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Francesco Bearzatti, un hommage très rock à Thelonious Monk
Dans son dernier disque enregistré avec son quartette Tinissina, Francesco Bearzatti, saxophoniste et clarinettiste italien installé à Paris, rend un hommage percutant au géant du jazz Thelonious Monk (1917-1982). Après des concerts à Avignon et Vitrolles, il se produit ce soir à Saint-Denis, puis mercredi au Tourcoing Jazz Festival. Rencontre avec un artiste aussi exubérant qu'attachant.
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Né à Pordenone dans le nord-est de l'Italie, installé à Paris depuis 2000, Francesco Bearzatti s’est rapidement rendu incontournable dans le paysage jazzistique français. Aussi à l’aise à la clarinette qu’au saxophone, sur scène, ce virtuose italien quadragénaire impressionne par son charisme et son jeu totalement habité.
Ex-enfant du rock (son premier instrument a été la batterie), Francesco Bearzatti s'est tourné vers le jazz à l'aube des années 90, partant l'étudier deux ans à New York. Quelques mois après son arrivée en France, il a été invité à rejoindre le groupe du batteur Aldo Romano. Devenu incontournable sur la scène jazz hexagonale, il est impliqué aujourd'hui dans des dizaines de projets jazz différents, allant de la tradition à une fusion rock, n’hésitant pas à faire sonner son saxophone amplifié comme une guitare électrique. En janvier 2012, l’Académie du Jazz lui a remis le prix du musicien européen de l’année.
Son dernier album en date, enregistré avec ses compatriotes du quatuor Tinissina, constitue un hommage joyeux et original à Thelonious Monk : une bonne douzaine de standards du grand pianiste jazz mélangés à des riffs de classiques du rock. Il fallait oser... La rencontre
Son dernier album en date, enregistré avec ses compatriotes du quatuor Tinissina, constitue un hommage joyeux et original à Thelonious Monk : une bonne douzaine de standards du grand pianiste jazz mélangés à des riffs de classiques du rock. Il fallait oser... La rencontre
- Culturebox : Pouvez-vous nous raconter la genèse du projet Monk'n Roll ?
- Francesco Bearzatti : J’ai écrit le premier arrangement sur Monk en 2005 alors que je jouais avec un trio new-yorkais, les Sax Pistols, qui n’existe plus aujourd'hui. J’ai eu l’idée de jouer "Straight no Chaser" avec "Walk this way" d’Aerosmith, mais on ne l'a jamais joué sur scène. Je l’ai enregistré plus tard avec Tinissima. Il y a quelques années, quand on a sorti le disque "Suite for Tina Modotti" (2008), on a commencé à pas mal tourner en France et en Europe. À la fin des concerts, en rappel, on avait l’habitude de reprendre des titres de la suite. Comme j’ai retrouvé l'arrangement sur Monk, j’ai proposé au groupe de le jouer en rappel. Après avoir écouté une suite très intense, le public appréciait beaucoup cette musique un peu plus pop, légère. Du coup, j’ai tout de suite proposé un autre arrangement, "Bemsha Swing" avec "Another one bites the dust" de Queen. Avec le groupe, on s’est beaucoup amusé. Alors, les autres membres de Tinissima ont commencé à proposer à leur tour des morceaux de Monk avec d’autres riffs célèbres. On a construit tout le disque ensemble et on est parti en studio.
- Francesco Bearzatti : J’ai écrit le premier arrangement sur Monk en 2005 alors que je jouais avec un trio new-yorkais, les Sax Pistols, qui n’existe plus aujourd'hui. J’ai eu l’idée de jouer "Straight no Chaser" avec "Walk this way" d’Aerosmith, mais on ne l'a jamais joué sur scène. Je l’ai enregistré plus tard avec Tinissima. Il y a quelques années, quand on a sorti le disque "Suite for Tina Modotti" (2008), on a commencé à pas mal tourner en France et en Europe. À la fin des concerts, en rappel, on avait l’habitude de reprendre des titres de la suite. Comme j’ai retrouvé l'arrangement sur Monk, j’ai proposé au groupe de le jouer en rappel. Après avoir écouté une suite très intense, le public appréciait beaucoup cette musique un peu plus pop, légère. Du coup, j’ai tout de suite proposé un autre arrangement, "Bemsha Swing" avec "Another one bites the dust" de Queen. Avec le groupe, on s’est beaucoup amusé. Alors, les autres membres de Tinissima ont commencé à proposer à leur tour des morceaux de Monk avec d’autres riffs célèbres. On a construit tout le disque ensemble et on est parti en studio.
- Pour les arrangements, est-ce que vous partiez plutôt d’un riff rock ou d’un morceau de Monk ?
- Normalement, on partait du riff, parce qu'il allait constituer la base du morceau. On cherchait ensuite quel morceau de Monk pouvait y être associé, on essayait des trucs. Je me souviens qu’avec l’Iphone, avant de jouer en concert, dans les loges, on jouait très doucement, un membre du groupe disait "essaye ça !", on essayait, on rigolait, "Ah, c’est super !", et pendant les balances, on commençait à jouer les morceaux. On s’est amusé comme des gamins !
