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Interview André Minvielle, un "facteur d'accent" engagé à l'affiche de Banlieues Bleues

Fin septembre 2016, le chanteur, poète, "vocalchimiste" et "facteur d'accent" André Minvielle sortait l’album "1time", disque poétique, habité, social, swingant, exaltant. L’album a reçu un accueil enthousiaste, tant du côté de la critique que des amateurs de musiques improvisées. Minvielle chante ce samedi soir dans le cadre du festival Banlieues Bleues. L'occasion de prendre de ses nouvelles.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
André Minvielle au festival Au Fil des Voix, sur la scène de l'Alhambra, à Paris le 8 février 2015
 (Edmond Sadaka / Sipa)

À 59 ans, André Minvielle, troubadour occitan, rappeur et slameur, vocaliste engagé, muni de son attirail d'effets sonores et d'objets du quotidien, partage inlassablement sur scène sa poésie, son humour et son humanisme. Dans le même temps, il poursuit ses recherches sur ce qui distingue, au niveau de la musique de la langue, les êtres humains - pour mieux les rapprocher. Ce traqueur et "facteur d'accent" - c'est le titre d'une de ses nouvelles chansons - ne désespère pas d’étendre sa quête jusqu’à la Louisiane, son rêve, mais aussi Québec.

Samedi soir, il se produit à Stains (Seine-Saint-Denis) dans le cadre de l’effervescent festival Banlieues Bleues, qui bat son plein du côté de l’Est et du Nord-Est de Paris jusqu’au 31 mars. Six mois après la sortie de l'excellent "1time", inclassable disque dont le succès critique l'a surpris, il jouera l’un de ses programmes, le Bo Vélo de Babel, et dialoguera avec les cuivres du sextet jazz Journal Intime.

"Le Verbier", musique de Marc Perrone, texte d'André Minvielle, extrait de "1time", album sorti le 23 septembre 2016 (distribué par L'Autre Distribution)


- Culturebox : Lors d'un précédent entretien en 2014, vous disiez que quand vous écriviez des chansons, c’était plutôt une musique qui vous inspirait des mots. Vous espériez apprendre à inverser ce processus. Vous vous considériez comme "jeune auteur". Avez-vous réalisé ce vœu ?
- André Minvielle : Oui, sans oublier que le disque comporte aussi des textes de Jacques Prévert et d’André Benedetto [ndlr : poète, auteur, dramaturge], ainsi que des musiques de Marc Perrone et Bernard Lubat. Ensuite, il y a mes instruments du futur ! J’ai écrit effectivement quelques textes originaux, dont un en occitan pour lequel je me suis aidé d'un gros dictionnaire. Je me suis servi de mes instruments, de la vielle particulièrement [ndlr : une "main-vielle" à roue fabriquée à sa demande], et de livres que j’avais lus, dont "Voyage dans l’Anthropocène" de Claude Lorius [ndlr : célèbre glaciologue], sur le climat. J’ai réussi à trouver des thèmes en fonction du titre original "1time", qu'on peut prononcer "Intime" ou "One time", écrit à la façon de Gaston Chaissac ou Dubuffet, pour partager les deux, parce qu’il n’y a pas d’intime sans "one time" ("une fois"). "One time", pour moi c’est quand on fait quelque chose pour la première fois, ça peut bousculer notre façon d’être intime. C’est aussi pour interroger où est passé l’intime dans notre société de plus en plus surveillée.

- En effet, vous êtes parti de ce thème pour réaliser votre album….
- Oui, et j’ai regardé directement sur l’extime, un terme que j’ai découvert en sociologie. Ça parle des gens qui, via internet, sortent de leur intimité et se mettent donc dans l’extime. J’ai cherché un texte, sur internet, qui puisse être une sorte de partition de l’intime, et j’ai trouvé alors le beau texte de Sylvie Servoise [ndlr : écrivain, universitaire ; ses lignes figurent en introduction du riche livret du disque].

