Hugh Coltman et les ombres de Nat King Cole
Né le 26 mai 1972 à Swindon, en Angleterre, Hugh Coltman vit à Paris depuis quinze ans. Chanteur imprégné de blues, harmoniciste, membre du groupe The Hoax, il a fait ses premiers pas sur la scène jazz aux côtés d'Éric Legnini : invité à remplacer, le temps d'une tournée, la chanteuse Krystle Warren auprès du pianiste belge, il a noué avec ce dernier une complicité au long cours, artistique et humaine.
Pour son troisième album solo, réalisé par Legnini, Hugh Coltman propose une lecture personnelle et pertinente de chansons immortalisées par le légendaire Nat King Cole. Les chansons ont été enregistrées en quelques prises pour favoriser un son et une spontanéité de live, et avec une équipe haut de gamme comprenant, entre autres, Franck Agulhon à la batterie, Misja Fitzgerald Michel à la guitare ou Pierrick Pedron au saxophone. En concert samedi soir à Nevers et sur en direct Culturebox.
- Culturebox : Racontez-moi votre histoire avec Nat King Cole.
- Hugh Coltman : Ma mère écoutait Nat King Cole quand j'étais enfant. La première chanson de lui dont je me souvienne, c'est "Smile". Ma mère nous a orientés très tôt, mon frère et moi, vers les arts. Elle est morte quand j'avais 7 ans et demi, victime d'une crise d'asthme à 39 ans.
- Vous avez commencé à chanter très jeune.
- Je chantais quand j'étais gamin. J'ai chanté dans des comédies musicales, "Oliver Twist", etc. Ma mère, qui était poétesse, avait écrit deux petits livrets de poésie, mais quand mon frère et moi sommes arrivés, il a fallu qu'elle travaille. Elle a voulu nous ouvrir toutes les portes artistiques possibles. Mon frère a fait du violon. J'ai étudié quatre ou cinq instruments, je n'en ai jamais fait plus d'un an… J'ai fait du ballet aussi. C'était assez moche ! Mon frère disait : "Mais c'est un éléphant !" Plus tard, il arrive un moment, au cours de l'adolescence, où vous vous dites que ce que vos parents veulent, vous ne le voulez pas.
- Vous n'avez donc pas vraiment fait d'études musicales...
- J'ai fait des études de théâtre, ça me branchait beaucoup plus. Je viens de Swindon, un petit village à une demi-heure de Bath. Je suis parti vivre à Bristol et étudier le théâtre à Bath. Un jour, le guitariste de mon premier groupe The Hoax, qui était aussi mon meilleur pote à Swindon, m'appelle : "Écoute, on répète avec un groupe qu'on monte, avec mon frère à la basse et un autre guitariste du village. Est-ce que ça te dit de venir chanter ?" C'était du blues, j'en écoutais beaucoup. À l'époque, je travaillais aussi dans un magasin de motos. J'étais à six ou sept mois de l'obtention de mon diplôme. On a commencé les répétitions, on a fait deux, trois concerts et je me suis dit : "C'est ça que je veux faire."
- Depuis quand composez-vous ?
- Vers mes 24 ans, au moment où j'ai rompu avec mon premier grand amour. Au sein de The Hoax, je chantais et je jouais de l'harmonica. J'étais un peu frustré car les autres membres écrivaient des chansons, pas moi. Je pouvais mettre un veto sur une chanson mais ça énervait tout le monde ! J'essayais d'apporter ma propre touche aux chansons. Je me suis dit : "J'aime chanter, mais qu'est-ce que j'ai à dire ? Et si ce n'est pas dans cette musique, alors dans quel style ?" Je ne voulais plus me cantonner au blues. Je me suis ouvert sur d'autres horizons grâce à Stevie Wonder. Le batteur de The Hoax m'avait fait découvrir "Songs in the key of life". Puis j'ai adoré le deuxième album de Radiohead, "The Bends", celui de Pulp, "This is hardcore"... Ça m'a ouvert sur tellement de choses. J'ai voulu créer des chansons et je me suis mis à la guitare.
- The Hoax s'est séparé une première fois, et c'est à ce moment que vous êtes venu à Paris.
- C'était à la fin 1999. J'ai trouvé un petit job et j'ai démarré le 1er janvier 2000. Je devais commencer à 7h30 dans une auberge de jeunesse dans le 15e arrondissement, métro Volontaires. Il y avait plein d'Américains venus fêter l'an 2000. Quand je suis arrivé, c'était un carnage ! Des gens dormaient dans les escaliers !
- Après avoir continué avec The Hoax, tout en démarrant une carrière solo, vous voilà avec un premier album de jazz.
- J'ai toujours écouté du jazz, mais je n'en chantais pas et je ne cherchais pas à le faire. C'est Éric Legnini qui m'a donné cette opportunité et m'a fait découvrir ce monde. Ça a été une expérience tellement formidable qu'on s'est retrouvé pour faire un album et deux tournées. On a joué pendant trois ans et demi. Je n'avais pas envie que ça s'arrête... Je me suis dit : "Qu'est-ce que je peux faire ? Comment est-ce que je pourrais faire un disque dans cet univers, avec cette liberté d'expression qui existe dans le jazz ?"
- Pourquoi Nat King Cole ?