- Quel est le morceau le plus amusant à jouer ?
- Pour moi, c’est « Trinkle Trinkle » de Monk associé à « Back in Black ». J’avais 14 ans quand ce morceau de AC/DC est sorti. J’avais très envie de le jouer, mais avec le saxophone, c’était impossible. Et là, j’ai trouvé la façon de le jouer, de mettre du Monk et de faire un solo de guitare sur un riff que j’adore. Par ailleurs, je trouve que l’association de « Round Midnight » avec « Walking on the Moon » de Police est très réussie. Globalement, je suis très content de ce qu’on a fait. - Comment le public réagit-il à ce répertoire pour le moins original ?
- Un public avec un esprit ouvert va s’amuser. Bien sûr, certains puristes du jazz - ou de Monk - me prennent peut-être pour un fou, ou crient au sacrilège… Il y aura toujours des talibans du jazz !
- Vos précédents albums avec Tinissina étaient dédiés à des icônes révolutionnaires, Malcolm X et Tina Modotti. Rendre un hommage ludique à Thelonious Monk répondait-il au besoin de revenir vers plus de légèreté ?
- Quel est le morceau le plus amusant à jouer ?
- Pour moi, c’est « Trinkle Trinkle » de Monk associé à « Back in Black ». J’avais 14 ans quand ce morceau de AC/DC est sorti. J’avais très envie de le jouer, mais avec le saxophone, c’était impossible. Et là, j’ai trouvé la façon de le jouer, de mettre du Monk et de faire un solo de guitare sur un riff que j’adore. Par ailleurs, je trouve que l’association de « Round Midnight » avec « Walking on the Moon » de Police est très réussie. Globalement, je suis très content de ce qu’on a fait. - Comment le public réagit-il à ce répertoire pour le moins original ?
- Un public avec un esprit ouvert va s’amuser. Bien sûr, certains puristes du jazz - ou de Monk - me prennent peut-être pour un fou, ou crient au sacrilège… Il y aura toujours des talibans du jazz !
- Vos précédents albums avec Tinissina étaient dédiés à des icônes révolutionnaires, Malcolm X et Tina Modotti. Rendre un hommage ludique à Thelonious Monk répondait-il au besoin de revenir vers plus de légèreté ?
- Ça, c’est sûr. Après le bon accueil reçu par ces deux albums, les journalistes demandaient tout le temps : "Alors, qui sera le prochain révolutionnaire ?" J’ai pensé qu’il serait plus intelligent, pour l’instant, de changer complètement de style !
- Thelonious Monk n’est-il pas une sorte de rebelle, lui aussi ?
- Thelonious Monk n’est-il pas une sorte de rebelle, lui aussi ?
- C’était un musicien complètement original, différent des autres dans sa façon d’être, sa manière de composer. On peut dire que c’était un génie rebelle.
- Qu’est-ce que vous aimez le plus chez Monk ?
- Bien sûr, sa musique. Je l’écoute depuis plus de vingt ans et je ne suis jamais rassasié. Plus on l’écoute, plus on découvre le génie de sa musique. Et j’aime aussi la singularité du personnage. C’était un mec incroyable, une espèce d’autiste musical ! Sur scène, il jouait, il tournait sur lui-même, c’était vraiment un mec très bizarre, mais avec un grand sens de l’humour.
- Un mot pour caractériser sa musique ?
- Granitique. Comme des sculptures dans la pierre. Les choses sont écrites de telle façon qu’on ne peut pas les bouger. Ce qu’on a fait avec Tinissina relève du pur hasard. Mais Monk, il faut le jouer à la Monk, c’est très difficile de sortir de son style. - Vous considérez-vous plus comme un jazzman, un rocker ou une sorte d'électron libre ?
- J’aime beaucoup le terme d’"électron libre", ça me correspond très bien. Je suis moi-même, je fais ce que j’ai envie de faire, sans jamais me demander ce que l’on pensera de moi. Sinon, je n’aurais jamais sorti "Monk’n Roll" !
- Aucun regret jusque-là, dans votre carrière ?
- Jamais. La seule chose, c’est que j’ai beaucoup d’idées de projets, mais je suis un peu paresseux ! En plus, comme je travaille énormément comme sideman, je n’ai pas assez de temps et d’énergie pour faire tout ce que j’ai en tête.
- Vous êtes à la fois saxophoniste et clarinettiste. Racontez-nous votre parcours avec ces deux instruments.
- Qu’est-ce que vous aimez le plus chez Monk ?
- Bien sûr, sa musique. Je l’écoute depuis plus de vingt ans et je ne suis jamais rassasié. Plus on l’écoute, plus on découvre le génie de sa musique. Et j’aime aussi la singularité du personnage. C’était un mec incroyable, une espèce d’autiste musical ! Sur scène, il jouait, il tournait sur lui-même, c’était vraiment un mec très bizarre, mais avec un grand sens de l’humour.
