Initiative H, la nouvelle vague jazz-rock venue de Toulouse
Né le 10 décembre 1981 à Luxeuil-les-Bains, en Haute-Saône, David Haudrechy déménage à diverses reprises en fonction des affectations de son père, militaire de métier. Dans les années 90, il part sur l'île de La Réunion où il découvre le surf. Ça lui "ouvre un autre monde" auquel il restera profondément connecté et qui imprégnera sa musique. De retour dans l'Est, devenu saxophoniste, il découvre l'univers du big band auprès d'Archie Shepp.
Installé à Toulouse en 2000, David Haudrechy fonde douze ans plus tard le grand ensemble Initiative H ("IH" pour les initiés), son nom étant réduit à une simple initiale dans le désir de ne pas se mettre en avant. Un premier album, "Deus Ex Machina", sort en 2014. Le deuxième, "Dark Wave", suite envoûtante et mélancolique aux accents rock, rock progressif, électro et classique, est paru en novembre 2015 chez Neuklang. Trois invités de marque ont participé à l'enregistrement : le cornettiste et vocaliste Médéric Collignon, le saxophoniste soprano Émile Parisien ainsi que Vincent Artaud, véritable parrain du groupe, aux claviers.
Basée dans la Ville rose, la formation compte treize musiciens auxquels s'est greffé un VJ (vidéo-jockey) pour la scène, Romain Quartier. Initiative H joue dimanche après-midi à Vincennes, en banlieue Est de Paris, dans le cadre du week-end Tempo Jazz dont la programmation vaut le détour. Pour la première fois, la formation présentera son répertoire sur scène avec la participation des trois invités du disque.
- Culturebox : Vous en parlez brièvement dans la vidéo teaser du dernier disque. Pouvez-vous nous en dire plus sur le titre "Dark Wave" ?
- David Haudrechy : Si on est des jazzmen, on trempe dans la surf culture. Ça fait partie de l'ADN d'IH. Aussi, "Dark Wave", c'est d'abord un hommage musical à un genre de caste de surfeurs. Aujourd'hui, le surf fait partie de la culture pop, tout le monde le pratique, fait des stages, ce n'est plus un sport underground. Pendant ce temps, il y a des gars qui repoussent les limites. Ils vont chercher des vagues que personne n'a jamais surfées, notamment au large des pays nordiques. L'eau y est à 1 degré, ils portent des combinaisons qui ont des poils de chèvre à l'intérieur, dorment dans des tentes... Il y a aussi un autre surf extrême apparu il y a quelques années, avec des gars surfant des vagues énormes filmées en hélicoptère, un truc de gladiateur ! Je suis très admiratif de ces gens confrontés à la solitude, à la quête du dépassement de soi, c'est une grande source d'inspiration.
Ensuite, j'ai découvert par hasard que la Dark Wave était aussi un style musical. Il est issu de la cold wave, mais il est plus sombre. Ce n'est pas la musique en soi qui m'a influencé, c'est plutôt le propos. On y retrouve les mêmes thèmes de la solitude, de la quête d'identité.
- "Dark Wave" se présente sous la forme d'une suite...
- Oui, c'est quelque chose qui me tenait à cœur. Le premier disque, "Deus Ex Machina", était déjà une suite. Il y a quelque chose de très intéressant dans la construction et qui me touche, à l'instar de "Peer Gynt" d'Edvard Grieg ou des "Tableaux d'une exposition" de Moussorsgski, mais aussi de la Symphonie fantastique de Berlioz. J'aime cette unité dans un programme, quand les différentes parties ont un ordre assez précis. Pour ma part, j'ai écrit les suites dans l'ordre du disque, qui est celui dans lequel on les joue en concert. Maintenant, si j'écris d'autres albums, je ne vais peut-être pas faire des suites tout le temps ! Dans "Dark Wave", la suite s'achève sur le titre "Lost in Paradise", une ballade vaporeuse, nébuleuse qui représente l'apogée de cette quête.
- Qu'est-ce qui vous a donné envie de monter un grand ensemble de jazz ?
- J’ai découvert la musique par le biais du big band, parfois aussi de la fanfare. Mais le big band a été prépondérant, notamment grâce à Archie Shepp. Vers le milieu des années 90, il a résidé dans l’Est. J’ai participé à ses projets en grand format, ça m’a permis de m'immerger dans le jazz. J’ai aussi été très marqué par les big bands de Count Basie et Duke Ellington. Mes deux autres grands flashes en matière de grands formats, c'est Carla Bley et Gil Evans, dont l'album "Out of cool" fait partie de mes disques de chevet. Je l'écoute au moins une fois par semaine en entier. J’ai toujours eu une espèce de fantasme de monter un grand ensemble...
