Guillaume Perret, itinéraire d'un enfant du sax
Rien ne semble résister à ce Savoyard de 32 ans. En mars 2012, Guillaume Perret a sorti son premier album à son nom, avec son groupe The Electric Epic, sur le label du cultissime John Zorn, génial touche-à-tout du jazz. Un disque fusionnant jazz et rock progressif, d'une énergie débridée, parfois hypnotique, truffé d'effets, avec Médéric Collignon en guest star de luxe. Depuis, tout s'est enchaîné, voire déchaîné. Un accueil dithyrambique dans la presse, une nomination aux Victoires du jazz, un public séduit par ce grand gaillard au physique d'athlète. Il est invité par plusieurs festivals, dont le Printemps de Bourges. Un matin de février, Guillaume Perret s'est posé à la table d'une brasserie parisienne et a évoqué, très prolixe, une multitude de souvenirs. Interview par thème, sans détour ni fausse modestie.
Mélomane prénatalMes parents ne faisaient pas de musique mais écoutaient Zappa, King Crimson, Terry Riley, John Surman, ce saxophoniste génial avec qui j'ai travaillé récemment. De chouettes références, du bon son. Pas beaucoup de jazz, en fait, mais de la fusion un peu planante des seventies et du classique. Enceinte, ma mère posait un énorme casque sur son ventre. Elle me faisait entendre les intégrales de Bach et de Duke Ellington que diffusait France Musique. Avant de naître, j’avais déjà du bon son classique et jazz, je pense que ça a été très utile.
Vocation
Gamin, je tapais partout, je chantais tout le temps. Tout ce que j’entendais, je le reproduisais, apparemment assez juste d'après ce qu'on m'a dit, j’allais sur les claviers de piano, je jouais des trucs. Mes parents m'ont parlé d'une soirée entre potes où, tout d’un coup, ils se sont tous arrêtés de parler, ils se demandaient quel disque passait, j’étais en train de jouer avec un petit son d’orgue, trois petites notes sur un clavier. Ils ont dit : « Ouaouh ! Faut faire quelque chose ! » J'ai toujours voulu devenir musicien professionnel, je n'ai jamais eu de doute. J’ai toujours adoré faire des concerts, des auditions, des examens, jouer en public. Chez mes parents, avec mes trois frangines qui étudiaient aussi la musique, on jouait pour les amis qui venaient à la maison.
Saxophone
Je ne me rappelle pas pourquoi j'ai voulu apprendre le sax, je me souviens juste que je voulais vraiment en jouer. J’ai dû patienter le temps que mes dents finissent de pousser, j’ai d'abord fait de la flûte à bec au conservatoire en faisant du solfège, à 6 ans. Et à 8 ans, je me suis mis au sax. Études savoyardes
Je suis entré au conservatoire d’Annecy à 6 ans, où j'ai suivi une formation classique jusqu’à mes 18 ans. Entre-temps, à 12 ou 13 ans, je me suis inscrit dans un petit big band junior qui faisait du jazz. Mon prof de classique n’appréciait pas, pensant que cela allait déformer ma position pour jouer et que c’était une musique de sauvages. Il était assez strict, de la vieille école, mais c’était un bon prof. A 14 ans, j’ai eu un saxophone ténor avec un bec jazz. J’ai commencé à faire des petits ateliers jazz qui venaient d'ouvrir au conservatoire. A 18 ans, après un bac littéraire option musique, j’ai fait un bout de conservatoire à Chambéry, département jazz. J’ai fini ma formation classique là-bas, j’y ai passé tous mes prix. J’y ai fait une année de cours de sax jazz, un atelier harmonie, arrangement... Cela ne représentait pas beaucoup d’heures de cours contrairement à aujourd’hui, où les ateliers de jazz proposent des milliards d’heures !
Autodidacte coaché
Je suis un très mauvais élève et je me suis toujours considéré comme un autodidacte coaché plutôt qu’un bon étudiant. Je n’ai jamais bien fait mes devoirs, jamais travaillé le sax comme on nous le demandait, j’ai toujours fait un peu à ma manière… Mais j’ai toujours beaucoup travaillé.