- Parlez-nous du rôle de vos instruments, et notamment de votre "main-vielle" à roue, dans le processus d’écriture.
- J’ai essayé de mettre le son de la vielle à roue dans le disque. Je vais vraiment m’en servir plus tard. C’est comme un cheval sauvage, il faut le maîtriser et il faut donc lui consacrer du temps. Sur scène, je peux chanter "La Bourdique", un titre qui figure sur "1time", avec cette vieille. Je l’ai testée la première fois au Studio de l’Ermitage [ndlr : à Paris en octobre 2016]. Petit à petit, cet instrument va m’être plus familier. Il m’a servi de fil rouge pour écrire mes textes. On trouve des ritournelles, des choses différentes d’un instrument traditionnel. La "main-vielle" à roue n’est pas une vielle traditionnelle.

- En combien de temps votre disque a-t-il été écrit ?
- Sur deux ou trois ans. Ça faisait longtemps que je voulais écrire des nouveaux textes. Comme je suis un jeune auteur [il rit] et que je n’écris pas tous les jours comme un auteur devrait le faire, ça prend plus de temps. Avant tout, je me suis associé avec des gens sur Toulouse - je pense à Georges Baux, qui a réalisé l'album - qui m’ont aidé à épurer, resserrer la forme que je voulais proposer. Et ils avaient un studio où je pouvais finaliser des choses. Ils possédaient un matériel conséquent pour enregistrer la voix de près. Donc Georges Baux, ainsi que Nicolas Jobet, m’ont aidé à faire ce disque. Je n’étais pas tout seul.


- Le travail sur le son est incroyable. Quand on écoute le disque au casque, on entend parfois d'étranges sons dont on se demande s'ils viennent du disque ou de l’extérieur !
- J’ai toujours pensé qu’un disque était fait à l’intérieur, mais parfois, il faut ouvrir la porte pour voir ce qui se passe dehors. C’est le cas avec les petits crapauds que j’ai ajoutés. J’étais dans mon studio, chez moi, je suis sorti fumer une cigarette, j’ai entendu alors des crapauds et je me suis dit : [il chuchote] "Ah ouais, c’est super…" Alors je les ai enregistrés pour le disque, pour qu’ils soient dans "l’intime". C’est la maison où j’habite, et les crapauds habitent dans le mur à côté de chez moi !

La France est multiculturelle, qu'on le veuille ou non" (à propos de la chanson "Étranges étrangers")

André Minvielle
- Les attentats se sont produits dans la période où vous avez composé ce disque. Cela a-t-il influé sur l'écriture ?
- Pendant toute l’écriture du disque, il s’est passé plein de choses, Charlie Hebdo, le Bataclan, mais aussi partout dans le monde… La présence du titre "Étranges étrangers" [ndlr : sur un texte de Jacques Prévert] dans l’album est une conséquence d’un de ces événements [ndlr : la crise des migrants]. J’avais prévu de le sortir plus tard et de le façonner un peu plus à ma manière. Mais j’ai trouvé que c’était le moment de l'inclure. C’est un témoignage écrit en 1946, et qui parle d’une chose qui n’a pas beaucoup évolué, la reconnaissance du multiculturel en France. C’est difficile, parce qu’avec tout ce qui s’est passé, il y a des tensions très difficiles à régler. Or la France est multiculturelle, qu’on le veuille ou non. Avant les Arabes, c’était les Portugais, les Italiens qui étaient pointés...

Alors j’essaye de chanter dans la multitude : en même temps que le multiculturel, il y a des traces qui m’intéressent par rapport à mon projet "Suivez l’accent", avec l’évolution des accents au fil du temps. Je suis un enfant de l’électricité, de la radio. Les comportements xénophobes peuvent arriver juste par la télévision ou la radio, alors que dans des petits villages il n’y a aucun étranger, car les gens ont peur. Quand j’entends des gens dire à la télévision "Ça ne me regarde pas, ils n’ont qu’à rester chez eux" à propos des migrants, ça me fend le cœur. Nos anciens ont vécu ça pendant la Guerre de 39-45. Les gens ne changent pas... Mais avant, tout ça se passait au niveau des villages. C’est le territoire. Qu’on le veuille ou nous, le territoire nous pourrit la vie.


