Émile Parisien et Vincent Peirani, la belle équipe
Émile Parisien et Vincent Peirani insufflent un vent de fraîcheur et de poésie dans le jazz français. Depuis quelques années, le saxophoniste et l’accordéoniste cultivent une complicité lumineuse, tant artistique qu’humaine. Ils viennent de sortir leur premier album en duo, « Belle Époque ». Ils se produisent le 31 mars à Pantin, à l'occasion du festival Banlieues Bleues.
Vincent Peirani, né à Nice il y a 33 ans, s’est installé à Paris en 2004. Il évolue parallèlement dans la musique classique et le jazz, accompagnant différents musiciens comme la chanteuse Youn Sun Nah. En 2013, il a sorti un disque remarqué en leader, Thrill Box (Act), avant de remporter le prix Django Reinhardt de l’Académie du Jazz en janvier 2014.
Émile Parisien, né à Cahors il y a 31 ans, a étudié au collège de Marciac, puis à Toulouse, avant de s’installer à Paris en 2000. En 2004, il a lancé son propre quartette, avec lequel il a été sacré Révélation aux Victoires du Jazz 2009. Il a également reçu le prix Django Reinhardt, un an avant son complice.
Coup de jeune pour Sidney Bechet
Les deux musiciens se sont connus dans le quartette du batteur Daniel Humair, avec lequel ils ont enregistré un disque sorti en 2012. Leur alchimie, qui fait des merveilles sur scène, s’est confirmée en studio avec l’enregistrement de l’album Belle Époque, sorti le 11 mars chez Act. Leurs hommages à la tradition du jazz, et notamment au légendaire Sidney Bechet – saxophoniste soprano comme Émile Parisien, y côtoient leurs propres compositions. Les deux artistes y expriment toute leur poésie, leur goût de l’improvisation et une joyeuse insolence, tandis que des nuages de mélancolie nappent parfois l’atmosphère de ce très beau disque.
"Egyptian Fantaisy" (Bechet)
La rencontre
Quand on croise Vincent Peirani et Émile Parisien, on a l’impression de tomber sur des amis de toujours. Ils ne se connaissent pourtant pas depuis longtemps. Avec son irrésistible sens de l’humour, l’accordéoniste n’hésite pas à chambrer son camarade... Petite conversation à bâtons rompus, en toute franchise, autour de leur amitié et de leur disque.
- Culturebox : Quand vous êtes-vous rencontrés ?
- Vincent Peirani : Novembre 2009.
- Émile Parisien : Premier concert avec Daniel Humair qui nous avait invités…
- Vincent : … pour Jazz au Fil de l’Oise. On avait joué en quartet avec Sébastien Boisseau. Notre première vraie rencontre musicale. Cela dit, on s’était déjà croisés quelques années auparavant au festival de Pinarello. Et moi, j’avais eu très, très peur d’Émile. (celui-ci rit)
- Pourquoi ?
- Vincent : Je ne sais pas. Il jouait et ça me faisait peur. C’était un truc…
- Émile : C’est parce que je gonfle les joues, j’ai les yeux qui sortent!
- Vincent : Non, il y avait vraiment un truc… J’étais à la fois impressionné, et en même temps, il y avait ce truc tellement fort qui se dégageait que c’était trop pour moi. Quand Daniel nous a invités pour ce concert, je me suis dit : « J’espère que ça va aller, il me fait peur, quand même ! » Et puis en fait… il est gentil. (rires) Il est gentil sur scène et en dehors.
- Émile, quelle est la première impression que Vincent vous a faite ?
- Émile : Je l’ai trouvé très grand (rires). Bon, c’est un peu facile (Vincent mesure 2,05 m, ndlr). En fait, je ne me souviens pas de la rencontre musicale de Pinarello. C’était dans une église, je crois. Par contre, j’ai un super souvenir du premier concert avec Daniel Humair. Une belle rencontre, assez fluide musicalement, ça se passait très bien. Avec Daniel aussi. On n’avait pas besoin de trop se parler. On a très vite commencé à dialoguer. Du coup, ça a continué.