- Un fantasme que vous avez réalisé...
- Quand j’étais gamin, je rêvais déjà de monter un big band. Puis, au fur et à mesure, j’ai découvert d’autres choses comme la musique improvisée et le rock progressif. Vers 2010, en pensant aux musiciens avec qui je jouais, je me suis dit que j’aimerais bien lancer un grand format. Mais je n’y croyais pas trop. Je me disais que personne ne voudrait participer à une grande structure qui tournerait difficilement. C'est ma chérie, qui est prof de fac en licence jazz, donc proche de ce milieu, qui m’a encouragé : "Vas-y ! Une formation de ce type n’existe pas dans le coin, parles-en aux musiciens avec qui tu travailles." Alors, je leur en ai parlé et tout le monde a été partant pour démarrer cette aventure. Pendant quelques mois, j’ai écrit de la musique et en janvier 2012, on a commencé à travailler. On va fêter nos cinq ans à Toulouse en janvier 2017.
- Quand vous composez, écrivez-vous en pensant aux musiciens qui joueront telle ou telle partie ?
- Oui. D'ailleurs, j'ai commencé à écrire la musique du groupe avant même de demander aux musiciens s'ils seraient d'accord pour s'associer au projet... Je me rends compte aujourd'hui que c'était un peu fou. Je savais exactement qui allait jouer de quel instrument. J'entendais les thèmes joués non pas par tel instrument, mais par Ferdinand Doumerc au saxophone, Nicolas Gardel à la trompette... Tout avait été écrit précisément pour eux. Quand je les ai contactés, ils ont tous répondu présent.
- Quelles musiques écoutiez-vous quand vous avez composé "Dark Wave" ?
- Certaines de ces musiques sont présentes chaque jour de ma vie, je les ai citées tout à l'heure : la Symphonie fantastique - ça a été un grand choc, j'ai glissé une citation du "Dies iræ" dans la musique et je remercie Berlioz dans la pochette de l'album ! -, "Peer Gynt", "Les Tableaux d'une exposition". En plus de ces œuvres, pendant l'écriture de l'album, j'écoutais Joy Division, The Cure, Bauhaus, ainsi que le groupe islandais Sigur Rós, qui m'a transformé. Mais ces groupes ont eu une influence plus poétique que musicale, ça relevait d'un état d'esprit, quelque chose de sombre, mélancolique, parfois romantique.
- La musique classique est-elle liée à votre enfance ? Je crois que vous avez grandi dans une famille musicale...
- Oui, mon père jouait du saxophone. Mon grand-père, dessinateur industriel, était aussi violoniste et faisait de la direction d'orchestre, d'harmonie, de fanfare. Je l’ai toujours entendu jouer du violon, de la clarinette, il y avait toujours des vinyles de Wagner qui tournaient... À l'époque, cet univers très classique, orchestral, ne me touchait pas, mais ça a changé.
- Quelle formation musicale avez-vous suivie ?
- Pour tout vous dire, après les trois ou quatre années passées à La Réunion, je rêvais d’être surfeur, d’évoluer dans le milieu de la glisse. Mais j’avais aussi découvert le saxophone, le jazz. Après un parcours classique en conservatoire, j'ai appris l'existence d'une formation musique-études et je me suis engouffré dedans. Je me suis vraiment mis à étudier le saxophone à 14 ans, de retour dans l'Est. Auparavant, j’avais juste un peu essayé celui de mon père. Il jouait du soprano. Je détestais ça, sûrement parce que c’était l’instrument de mon père ! Maintenant, je ne joue que du soprano ! À partir de mes 14 ans, après avoir découvert le jazz, les big bands, la dimension humaine du groupe, j'ai eu envie de persévérer dans cette voie, sans pour autant abandonner l’univers de la glisse.
- À quand remonte votre premier coup de cœur pour le jazz ?
- À La Réunion, un ami de mes parents pratiquait le saxophone. Il en a joué devant moi mais je n'aimais pas trop... Puis il a sorti une cassette vidéo et m’a dit : "Mon idole, c’est ce mec-là." C'était une cassette vidéo de Stan Getz, une vieille émission de "Jazz 6". Je l’ai regardée... Et sans avoir aucune idée de qui était Stan Getz, de ce qu’était le jazz, je me suis dit : "C’est ça que je veux faire !" L’instrument, le son, cette attitude hyper cool, naturelle, sans l'aspect guindé qu’on trouve dans le classique, ça m'a profondément touché, c’était une énorme claque.