Compositeur
J’ai commencé assez tôt. Ado, j’écrivais des petits trucs sans prétention. A 18 ans, j’ai commencé à jouer avec un groupe qui s’appelle Collectif Le Bocal, avec lequel je joue encore de temps en temps en tant qu’invité, j'y fais un peu la deuxième guitare au sax (rires) ! Avec ce groupe, j’ai fait pas mal d’expériences de compo et d’arrangements, ainsi que ma première expérience d’édition sur ordinateur. Suisse
La proximité avec la Suisse m’a permis de me former un peu tout seul. J’ai mis les pieds à Genève où j’ai trouvé assez rapidement énormément de travail. J’ai eu le temps de développer pas mal de trucs expérimentaux tout en faisant beaucoup de concerts, en tournant dans le monde entier avec des musiciens suisses, dans des quartets, des groupes créatifs. J’avais alors 20 ans.
New York
Je me suis fait mon petit pèlerinage à New York à 21 ans, où j’ai fait cinq semaines de jam sessions, à raison de trois ou quatre par soir. Tu peux commencer à 18H dans un club, aller à 22H dans un autre, à minuit dans un autre, et à 4h du mat’ dans un autre… Ce n’était pas toujours rigolo puisque c’était vraiment dans le circuit bebop, avec une ambiance de performance, de compétition, où tu fais la queue avec 20 saxophonistes… Mais c’était intéressant.
11 Septembre
Le 11 septembre 2001, à 5 heures du matin, j’étais au pied des tours, endormi dans un métro après une nuit de jams... Je me réveille, je fais des photos. J’ai fait des longs temps de pause, j’ai un peu tremblé, et à la fin, les lignes lumineuses faisaient comme des flammes... C’était quelques heures avant le crash. Après, je suis allé dormir, je résidais loin, dans le Queen’s. Je n’ai pas vécu le moment de l’impact. J’y suis retourné à midi, j’ai réussi à rentrer dans le quartier, j’ai chopé un petit masque d’hôpital et j’ai pris plein de photos, j’ai marché dans la cendre… La première question que je me suis posée en apprenant ce qui s'était passé, c’est « Est-ce qu’il y aura quand même une jam ce soir ? » J’étais totalement déconnecté ! Quand il y a des trucs importants qui se passent, je reste hyper calme sur le moment, puis les émotions se diffusent sur le long terme. Je suis bien allé à une jam ce soir-là, à Harlem. J’étais le seul Blanc, l’ambiance était bizarre… La dernière semaine que j’ai passée là-bas, après ces événements, j’étais déprimé, en fait je ne connaissais personne et je parlais très mal anglais, j’ai fait quelques bad trips... J’ai fait très peu de rencontres. Par la suite j’y suis retourné et je me suis fait des bons potes. Effets
J’ai commencé les effets sonores un peu par hasard, je me suis retrouvé avec deux pédales d’effets dans les pieds, elles traînaient chez un pote qui ne s’en servait pas. Ca m’a fait délirer ! Vers 25, 26 ans, je jouais dans un groupe à Lausanne, et à partir du moment où j’ai ramené les effets, alors que le bassiste est parti, je me suis dit « Tiens, je vais faire la basse au sax ! » et on a fait un truc très rock. Je me suis mis à beaucoup composer pour eux, à faire leur booking, les dossiers, le graphisme, les coups de fil, la direction musicale des trois quarts des compos...
Paris
J'y suis arrivé en 2006. Je ne connaissais personne. Je suis venu à Paris à l’ancienne, avec mon sax sur l’épaule, et j’ai fait des jam sessions partout, dans tous les styles, jazz, brésilien, funky, expérimental, puriste, intégriste ! J’essayais d’apprendre tous les codes, j’ai joué énormément de standards, c’était important de connaître la tradition. J’avais de quoi me défendre quand on me prenait sur ce terrain là, mais j’aimais toujours en faire quelque chose d’autre. Comme je suis d’une nature plutôt timide quand je ne connais pas les gens, je ne parlais pas lors de ces jams, je venais juste sur scène, j’essayais de fracasser tout et d’attendre qu’on vienne me parler. C’est ça qui se passait au bout d’un moment. Electric Epic
Je n’avais pas de local à Paris, donc je bossais dans le parking souterrain de mon immeuble, ou dans les parcs, à La Villette, quand il ne faisait pas froid. J’ai trouvé un local à Saint-Michel, du coup j’ai pu organiser moi-même des sessions avec une batterie, des amplis. J’avais dans l’idée de monter un projet, j’avais des compos prêtes, j’ai commencé à réunir le groupe Electric Epic avant l’été 2008. J’avais déjà bossé avec eux, je les avais vus en jam, on partageait d’énormes affinités musicales et humaines. Pendant l’été 2008, j’ai écrit toutes les compos, j’en ai récupéré des très vieilles, certaines étaient inspirées de « L’Odyssée » d’Ulysse, je les avais écrites à 22 ans, mais elles ont beaucoup évolué.