- Vincent : C’est à la suite de ce concert que Daniel a dit qu’il voulait monter un quartette. Il nous a convoqués chacun de notre côté. « Bon, Vincent ? Un quartette, Jérôme Regard à la contrebasse… Et j’aimerais bien essayer un truc avec Émile Parisien… Qu’est-ce que tu en penses ? » Moi je dis : « Ben ouais, super ! » Il a fait la même chose avec Émile.
- Émile : C'est parti d’une très belle intention, ce souci de savoir comment ça allait se passer humainement. C’est super important pour la musique. Daniel s’entoure de jeunes musiciens, comme il l’avait fait avec le Baby Boom (un autre groupe formé par le batteur, ndlr). Il est là avec son bagage, son histoire, son charisme et son aura, c’est très agréable. C’est une chance de jouer avec lui.
- Après avoir intégré le quartette de Daniel Humair, comment votre complicité s’est-elle développée ?
- Vincent : Au fur et à mesure des concerts. Les disques nous ont aussi vachement rapprochés, parce qu’on était très investis, à se poser des questions, mille questions, trop de questions, à se prendre la tête. On a passé de plus en plus de temps ensemble, on s’est apprivoisés et je pense qu’on avait beaucoup de recul l’un sur l’autre. Émile m’a aidé en me donnant des conseils. On se faisait des debriefs après les concerts…
- Émile : On a passé des heures à refaire le monde, à parler de musique, à se raconter nos vies. Ça crée une complicité. Mais je le redis, naturellement, musicalement, déjà, je pense qu’il y avait quelque chose d’assez fluide qui fonctionnait très bien.
- Vincent : Même si je pense que si on lui avait dit il y a dix ans qu’il aurait joué un jour avec un accordéoniste, il n'y aurait pas cru ! Il me l’a dit !
- Émile : C’est vrai !
- Émile, quelle image aviez-vous de l’accordéon avant de rencontrer Vincent ?
- Émile : Je n’en avais pas une mauvaise image. J’ai connu assez tôt le duo formé par Richard Galliano et Michel Portal. J’ai tout de suite été conquis par la musique et ce qui se dégageait de ce duo. Pour lancer des fleurs à Vincent, je dois dire qu'il amène quelque chose à l’accordéon. C’est ce que tout le monde dit. Et je suis le premier d’accord. Il y a une espèce de révolution de l’accordéon par un panel de sons, de choses qui, moi, m’intéressent, justement, le fait de chercher…
- Vincent : Pour moi, ça se fait de manière naturelle au contact de gens comme Émile, Daniel, Youn Sun Nah, qui poussent à aller chercher ailleurs. Tout ce travail que je fais pour l’accordéon, je ne le fais pas tout seul. Il y a un peu de Daniel, d’Émile… Je t’aime tellement ! (rires)
- Émile : C’est beau, ce que tu dis, j’aime beaucoup !
- Vous avez donc fini par constituer un répertoire pour duo.
- Vincent : À force de faire ces concerts avec Daniel et le quartette, des gens nous disaient : « Votre complicité sur scène, c’est génial. Vous jouez aussi en duo ? » « Non, non... » Un jour, l’agent de Daniel nous a dit : « Les garçons, vous avez une date en duo au festival de Vaulx-en-Velin. » C’était en mars 2013.
- Émile : On a fait ensuite une mini-résidence à Jazzèbre, à Perpignan. Mais auparavant, on avait donné notre premier concert en Corée en 2012.
- Vincent : Octobre 2012, au moment de l’anniversaire d’Émile. Au Jarasum Jazz Festival. On a commencé à se poser des questions sur ce qu’on pouvait jouer en duo. On a pioché dans nos univers, ce qu'on aime, nos compositions, les reprises qu’on aime bien. On a essayé des choses, il s’est créé un son.
- Ce disque commun est donc un aboutissement naturel.
- Vincent : Pour nous, c’est un premier disque. À moins qu’il se passe quelque chose de grave, qui fasse qu’on se sépare. C'est une histoire de copains, en constante évolution. On a la chance d’avoir pu l'enregistrer, ce n’était pas gagné. Il y a toujours des problèmes de disponibilité, ou pour se mettre d’accord…
- Émile : Vincent est très pris. On avait envie de bien faire les choses, on s’est posé les questions pour y arriver, ça a pris du temps.
