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Grand orgue contre saxophone : Andy Emler invite Dave Liebman à la cathédrale de Coutances

Le duo hors norme des deux prestigieux jazzmen s'annonce comme l'un des temps forts du festival Jazz sous les pommiers. Andy Emler nous présente ce projet musical.

Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le saxophoniste Dave Liebman et son vieux complice Andy Emler, pianiste et occasionnellement organiste (Jeff Humbert)

Le pianiste français Andy Emler et le saxophoniste américain Dave Liebman se retrouvent samedi en début de soirée à la cathédrale de Coutances, dans l'une des affiches de prestige de la clôture du festival Jazz sous les pommiers. Le concert, qui affiche désormais complet, fait suite à la parution le 12 avril dernier d'un très beau disque, Journey Around The Truth, aux Éditions Radio France.

Cette musique envoûtante a été créée le 21 février 2018 à l'auditorium de Radio France, sur le grand orgue inauguré en 2016. Cette œuvre pour orgue et saxophone, qui réunit deux piliers du jazz dans leurs pays respectifs, résulte d'une commande faite à Andy Emler par le groupe Radio France qui avait été séduit par son album Pause (2011), dans lequel il jouait de l'orgue et avait convié des solistes de son célèbre ensemble MegaOctet.

Le pianiste, compositeur et orchestrateur français a été invité à réitérer l'expérience, cette fois à l'auditorium de la Maison de la Radio à Paris. Il a suggéré d'associer Dave Liebman, qu'il connaît depuis environ trente ans, à ce nouveau projet. Comme il aime à le faire avec tous les musiciens qui jouent à ses côtés, Andy Emler a écrit la musique en pensant au saxophoniste, musicien exceptionnel et éclectique qui s'inscrit dans l'héritage de John Coltrane (notre interview après le teaser ci-dessous).


Culturebox : Andy Emler, on vous connaît pianiste, compositeur, arrangeur, orchestrateur... On vous connaît moins organiste.
Andy Emler : J'ai commencé à jouer de l'orgue il y a moins de dix ans, à une époque où j'étais en résidence à l'abbaye de Royaumont. Il se trouve qu'ils cherchaient un organiste issu de nos musiques et qui faisait de l'improvisation. Claude Tchamitchian [ndlr : contrebassiste, membre du MégaOctet] leur a parlé de moi. Ils étaient persuadés que je faisais de l'orgue, alors que je n'y jamais touché de ma vie ! Alors j'ai fait comme si !

Qu'est-ce que cet instrument et sa pratique représentent pour vous ?
D'abord, j'ai été éduqué en musique par la dernière descendante d'une famille d'organistes, Marie-Louise Boëllmann. J'ai dû travailler avec elle entre mes huit ans et mes dix-sept ans. Elle serait très heureuse et fière de voir que son petit pianiste est devenu organiste ! Dans l'histoire de la musique, les organistes ont toujours été des improvisateurs, ils sont les seuls à n'avoir jamais cessé cette pratique, contrairement aux autres instrumentistes. Donc pour Marie-Louise Boëllmann, l'improvisation n'était pas quelque chose de dramatique, ce qui n'était pas le cas des professeurs de piano classique.

Ensuite, l'orgue, c'est comme un grand synthétiseur. Vous arrivez devant un instrument où il y a plein de sons et vous pouvez faire de l'orchestration. Il y a aussi un clavier de pédaliers ; je n'ai pas de technique mais je me débrouille pour faire des choses avec. Je suis un pianiste qui joue de l'orgue, je ne suis pas organiste.


Entre Dave Liebman et vous, il y a déjà une longue histoire. À quand remontait votre dernière collaboration ?
La dernière fois, c'était sur son projet consacré à Miles Davis - avec lequel il avait joué par le passé - On the Corner. On a fait quelques concerts vers 2009, 2010, dont un, assez mémorable, à la Villette. Depuis, on s'était recroisé mais on n'avait pas remonté de projet ensemble. Il y avait une petite envie de projet avec orgue et instruments.

