: Interview Dans "Hazzan", Jacques Schwarz-Bart fusionne la liturgie juive et le jazz
Jazzman profondément imprégné par sa double culture juive et guadeloupéenne, Jacques Schwarz-Bart bâtit une œuvre lumineuse à raison d'un album tous les deux ou trois ans. Le dernier en date, "Hazzan", sorti fin septembre 2018 chez YellowBird, a été enregistré au sein d'un formidable quartet : le pianiste martiniquais Grégory Privat, le batteur guadeloupéen Arnaud Dolmen, le contrebassiste Stéphane Kerecki. Avec la participation de deux invités : le vocaliste belge David Linx et le trompettiste canadien Darren Barrett.
Après avoir vécu vingt ans à New York, Jacques Schwarz-Bart s'est installé en 2017 à Boston où il enseigne au Berklee College. Le musicien, qui se fait rare en France, se produit mardi 26 février à Paris, au New Morning, et samedi 2 mars à Luisant, près de Chartres. D'autres dates se profilent. Immanquable.
- Jacques Schwarz-Bart : Ça signifie "cantor", c'est-à-dire le chantre qui chante les prières dans les synagogues. Ce projet a pour ambition d'inspirer générosité, ouverture d'esprit et simplicité. Souvent, les sujets religieux ou spirituels sont abordés avec la volonté d'imposer une vision sur celle des autres. J'avais envie de proposer ma philosophie humaniste d'ouverture et de partage.
- Alors que vous exploriez dans vos albums précédents la mystique africaine, haïtienne et vos racines caribéennes, vous aviez depuis longtemps l'idée de vous pencher sur vos racines juives. Racontez-moi la genèse de ce projet.
- Ça a été un moment très précis. En 2008, j'ai été invité à jouer trois titres à la fête annuelle de la Fondation du Judaïsme français. Plutôt que de jouer de la musique qui existait déjà, j'avais décidé de commencer mon hommage à mon père [ndlr : l'écrivain André Schwarz-Bart] qui nous avait quittés en 2006, et de dédier ce concert aux musiques liturgiques juives que je connaissais depuis mon enfance, mélangées à mon univers de jazzman et de représentant de la diaspora africaine. C'est ainsi que j'ai joué le morceau traditionnel "Adon Olam" [ndlr : présent dans son nouveau disque]. Un rabbin présent dans l'assistance est venu me dire qu'il reconnaissait dans mon jeu le souffle d'un hazzan. Il entendait ma musique comme une prière. C'est un moment qui est resté. J'ai compris à ce moment que j'avais trouvé la direction, qu'il y avait là une couleur à développer. Jusqu'alors, je m'interrogeais sur la façon de rendre cet hommage à mon père. J'avais pensé à un disque de klezmer, à des compositions originales...
- Comment avez-vous procédé ?
- Je suis parti de ce que je connaissais puis j'ai voulu élargir mes horizons, m'instruire. J'ai essayé de visiter différentes traditions de chants religieux juifs - le terme exact pour cet art étant "hazzanout". J'ai exploré la hazzanout d'Europe, et notamment d'Europe de l'Est d'où mon père était originaire, mais aussi celle du Maroc et du Yémen. Je suis déjà familier des traditions d'Europe : je les entendais, enfant, lorsqu'on allait célébrer les fêtes avec les amis de mon père. J'ai dû m'éduquer à d'autres traditions en faisant des recherches. J'ai écouté des milliers de chants différents pour en arriver à une cinquantaine, puis à vingt, et enfin aux dix qui sont sur l'album.
- Au tout début, avez-vous choisi des chants qui vous touchaient ou qui se prêtaient à un rapprochement avec le jazz tel que vous le pratiquiez ?
- Les deux. Il y a des morceaux qui me touchent à cause de leur mélodie, mais aussi de leur message. En plus de l'une ou l'autre de ces raisons, il faut qu'il y ait aussi une ouverture multiple à un traitement jazzistique. Il faut que je puisse entendre, à travers les mélodies, des possibilités de variations, d'harmonisations et d'improvisation. En l'absence de ces critères, je ne peux pas sélectionner un chant.
- Quelle est l'ancienneté des musiques choisies ?
- Certaines sont datées de plusieurs milliers d'années. "Oseh Shalom" a plus de 3000 ans. "Maoz Tsour", le morceau plus récent, date du 16e siècle. Toutes ces musiques sont chantées dans les synagogues partout dans le monde. Elles ont été transmises oralement au fil des générations. Je connaissais déjà la plupart des chants que j'ai choisis pour l'album, en dehors de quatre qui viennent du Maroc et du Yémen. Je suis loin d'avoir épuisé le sujet puisqu'il existe aussi la tradition éthiopienne, celle des juifs du Cameroun, d'Afrique du Sud, de Tunisie, d'Algérie, de Roumanie, d'Ukraine, d'Israël même ! Il me reste encore beaucoup à explorer si je veux continuer à travailler sur ce thème à l'avenir...