- Il était dans mes oreilles depuis mon plus jeune âge, le choix était donc évident. Je sens une complicité avec l'homme et sa musique, c'est sûr. J'ai étudié son histoire tourmentée. Il n'a pas eu la même jeunesse que Ray Charles qui a grandi sans le sou, il faisait partie de la middle class Black America. Il a trouvé des croix enflammées sur sa pelouse... Il a failli se faire kidnapper dans le sud des États-Unis... Il a été le premier Afro-Américain à avoir une émission télé, mais il a dû s'arrêter après une saison car il ne trouvait pas de financement. C'était trop tôt. Il s'est fait attaquer des deux côtés, d'un côté parce qu'il était Noir, et de l'autre, parce qu'il était considéré comme trop blanc ! Certains membres du mouvement des droits civiques l'appelaient "oncle Tom". Ray Charles a eu un peu le même traitement.
- C'est par le biais de cette histoire que vous avez abordé Nat King Cole pour votre disque...
- Je me suis demandé : "Avec ma propre histoire, mon parcours musical qui est le blues, est-ce que je pourrais ramener ces chansons vers ce côté brut pour exprimer, peut-être, ce qui se passait derrière sa tête ?" Trouver une croix en feu sur sa pelouse et jouer deux semaines plus tard devant un public principalement blanc, ça devait quand même lui donner la rage... J'ai pensé à des chansons comme "Smile" ou "Pretend", j'y ai vu une autre lecture. "Smile though your heart is aching" (souris bien que ton cœur ait mal)... Sur toutes les archives, il est drôle, beau, parfait, on ne voit jamais une fissure. C'était un pur entertainer comme on en faisait à l'époque. Mais quand il se retrouvait chez lui, ce n'était peut-être pas la même chose.
- Comment les arrangements du disque ont-ils été réalisés ?
- J'ai dit à Éric Legnini que j'avais envie de faire un disque. Je lui ai donné quelques références : Joe Henry dont je suis un fan, le Tom Waits de l'époque "Heartattack and vine", les premiers disques de Madeleine Peyroux… Ce côté peut-être plus américanisé, plus "bluesé"… C'est là où j'avais envie d'amener les chansons. Il m'a dit : "Tu sais ce que tu veux. Fais des maquettes de ta voix. Après, je ferai ma sauce autour. On changera peut-être quelques petits trucs."
- Qui signe la belle instrumentation guitare-basse de "Nature Boy" ?
- C'est moi. J'ai une technique rudimentaire mais j'ai des oreilles et je sais ce que je veux entendre. Si je n'entends rien, je ne saurai pas où aller. Si vous n'avez pas un déclic sur une ambiance, un riff, une partie musicale qui crée un climat, vous n'avez rien. Ma force, c'est peut-être de pouvoir les cerner. J'ai senti ces riffs de basse et de guitare et je me suis dit : "Voilà." Du coup, tout s'ouvre. La manière de jouer, la batterie très feutrée... Je suis aussi très content de la façon dont "Smile" se différencie de l'original grâce à la partie guitare. C'est peut-être parce que je n'ai pas les automatismes d'un musicien de jazz que j'ai cette approche différente, et que le disque sonne ainsi. C'est aussi la raison pour laquelle je me dis qu'il y a peut-être des puristes de jazz qui ne vont pas aimer le disque, ils vont le trouver trop pop…
- Peut-on dire qu'Éric Legnini a changé le cours de votre carrière ?
- Pour le moment, oui. Mes débuts avec lui, c'était tellement bien ! Lors des quatre ou cinq premiers concerts, j'avais le trac. J'ai essayé de faire du Krystle Warren... J'adore Krystle, c'est une amie et une chanteuse fabuleuse. Puis je me suis dit : "Si je veux chanter cette musique, il faut que je m'éclate. Si ça ne plaît pas à Éric, c'est que je ne dois peut-être pas faire ces concerts !" Après le concert suivant, Éric m'a dit : "Voilà ! Tu commences à chanter tel que tu es !" Dès lors, ça a été fabuleux. Éric a un jeu fabuleux. Et il est adorable. Plus accueillant, ça n'existe pas. C'est un musicien très exigeant, mais une fois qu'il te fait confiance, c'est pour de bon. Tout le groupe - Thomas Bramerie, Franck Agulhon... - m'a tellement bien accueilli... C'est un cadeau.
- Avez-vous un souvenir de studio particulièrement marquant à nous conter ?
- L'enregistrement de "Morning Star". Dans le disque, c'est un vieil ami, Gaël Rakotondrabe, qui joue au piano sur ce titre. Il fait aussi partie du groupe pour la scène. On a joué ensemble dans mon premier groupe en France, Heez Bus. Puis nos chemins se sont séparés. Il a fait un tas de choses, puis il a eu envie de revenir dans le jazz à l'époque où j'enregistrais le disque, alors je l'ai invité. Enfin, au moment d'enregistrer "Morning Star", qui est un dialogue entre une mère et son enfant, j'ai été assez touché. J'ai dû recommencer une ou deux fois. Je me suis dit : "D'accord. Ce disque n'est pas un hommage à Nat King Cole. C'est un hommage à ma mère." Et à ce qu'elle a pu nous donner. Si je fais de la musique aujourd'hui, si je m'éclate en faisant ce que j'aime, c'est grâce à elle et à mon père. Mais surtout grâce à elle. Aussi, ce disque est un cadeau pour elle.
> Hugh Coltman est actuellement en tournée : toutes les dates ici
> Le concert du 14 novembre à Nevers sera retransmis en direct sur Culturebox
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