Comment décririez-vous Dave Liebman comme musicien ?
Mis à part le fait que c'est un instrumentiste improvisateur extraordinaire, un musicien formidable, c'est aussi quelqu'un qui a une ouverture d'esprit sur toutes les musiques du monde, les musiques contemporaines, la pratique amateure. C'est un grand pédagogue, quelqu'un qui s'engage avec des jeunes dans un concert parce qu'il veut donner un coup de main. J'ai envie de dire qu'il est très "européanisé". Il n'est pas du tout imbu de lui-même ou doté d'un ego surdimensionné comme beaucoup de musiciens américains ou d'artistes en général. Il est vraiment dans l'échange. Humainement, c'est un grand cœur, un grand Monsieur.


La musique a été composée initialement pour le grand orgue de la Maison de la Radio. Comment s'est fait le processus d'écriture ?
On m'a commandé cette pièce en juin 2017. Il m'a fallu aller à Radio France, rencontrer l'instrument, parce que c'est un orgue nouveau avec des ordinateurs, des possibilités incroyables... C'est un énorme cockpit d'avion ! Il a fallu que j'apprenne à me servir de cet instrument et que je découvre ses possibilités pour écrire de la musique. Radio France m'a accordé trois, quatre soirées avec l'orgue dans le grand auditorium, ce qui est très peu car cette salle est très prise. J'ai bénéficié des conseils du responsable de la maintenance de l'instrument, mais aussi de l'organiste titulaire. C'est ainsi que j'ai écrit de la musique entre septembre et décembre 2017.

Dave Liebman n'avait jamais joué aux côtés d'un instrument de ce genre. Comment s'est-il glissé dans la musique que vous avez écrite ?
Il m'a fait totalement confiance. Il me connaît bien, il est fan du MegaOctet, il écoute tous mes disques sur lesquels il me fait des commentaires depuis des années. Comme je le connais aussi, sachant ce qu'il aime, comment il sonne et ce qu'il joue, j'ai également écrit de la musique qui lui correspondait bien. Il aime jouer sur des grilles harmoniques, alors je lui ai mis des grilles. Il aime jouer sur de l'improvisation libre, alors j'en ai mis aussi. Il aime la variété musicale, donc j'ai fait un programme de huit pièces, mais en veillant à la cohérence de leur enchaînement, comme une composition unique divisée en plusieurs mouvements. On s'est beaucoup amusés, mais on a avait peu de temps, puisqu'on a fait un disque en même temps et on devait monter un concert de création à l'auditorium en trois jours.

Un grand orgue est un instrument forcément lourd, massif, complexe à gérer. Or on vous sait "joueur" dans tous les sens du terme, facétieux, créant, réagissant au quart de tour... Comment "swinguer", comment "groover" avec un instrument comme ça ?
C'est une très bonne question. Déjà, vous devez vous mettre dans la situation où le son de l'instrument est émis à environ vingt-cinq mètres de vous, avec une latence qui est le temps que le vent rentre dans un tuyau pour sortir un son. Donc c'est très difficile parce qu'il y a presque un quart de seconde de délai entre le moment où vous appuyez sur la note et celui où vous entendez le son derrière. Surtout pour les lignes de basse qui sont celles qui nous font "groover", justement. Dave Liebman me disait : "I can't hear the first beat, je n'entends pas le premier temps." Je lui répondais : "Ne t'inquiète pas, moi non plus !" On a vraiment jonglé. Alors j'ai fait mettre des micros sur les gros tuyaux afin d'obtenir un retour qui nous a donné un peu plus de précision, mais pas beaucoup.

Et à Coutances, comment cela va-t-il se passer ?
On va avoir le même problème. Dave Liebman sera à l'autel, et moi je vais être à l'orgue à trente mètres au dessus de lui. C'est un challenge musical.

Donc on ne vous verra même pas pendant le concert !
Si, il y aura un relais vidéo. Les gens qui seront assis face à l'autel, face à Dave Liebman, pourront me voir sur un écran. C'est un gros micmac technique. On aura trois heures pour répéter, pour apprendre à se servir de l'orgue de la cathédrale de Coutances que je ne connais pas. Je vais le découvrir le matin du concert. Mais j'ai un peu d'expérience et quand on est improvisateur, on peut toujours s'en sortir sans faire de grosses bêtises !

Un dernier mot pour donner envie aux gens de découvrir votre duo très spécial ?
Ce genre de musique, on n'entend pas souvent dans les églises. Dans les églises où il y a des orgues, ils préfèrent jouer de la musique sacrée. Alors nous, on propose de la sacrée musique !



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