- Alors que "Hazzan" revisite des musiques sacrées qu'on peut imaginer solennelles, sérieuses, cet album s'avère un disque de jazz aussi léger que lumineux. Cette joie se trouvait-elle déjà dans l'ADN de ces chants ?
- Je voulais que ce disque soit une célébration, pas un enterrement. Il est extraordinaire qu'après avoir survécu à l'Holocauste, mon père ait trouvé la force de vivre, exister, aider autrui, écrire, se marier, devenir père, voyager, être ouvert au monde. C'est tout cela que je voulais célébrer. Trouver dans sa vie une source d'inspiration pour ma propre vie, et peut-être transmettre cet enthousiasme aux gens qui écoutent cette musique.
- Cette musique, quelque part, c'est aussi vous.
- L'idée, c'était de rester fidèle à deux choses. D'une part, que cette musique soit exactement l'image de ma musique. Que j'y reconnaisse mon inspiration, ma patte de compositeur, concepteur, joueur, saxophoniste et leader. En même temps, il fallait que ceux qui écoutent ces morceaux reconnaissent aussi les chants. Je ne voulais pas les déformer au point qu'ils soient méconnaissables.
- Justement, comment votre disque est-il reçu chez tous ceux qui connaissent ces musiques ? Avez-vous des échos ?
- Oui. Il y a quelques jours, j'avais rendez-vous avec un rabbin, à Boston, qui m'a demandé de jouer "Hazzan" dans sa synagogue. Il a complètement retrouvé l'inspiration qui le porte lorsqu'il chante lui-même ces chants, mais il ne s'attendait pas à retrouver ce niveau d'énergie, de groove, de couleur harmonique. Et comme il est fan de jazz, il veut partager ça avec la communauté. Chaque fois que je joue cette musique quelque part, je rencontre toujours une dizaine de personnes au moins qui ont vécu cette tradition dans leur enfance, qui la vivent encore en tant qu'adultes et qui me parlent de la façon dont ils la redécouvrent à travers le travail de "Hazzan".
- Pouvez-vous me parler du quartet avec lequel vous avez enregistré "Hazzan" ?
- Ça fait longtemps qu'on tourne ensemble. Ce quartet a assuré la plupart des concerts de "Jazz Racine Haïti" [son précédent album sorti en 2014] en Europe. Il nous manquait une occasion de nous réunir en studio. On a joué au Paris Jazz Festival [en juillet 2017] et à cette occasion, j'ai pu mesurer à quel point c'était le groupe qu'il me fallait pour enregistrer le disque. Ils connaissent les univers dans lesquels je m'exprime et ils ont une palette très large qui leur permet d'embrasser des aspects très différents du jazz moderne. Avec Grégory Privat, Arnaud Dolmen et Stéphane Kerecki, dès la première répétition, on est parti d'un haut niveau de compréhension de la musique pour aller dans les nuances spirituelles, les petits détails qui vont donner de l'excellence à un bon projet. Ils sont entrés dans les émotions, ils ont compris mon intention, ils ne jouaient pas que les notes. Lorsque je faisais des remarques, elles étaient immédiatement comprises, interprétées et même dépassées. Il y a eu une communauté d'intention.
- Comment le chanteur David Linx s'est-il greffé à ce projet ?
- On s'est croisé très souvent sur les routes, ayant été souvent programmés ensemble. Je pense - et je ne suis pas le seul - que c'est l'un des plus grands chanteurs de jazz de notre époque. Il a aussi une grande palette du fait de son oreille absolument phénoménale. Je lui a demandé s'il était disponible, il a répondu avec beaucoup d'enthousiasme. Il m'avait fait participer à l'un de ses enregistrements. On avait déjà une relation à la fois personnelle et professionnelle. On envisage de créer un projet en coleadership. Ce qui m'a surpris, c'est la capacité de David à chanter le premier morceau du disque "Shabbat Menuka" où il a vraiment une voix gnaoua [ndlr : inspirée de la fameuse tradition musicale marocaine]. Il m'a expliqué alors qu'il avait déjà creusé ce type de chant, ce que je ne savais pas. Il m'a absolument scotché.
Jacques Schwarz-Bart en concert
Mardi 26 février 2019 à Paris, au New Morning, 21H
Samedi 2 mars 2019 à Luisant, au festival Jazz de Mars, 20H30
Samedi 25 mai 2019 à Coutances, à Jazz sous les pommiers, 20H
Jacques Schwarz-Bart : saxophone ténor, arrangements
Gregory Privat : piano
Stéphane Kerecki : contrebasse
Arnaud Dolmen : batterie
> L'agenda-concert de Jacques Schwarz-Bart
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