- Un mot pour caractériser sa musique ?
- Granitique. Comme des sculptures dans la pierre. Les choses sont écrites de telle façon qu’on ne peut pas les bouger. Ce qu’on a fait avec Tinissina relève du pur hasard. Mais Monk, il faut le jouer à la Monk, c’est très difficile de sortir de son style. - Vous considérez-vous plus comme un jazzman, un rocker ou une sorte d'électron libre ?
- J’aime beaucoup le terme d’"électron libre", ça me correspond très bien. Je suis moi-même, je fais ce que j’ai envie de faire, sans jamais me demander ce que l’on pensera de moi. Sinon, je n’aurais jamais sorti "Monk’n Roll" !
- Aucun regret jusque-là, dans votre carrière ?
- Jamais. La seule chose, c’est que j’ai beaucoup d’idées de projets, mais je suis un peu paresseux ! En plus, comme je travaille énormément comme sideman, je n’ai pas assez de temps et d’énergie pour faire tout ce que j’ai en tête.
- Vous êtes à la fois saxophoniste et clarinettiste. Racontez-nous votre parcours avec ces deux instruments.
- J’ai commencé avec la clarinette, à six ans. Je détestais ça. Je n’écoutais que du rock et je voulais jouer de la guitare, ayant fait de la batterie auparavant. C’est pourquoi plus tard, je me suis mis au saxophone, plus rock, plus blues, plus agressif. J’ai recommencé à jouer de la clarinette en France, grâce à Aldo Romano qui m’a demandé d’en jouer un peu, et maintenant, j’adore ça. Aujourd’hui, je choisis de manière très instinctive avec quel instrument, saxophone ou clarinette, j’enregistrerai mes morceaux. Car quand je commence à avoir un morceau en tête, je sens déjà le son qu’il aura. J’aime les deux instruments, et parfois, j’essaye de jouer des deux ensemble dans un même morceau.
- Quelles sont les principales différences entre ces deux instruments, à l'aune de votre expérience ?
- Quelles sont les principales différences entre ces deux instruments, à l'aune de votre expérience ?
- Quand je joue de la clarinette, je suis beaucoup plus libre. J’ai étudié cet instrument en musique classique, et ensuite, je ne l’ai plus jamais pratiqué. Avec le sax, je me suis énormément entraîné... Je me souviens que j’étudiais dans l’angoisse, j’essayais de jouer comme les Américains… J’ai travaillé tous les patterns (motifs rythmiques, ndlr) mais j’essaye de ne plus les utiliser, ou alors très peu. J’essaye de chanter tout le temps. Mais avec la clarinette, je n’ai jamais étudié le jazz. Et du coup, je me sens complètement libre, moins codifié, plus naturel, peut-être plus sauvage.
- Sur scène, vous avez l’air très habité, possédé… Qu’est-ce que vous ressentez quand vous jouez ?
- Je me sens totalement impliqué dans ce que je fais. C’est vrai que je suis possédé par la musique... Je joue avec beaucoup de passion. J’essaye de raconter mon histoire. Je ne peux pas l’expliquer, mais je mets toute ma vie dedans, ma personnalité, mes problèmes aussi, mes joies... Je mets tout mon être dans la musique. Mais je reste toujours connecté avec les autres membres du groupe. Je n’aime pas les musiciens qui jouent tout seuls.
(propos recueillis par A.Y.) Francesco Bearzatti et le Tinissina Quartet en concert "Monk'n Roll"
> Lundi 14 octobre 2013 à Saint-Denis, Théâtre Gérard Philipe, 20H30
> Mercredi 16 octobre dans le cadre du Tourcoing Jazz Festival, Maison Folie Hospice d'Havré, 18h30
Francesco Bearzatti : saxophone, clarinette
Giovanni Falzone : trompette
Danilo Gallo : basse, contrebasse, voix
Zeno de Rossi : batterie
- Sur scène, vous avez l’air très habité, possédé… Qu’est-ce que vous ressentez quand vous jouez ?
- Je me sens totalement impliqué dans ce que je fais. C’est vrai que je suis possédé par la musique... Je joue avec beaucoup de passion. J’essaye de raconter mon histoire. Je ne peux pas l’expliquer, mais je mets toute ma vie dedans, ma personnalité, mes problèmes aussi, mes joies... Je mets tout mon être dans la musique. Mais je reste toujours connecté avec les autres membres du groupe. Je n’aime pas les musiciens qui jouent tout seuls.
(propos recueillis par A.Y.) Francesco Bearzatti et le Tinissina Quartet en concert "Monk'n Roll"
> Lundi 14 octobre 2013 à Saint-Denis, Théâtre Gérard Philipe, 20H30
> Mercredi 16 octobre dans le cadre du Tourcoing Jazz Festival, Maison Folie Hospice d'Havré, 18h30
Francesco Bearzatti : saxophone, clarinette
Giovanni Falzone : trompette
Danilo Gallo : basse, contrebasse, voix
Zeno de Rossi : batterie
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