- Qu'est-ce qu'il y a de plus exaltant à écrire pour un grand ensemble ?
- C'est l'adrénaline ! Pour moi, cet ensemble représente un équilibre parfait, avec deux trompettes, deux trombones, des saxophonistes qui peuvent aussi jouer de la clarinette basse, des flûtes, plus une rythmique rock, froide, avec des ramifications dans le classique, dans le jazz, des thèmes qui pourraient venir de la musique du XXe... C'est un jeu, une palette de couleurs immense pour moi, je peux faire entendre tout ce dont j'ai envie, à tout moment.
Vincent, Médéric, Émile : le mentor, la folie, le petit-frère
- Vincent Artaud, musicien connu notamment pour ses talents de directeur musical et producteur, joue du synthétiseur sur "Dark Wave".
- Vincent, j’ai une espèce d’amour inestimable pour lui. Je suis aussi professeur d’histoire du jazz et des musiques actuelles et à mes yeux, Vincent Artaud est un compositeur au même titre que Stravinsky. C’est un homme inestimable qui a suivi l’IH depuis le début, c’est un mentor. Je l’admire autant pour ce qu’il fait en matière d’écriture que de direction artistique. Je voulais qu’il soit le directeur artistique du premier disque mais notre groupe, qui démarrait, n'avait pas le budget nécessaire. Malgré tout, il est resté très proche du projet, il a écouté les enregistrements, les répétitions, il a continué de me conseiller, de m'encourager, il a œuvré dans l'ombre. Plus tard, je me suis dit que je pourrais assumer le deuxième disque un peu "seul", que je n’avais peut-être pas besoin de Vincent en tant que directeur artistique, mais il m'a quand même aidé, parce qu'inconsciemment, je le souhaitais. J’avais envie qu’il soit là pour marquer cette suite de son empreinte. C’est quelqu’un d’hyper important, et d'une certaine façon, il est l'éminence grise de l’IH.
- Comment Médéric Collignon s’est-il retrouvé sur "Dark Wave" ?
- Il se trouve que je voue une passion incommensurable à King Crimson. Avec Médéric, on s’était croisés une ou deux fois. Quand j’ai entendu son album "À la recherche du Roi frippé", consacré à la musique de King Crimson, je me suis dit que je rêverais d’avoir un gars aussi fou comme ça avec nous ! Alors je lui ai envoyé notre premier album en l'invitant à participer à notre nouvelle création. Il a fait de gros efforts pour être présent. La création de "Dark Wave" en live, à Toulouse il y a deux ans, c’est quelque chose que je n’oublierai jamais, c’était merveilleux. Médéric est venu faire trois ou quatre jours de résidence. Musicalement et humainement, ça a été incroyable. À l'époque, on ne savait même pas si cette création aboutirait à un album. Dans l'album "Dark Wave", à la fin de la suite, on a ajouté un titre bonus, la reprise de "Time to pretend" de MGMT, avec Médéric au chant. On ne le joue jamais en concert. C'était juste un délire avec Médéric ! Je lui avais proposé de chanter ce titre pour rire, il avait tout de suite accepté.
- Et Émile Parisien ?
- Émile, c’est mon "petit-frère", je dis ça mais je suis à peine plus âgé que lui ! Il venait de Marciac, moi j’habitais l’Est, on s’est rencontré à Toulouse la même année. On a fait nos études classiques ensemble, on a sympathisé, on a écouté de la musique, joué ensemble, développé une relation fraternelle. Même s’il évolue dans d’autres sphères, car il est devenu une espèce de superstar du jazz, ça faisait longtemps qu’on souhaitait faire quelque chose ensemble. Comme on se connaît bien sur le plan humain, je me suis dit que cet album, avec cette forte dimension émotionnelle, lui irait comme un gant.
Dimanche 22 mai 2016, 18H
Avec Médéric Collignon, Émile Parisien, Vincent Artaud
Auditorium Jean-Pierre Miquel
98, rue de Fontenay
94300 Vincennes
Bonus : Reportage France 3 Midi-Pyrénées pour les 5 ans d'IH au Rex de Toulouse (19 janvier 2017) : C. Sardain, J. Pigneux, A. Ruppert, E. Auriaux, F. Ratel
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