Reconnaissance
Le Baiser salé (club de jazz parisien, ndlr), à qui j’avais proposé une petite démo, m’a donné ma chance. Je devais m’occuper des préventes moi-même. Par chance, ils ont bien accroché et nous ont pris en résidence, on a joué tous les mois pendant presque un an. Un soir, on ne sait pas trop pourquoi, on voit une file d’attente à l’entrée, jusque dans la rue ! Ce jour-là, tous les professionnels étaient là, dont le critique de « Télérama », Michel Contat, qui nous suivait depuis un moment, et celui qui allait devenir notre agent, Benjamin Levy. Dans la foulée, une amie a proposé de nous produire. J’ai contacté un super ingé-son, Dominique Poutet, alias Otisto 23, un mec en or, très fort, qui vient de l'électro. Il a tout organisé : studio, amplis, micros. On a enregistré dans un studio magnifique à Saint-Rémy-de-Provence, la Fabrique. Puis j’ai récupéré les bandes et j’ai travaillé dessus pendant un an pour éditer, découper, épurer... J’avais 12 morceaux, on en a enregistré 9, j’en ai sorti 7, leur durée est passée de 15 à 7 minutes, j’ai viré plusieurs pistes (j’avais parfois 5 guitares, 4 sax…). Cela m’a pris énormément de temps mais m’a permis de me former dans ce style, le créer, le peaufiner. John Zorn
J’avais réussi à choper son mail perso. Je lui avais d’abord envoyé une démo du groupe. Il m’avait répondu tout de suite : « C’est super, j’espère vous voir en live un de ces quatre, bonne chance. » Par la suite, on a enregistré le disque, puis j’ai travaillé un an dessus, on ne savait pas chez qui on allait le sortir... On voulait absolument un p… de label, quelque chose d’international. J’avais carrément oublié Zorn. Au dernier moment, je me dis qu’il faut lui faire écouter le résultat. Je lui envoie le projet fini. Quatre heures plus tard, il me renvoie un long mail, détaillé sur les morceaux. Il avait tout écouté. « Terrible, incroyable ! Enorme respect. » Chez son label Tzadik, l’agenda était plein pour deux ans. Or en discutant par mail, il a appris que c’était mon premier disque à mon nom, même si j’avais fait beaucoup d’albums comme sideman. Du coup, il a décidé de le sortir tout de suite sur Spotlight, la nouvelle série créée pour les jeunes projets. Dans cette série, on n’a pas eu le choix de la pochette, c’était dommage, mais on était chez eux ! C’était assez fou, mais je suis resté assez calme. Je me suis dit tout de suite « Ok, ça c’est fait, c’est quoi la suite ? »
Doutes
Au début de l’année, j’ai obtenu une résidence au 104, à Paris, mais personne n’était libre, aucun musicien, ni l'ingé-son. J’y suis allé et me suis retrouvé tout seul dans une salle de 300 places, avec mon sax, mon ordi, un piano, une batterie, pour enregistrer des trucs, avec une grosse pression de faire un album qui aille plus loin, encore plus épuré, encore meilleur… En plus, j’avais reçu une grosse commande d’écriture pour une compagnie de danse en Belgique, avec un vrai orchestre de sept musiciens... Pendant ma semaine au 104, je n’ai rien sorti ! J’ai passé mon temps à déprimer. J’avais vraiment besoin de vacances mais je me suis forcé à aller là-bas, je bossais parfois jusqu’à 4h du mat’, j’ai fait des petits trucs mais je n’avais pas la foi...
Pression
Tous les articles dans la presse, c'était cool bien sûr… Mais petit à petit, tout ça m’a vraiment mis une bonne pression. J’ai dû apprendre à changer de carrière. J’étais moins un saxophoniste qui cherche du taf qu’un leader qui doit réfléchir avec une « stratégie », un mot que j'ai appris avec mon agent et mon attachée de presse. Ils m’ont dit : « Maintenant, tu ne vas pas te montrer n’importe où avec n’importe qui... Il faut remplir cette salle, il faut qu’on s’ouvre au-delà du circuit du jazz, car c’est un mot qui peut être effrayant pour la presse... » J’ai appris énormément, mais ça a été vraiment douloureux. En même temps je ne pouvais pas me plaindre ! Je commence juste à profiter. Je suis un peu plus tranquille dans le sens où je peux un peu relâcher mes efforts, faire les trucs au rythme que je veux, tranquillement, ne pas stresser. Il m’a fallu l’année pour accepter tout ça et accepter à vivre avec.
(propos recueilis par A.Y.)
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