- Pourquoi cette thématique autour de Sidney Bechet dans le disque, un nom illustre du jazz, mais quelque peu éloigné de vous ?
- Émile : Par l’intermédiaire de Vincent qui a enregistré son premier album chez Act, on a rencontré Siggi Loch (le patron du label, ndlr) qui nous a proposé de faire un hommage à Sidney Bechet.
- Vincent : Siggi a découvert le jazz par un concert de Bechet auquel il avait assisté. On s'est demandé ce qu'on allait faire... Moi, à part les gros tubes, je ne connaissais rien !
- Émile : Je connaissais Petite Fleur...
- Vincent : ... et Les Oignons, parce que Marc Ducret et Daniel Humair en ont fait une version monstrueuse. On s’est dit : « Pour refuser le projet, il faut se plonger dedans. » Il fallait trouver les bons arguments. On ne pouvait pas juste dire : « Non, ça ne nous parle pas, c’est trop loin. » On a fait des séances d’écoute pendant plusieurs mois. Rien que pour télécharger les titres que Bechet a joués, il y a plus de 150 pages ! Et on a trouvé les morceaux qui sont dans le disque.
- Émile : Avec Siggi, on a pu construire un répertoire qui incluait de la musique de Bechet et nos propres compositions. Le fait de se plonger dans son répertoire a amené quelque chose dans la couleur globale du disque.
- Est-ce vous qui avez proposé Dancers in love de Duke Ellington ?
- Émile : C’est une grande idée de Vincent Peirani ! Depuis que je connais Vincent, on joue ce morceau régulièrement en rappel, et il fonctionne très bien. Pour la petite histoire, c’est un morceau qui se joue assez rapidement et Vincent a eu la bonne idée de le jouer très lent.
- Vincent : C’est Dancers in love. Ils sont « love », quoi !
- Est-ce que le titre du disque, Belle Époque, se réfère à ce répertoire classique ?
- Émile : Je pense que ça reflétait plus un état d’esprit. On a enregistré ce disque dans une humeur assez légère et tout à fait positive, presque euphorique. Dans le répertoire, il y a un côté de musique un peu populaire. Pour moi, « Belle Époque », ça fait penser à une époque populaire, légère, curieuse d’idées.
- L'album comporte aussi un hommage à Schubert, Schubertauster...
- Vincent : Pour écrire ce morceau, je me suis inspiré du deuxième mouvement de La Jeune fille et la mort. J’ai fait une espèce de suite. C’est un morceau en trois parties. Par contre, c’est Émile qui a trouvé le titre. Comme je galérais, je lui raconte ce qui s’est passé pour ce morceau, et il dit : « On a passé Schubert au grill. » Donc « Schubertauster », avec un petit côté allemand, on aimait bien. Or, on a fait une interview en Allemagne, le mec a dit : « Vous savez ce que ça veut dire, auster ? L’huître. » En fait, c’est monstrueux, parce qu’après La Truite de Schubert, maintenant, il y a L’Huître de Schubert... Sans le savoir.
- Émile : C’est une belle histoire, j’aime bien !
- Vincent, quelques mots-clés pour décrire Émile ?
- Vincent : « J’sais pas… Peut-être… J’sais pas. »
- Émile : T’as oublié « Pourquoi pas » !
- Vincent : Mais il faut rajouter « J’sais pas » après. (Émile éclate de rire) Il dit toujours ça. Parce qu’il laisse les trucs ouverts, en fait…
- Émile, à votre tour !
- Émile : Je dirais que Vincent est quelqu’un d’assez exigeant…
- Vincent : Voire relou, tu peux le dire !
- Émile : Un petit peu rigide (Vincent rit)…
- Vincent : On est assez différents. Pour chacun, l’autre a mis en évidence certains défauts, certaines caractéristiques. Maintenant, on en rigole et on se donne des conseils, on se fait un peu de psy ! Là où on s’apporte le plus, c’est sur le niveau humain. Et forcément, ça agit sur la musique, ça nous fait progresser.
(Propos recueillis par A.Y.)
Vincent Peirani et Émile Parisien en concert au festival Banlieues Bleues
Lundi 31 mars 2014, 20h30 à la Dynamo de Pantin
5, rue Gabrielle-Josserand
93500 Pantin
Tél : 01 49 22 10 10
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