- J'ai eu la chance de recevoir une proposition de carte blanche par Jazz in Marciac pour l'édition 2015. Ça se passait après toute la période du duo avec Vincent (Peirani, ndlr) et celle de mon quartet qui existe depuis douze ans. J'avais donc d'un côté un duo avec de la poésie et de la musique narrative, et de l'autre, un quartet un peu plus engagé dans la musique moderne. J'avais envie de rechercher un moyen de situer la musique, d'un point de vue esthétique, au milieu de tout ça. C'était aussi l'occasion de réunir des gens que je connais et avec qui j'avais envie de jouer depuis longtemps. C'est très important pour moi d'être en terrain connu humainement, afin que la musique puisse être exécutée plus facilement et en profondeur. Je ressentais d'autant plus cette envie après avoir joué avec des gens comme Daniel Humair, Michel Portal, Jean-Paul Celea qui sont des fers de lance de la musique européenne, et par l'intermédiaire desquels je lisais des partitions de Joachim Kühn depuis longtemps. Je me disais qu'il fallait que je rencontre Joachim Kühn sur un projet commun. Il a répondu favorablement à ma proposition.
- Aviez-vous déjà joué avec Joachim Kühn avant la carte de blanche de Marciac ?
- Oui. Ma grande chance, à propos de tous ces grands musiciens avec qui je partage la musique depuis quelques années, c'est de ne pas avoir forcé les rencontres. J'avais déjà eu la chance de jouer avec Joachim à Toulouse, en 2014 je crois. Je jouais en concert en trio avec Jean-Paul Celea et Daniel Humair. Joachim Kühn se produisait le même soir en solo. Comme on est dans le même label, je savais qu'il pouvait apprécier mon travail. Avec le trio, on l'a invité et on a joué deux ou trois morceaux d'Ornette Coleman.
- Qu’est-ce qu’il représentait pour vous, en tant que pianiste et jazzman, avant de travailler avec lui ?
- Un monument de l'histoire de la musique européenne ! Depuis trente ans, quarante ans, il a ouvert des voies avec cette personnalité, cette énergie qui est la sienne, avec son trio avec Daniel Humair et Jean-François Jenny-Clark... Tous ces artistes nous ont bercés... C'est un musicien hors du commun.
- Comment avez-vous constitué le reste du quintet ?
- Manu Codjia, je le connais depuis douze ans, on a partagé beaucoup de musique, on s'est retrouvé dans plusieurs projets. Ça faisait des années que je voulais qu'on réalise quelque chose ensemble. Mario Costa, je l'ai rencontré au Portugal auprès de Hugo Carvalhais, on y a fait quelques tournées. Simon Tailleu, je le connais aussi depuis longtemps, on a joué avec Yaron Herman.
- Cerise sur le gâteau, vous avez invité sur le disque Vincent Peirani et Michel Portal…
- C'était pour moi une évidence de partager avec Vincent cette histoire qui est née pendant mon cheminement avec lui. Mon grand ami, mon grand partenaire de route était évidemment convié à cette fête familiale. Concernant Michel Portal, avec qui on joue de temps en temps, Vincent et moi, c'est un personnage, un musicien dans toute sa splendeur, un monument lui aussi, que j'admire. Aux côtés de musiciens comme ça, je me sens tout petit et en même temps, je saisis cette chance incroyable de pouvoir partager de la musique avec eux.
- Vous vous êtes retrouvé en studio, à 33 ans, avec tous ces musiciens et la responsabilité de la direction musicale sur les épaules... Vous souvenez-vous de votre ressenti ?
- Déjà, on a peur ! Beaucoup de pression, de réflexion pour savoir comment gérer tout ça. Ce qui est formidable quand on se retrouve avec des gens bien sur le plan humain, c'est que tout le monde joue le jeu. Tout le monde s'est investi et a répondu présent aux sollicitations. Bien sûr, il y a eu des hauts, des bas, des difficultés, mais il y a eu des moments précieux, de bonheur. Je guidais un peu, mais on fait le travail tous ensemble.
- Avez-vous un souvenir particulier d'enregistrement ?
- On a fait ce disque à La Buissonne, près d'Avignon, avec Gérard de Haro qui est quelqu'un de très discret, mais aussi de très pertinent. le deuxième matin des sessions d'enregistrement, on arrive la tête dans le gaz... On s'échauffe, il est 9h30... Gérard sent qu'il y a un bon mood... Il dit : "Les gars, je sens qu'il y a quelque chose. Vous savez, les prises du matin, c'est bien ! Enregistrez dès maintenant." On n'était pas encore chaud, on n'avait pas encore répété le morceau. On a néanmoins suivi son conseil et on a joué. C'est comme ça qu'on a enregistré le "Préambule" qui ouvre le disque. C'était un moment de vrai plaisir, très fluide.
- Comment s’est constitué le reste du répertoire ? Vous signez la majorité des morceaux, Joaquim Kühn en a apporté d'autres, et je crois que d'autres morceaux ont été créés sur place...
- Oui, notamment le duo avec Joachim qu'on a dédié à notre ami commun Daniel Humair ("Duet for Daniel Humair", ndlr). On a fait des petites miniatures d'improvisation avec Joachim. On en a choisi une pour Daniel. Pour le reste, j'avais bien sûr amené des musiques. Joachim, en plus d'être un pianiste incroyable, est aussi un grand compositeur. Je lui ai évidemment proposé d'amener des morceaux, ça rajoutait à l'équilibre et au sens de tout ce projet.
- Quelques mots sur ce saisissant triptyque, "Le clown tueur de la fête foraine" ?
- C'est un morceau que j'avais enregistré pour le premier disque de mon quartet il y a très longtemps, douze ans je crois... J'adorais ce morceau qui était une composition commune de tous les membres du groupe. Il m'est apparu un choix idéal pour inviter Vincent sur le nouveau disque et pour créer un pont entre la musique que je fais avec lui et celle qu'on créait avec le quartet.
- Une ultime petite question : que ressentez-vous quand vous jouez sur scène ? Votre gestuelle, votre jeu de jambes, notamment pendant vos solos, sont parfois impressionnants !
- Je ne sais pas... C'est le corps et l'esprit qui sont liés d'une certaine manière pour me permettre de m'exprimer, de dire tout ce que j'ai à raconter, tout ce que je n'arrive pas à dire dans ma vie quand je ne fais pas de musique. Je sais que ça peut exaspérer des gens, j'ai moi-même du mal à me regarder ! C'est quelque chose que je ne contrôle pas, même si j'essaye parfois de le canaliser, de me dire : "Tranquille..." Mais voilà, ça me dépasse !
Émile Parisien Quintet en concert à Paris, au New Morning
Samedi 5 novembre 2016, 20H30
7-9 rue des Petites-Écuries, Paris 10e
Mardi 13 décembre à Schiltigheim
Vendredi 16 décembre à Rennes
> L'actualité d'Émile Parisien sur sa page Facebook
> Voir le concert qu quintet d'Émile Parisien avec Joachim Kühn au festival Europa Jazz 2016 sur Culturebox
> Le 15 novembre, dans le cadre de la collection "Variations", Culturebox proposera la performance d'un duo inédit, Émile Parisien et Jeff Mills, autour de la musique de John Coltrane.
Émile Parisien Quintet
Émile Parisien : saxophone soprano et ténor
Joachim Kühn : piano
Manu Codjia : guitare
Simon Tailleu : contrebasse
Mario Costa : batterie
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