- D’où la thématique la déterritorialisation dans votre travail...
- Oui, mais en même temps, il n’y a pas de déterritorialisation sans territoire ! Pour se déterritorialiser, il faut passer d’un territoire à un autre. C’est le fait des nomades. C’est pour ça que je réfléchis aux nomadismes. Comme on est musicien, on est nomade. Je voudrais témoigner d’une chose qui m’a frappé. Les maisons où j’habitais dans mon adolescence sont toutes disparues. J’habitais la cité Fouchet, Ousse des Bois, des quartiers populaires de Pau. Le petit café où je suis né et où j’ai vécu mes cinq ou six premières années a été rasé. Marc Perrone a une belle formule : "L’habitat du pauvre est volatil et l’habitat du riche demeure." Je suis du côté des volatils ! Je suis devenu glottophile pérégrin (qui pérégrine !), comme l'a écrit une journaliste de "Politis" !

- Lors de notre dernier entretien, vous célébriez le dixième anniversaire de "Suivez l’accent", votre collecte d’accents à travers le pays. Où en êtes-vous sur ce projet ?
- J’y travaille plus que jamais. J'ai remis mon site à jour, avec un peu d’animation. J’avais deux ans de retard sur les collectages que j’avais faits. Ce qui est très fastidieux, c’est de "dérusher", choisir des passages. Il faut écouter beaucoup d’heures de collectages, il faut le monter, le mettre dans la boîte, mettre les mots dessus, les images, c’est un travail de fourmi. Mais petit à petit, on avance, on a mis sur le site nos deux résidences, l’une de décembre 2014 à La Réunion, puis un collectage sur le bassin minier, dans toute la communauté de communes d’Hénin-Beaumont, avec des ateliers avec des enfants dans les écoles. J’ai aidé les gens qui travaillaient sur place, les intervenants dans les écoles, on a fait des petites créations autour du "sake eddin", une expression du Nord qui veut dire "Vas-y, fonce". Moi, je l’ai entendue comme "Ça qu’y a d’dans" !

Donc, il y a la langue, mais aussi ses dessous, les onomatopées. Après, on descend sous la terre, on voit les vers de terre, d’où la chanson "Le Verbier" : à la fin de sa vie, Darwin avait travaillé sur des vers de terre, il disait : "80% de la masse animale est sous terre." Or quand on voit le nombre de choses qu’il y a sur Terre, s’imaginer tout le monde qu’il y a en dessous, ça rejoint la culture, la poésie, tout ce qu’on nous a transmis...

- C’est toujours à l’occasion de résidences que vous approfondissez vos recherches sur l’accent ?
- J’essaye. Je vais en faire une à Marseille bientôt, que j’ai mise en place, en roue libre. J’ai eu une proposition que j’ai associée à d’autres pour faire un travail à la fois créatif, d’atelier et de collectage. Voilà les trois pôles. On se déplace, on fait une création, si possible avec les gens, et si ce n’est pas possible, je propose mes créations, l’Abécédaire, le Bo Vélo de Babel, les projections de la "main-vielle" à roue. Marina, ma compagne [également musicienne, ndlr] fait les ateliers avec les enfants. Je vais rencontrer un linguiste marseillais, Médéric Gasquet-Cyrus, qui travaille comme moi sur la discrimination par le son de la langue, la façon dont est prononcé le français. Un jour, j’ai fait un atelier avec des femmes qui venaient d’Afrique du Nord. J’ai parlé de ce sujet, elles avaient les yeux écarquillés : elles ne savaient pas que ça se passait comme ça aussi en France. Chez elles, quand on avait une certaine façon de parler, qu’on arrivait du Sahara, on était tout de suite classifié… Donc ce n’est pas une mince affaire, c’est quelque chose assez universel.

André Minvielle en concert à Banlieues Bleues
Samedi 11 mars 2017, 20H30, à Stains
Espace Paul-Éluard, 2 place Marcel-Pointet 93240
Au programme : Le Bo Vélo de Babel, puis "Lips on Fire II" avec le sextet Journal Intime (Sylvain Bardiau : trompette / Frédéric Gastard : saxophone basse, MS20 / Matthias Mahler : trombone / Guillaume Magne : voix, guitare / Rémi Sciuto : voix, saxophones, claviers / Emiliano Turi : batterie)
> L'agenda d'André Minvielle

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