Eric Bibb et J.J. Milteau rendent hommage à Lead Belly et à ses tubes
Ce disque est le genre d’objet qui justifie l’existence du CD, puisqu'au delà du plaisir de la musique, il est accompagné d’un livret indispensable pour comprendre la démarche des deux musiciens rassemblés sur une riche idée du producteur Philippe Langlois. L’album plonge au cœur du répertoire de Lead Belly (aussi orthographié Leadbelly, ou Huddie William Ledbetter de son vrai nom) avec des morceaux de folk rural du sud des États-Unis que l’icône du blues, mort en 1949, a su rendre célèbres, même s’il n’a pas connu la gloire de son vivant.
Des tubes et du folk
La liste du "patrimoine" pop rock et blues laissé par Lead Belly est à faire tourner la tête : "My girl” ("Where did you sleep last night") de Nirvana, "House of the rising sun" (The Animals puis Johnny Hallyday), "Midnight Spécial" de Creedence Clearwatter Revival… et il faut désormais ajouter Keith Richards dans la longue liste de ceux qui ont interprété "Goodnight Irène " (voir son interview ici), puisque la chanson figure dans son dernier album. À noter pour l’anecdote que ce titre a été le premier de Lead Belly à figurer au top des hits parades américains grâce à la reprise des Weavers, en 1950, un an après sa mort.Eric Bibb et Jean-Jacques Milteau ont choisi d’enregistrer ces chansons avec une formation minimale (guitare acoustique, harmonica, basse et batterie) et la captation live, en public et en studio, renforce l’idée de rencontre et de respect qui se dégage du disque. Les deux hommes s’approprient les chansons de Lead Belly dans un mélange de force et d’humilité, comme si le vieil homme les écoutait depuis là-haut en tapant du pied.
Extrait du concert de Jazz à Vienne avec "Grey Goose" qui ouvre l'album (dans une version plus douce...)
Dans le carnet qui accompagne le disque, Eric Bibb fait le lien avec son père, Leon, figure du folk revendicatif du New York des années 70 et qui a vu Lead Belly en concert au Village Vanguard à la fin des années 40. "La sonorité de sa guitare à 12 cordes fait partie de mon ADN […] ce type –là n’obéissait qu’à lui-même. Le fatalisme et la résignation que j’ai découverts par la suite dans les voix des héros du blues d’avant-guerre étaient absents chez lui. Lead Belly était très en avance sur son temps."
Lors du concert présenté en avant-première dans le cadre de Jazz à Vienne l’été dernier, nous avons rencontré Jean-Jacques Milteau qui nous a raconté comment Lead Belly avait été découvert par les musicologues Alan et John Lomax dans un pénitencier, avant qu’il devienne un symbole important de la lutte pour les droits civiques des Afro-américains.
Pour Jean-Jacques Milteau, les histoires racontées par Lead Belly sont d'importants témoignages : "Les sentiments, la souffrance, la religion, la vie social, les faits divers … il semble qu’aucun domaine n’ait échappé à ses chroniques musicales. Comme le révèlent quelques unes de ses prestations live enregistrées, il aimait commenter les chansons qu’il interprétait, à la manière d’un éditorialiste."
Un disque réussi à déguster sur scène
Parmi les 16 titres (dont trois chansons spécialement écrites pour l’occasion), "Bourgeois Blues" illustre parfaitement l'aspect engagé de la carrière du chanteur, il y dénonce avec courage la ségrégation raciale à Washington alors qu’il enregistrait dans un studio de la capitale en 1938.Cet album est au final très réussi. Il est très respectueux, humainement et musicalement, de Lead Belly et de tout ce qu'il représente dans l'histoire des Afros-américains, depuis l'esclavage jusqu'à l'explosion musicale du blues et du folk. Ces reprises donnent aussi envie de se plonger sans retenue dans les enregistrements originaux de cet artiste si singulier. Mais aussi d'apprécier au mieux les interprétations d'Eric Bibb et Jean-Jacques Milteau là où elles sont nées, sur scène.
“Lead Belly’s Gold” de Eric Bibb et Jean-Jacques Milteau – Album CD avec livret (Dixiefrog)- Sortie le 2 octobre.
Les deux musiciens seront en tournée dans toute la France après une date le 6 octobre à l'Alhambra à Paris.
Bonus. Leon Bibb n'a pas participé à l'enregistrement de l'album, mais il avait accompagné son fils le temps d'une élégante reprise de "Swing Low, Sweet Chariot" pour la télévision canadienne, un très joli moment...
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