: Interview Paul Lay, deux albums qui mettent le jazz en fête
Grand Prix Charles-Cros Jazz en 2014 pour l'excellent "Mikado", Prix Django Reinhardt 2016 (décerné par l’Académie du Jazz), Paul Lay, 32 ans, poursuit un parcours foisonnant entre ses projets en leader et ses nombreuses participations, avec le groupe Ping Machine, la saxophoniste Géraldine Laurent ou le chanteur Hugh Coltman, pour ne citer qu'eux.
Le 17 février dernier, le pianiste natif du Béarn a lancé deux albums sur le label Laborie Jazz auquel il est fidèle. Deux disques enregistrés en trio mais avec des musiciens différents : la chanteuse suédoise Isabel Sörling, connue des passionnés de jazz et de folk, et le contrebassiste Simon Tailleu pour "Alcazar Memories" ; le batteur belge Dré Pallemaerts et le contrebassiste néerlandais Clemens Van Der Feen (deux membres du quartet de "Mikado") pour "The Party", suite sur le thème de la fête. La critique jazz s’enflamme, nous aussi. "The Party" et "Alcazar Memories" sont disponibles en coffret ou à l’unité.
Mercredi soir à Paris, Paul Lay réunissait les deux trios au Café de la Danse pour jouer les répertoires des deux disques. De nombreuses autres dates sont prévues dans différentes villes pour jouer l’un ou l’autre de ces projets.
- Culturebox : Pourquoi avoir lancé vos deux nouveaux projets au même moment ?
- Paul Lay : L’une des principales raisons est liée au calendrier des groupes. Lorsque nous avons enregistré les deux albums en juin 2016, je savais déjà qu’à la mi-février 2017, j’aurais une tournée au Japon avec le trio The Party. On a réfléchi avec Jean-Michel Leygonie [ndlr : patron de Laborie Jazz]. J’ai aussi demandé un conseil purement amical à Laurent de Wilde [ndlr : pianiste de jazz], qui sait répondre à mes interrogations de musicien apprenti dans le métier. Il m’a dit que ça pourrait être une très bonne idée de présenter les deux albums dans un même coffret, avec ces deux projets que je souhaite mener de front : deux trios avec leur son, leur univers, différents et complémentaires.
- Comment est né le projet "Alcazar Mémories", dont le titre et la pochette rendent hommage à l’Alcazar, légendaire salle de spectacle marseillaise ?
- Ce projet est né pour Marseille-Provence 2013, quand la ville a eu le titre de capitale européenne de la culture. Un fidèle allié marseillais me donne régulièrement l’occasion de jouer dans sa ville. Il m’a suggéré de venir avec une création, avec un groupe qui ait un côté européen. L’idée consistait à revisiter des chansons. J’ai réuni un trio avec Isabel Sörling au chant et Simon Tailleu à la contrebasse. Le répertoire pour la création de 2013 était plus axé sur les chansons populaires provençales, mêlé à des compositions personnelles et des standards. On a tourné ensuite dans le Sud, puis en Suède et en Chine. Forts de ces quatre années d’expérience, on se sentait prêts à inscrire ce projet sur un disque.
Je suis vraiment content d’avoir eu ces occasions de jouer avant l’entrée en studio. De nos jours, traditionnellement, on enregistre un disque et on part ensuite le jouer en tournée. C’est très bien d’avoir déjà l’opportunité de le faire. Mais dans l’autre sens, c’est encore mieux. Surtout pour nous, musiciens, car en quelques années, la musique a mûri. Quand nous sommes entrés en studio pour "Alcazar Memories", nous revenions tout juste d’une tournée en Chine et nous nous sentions très à l’aise avec le répertoire, très libres. C’était à la fois fort et facile d’enregistrer cette musique.
- Le trio a une configuration piano-voix-basse, peu commune. La batterie est absente. Pourquoi ce choix ?
- Cette configuration est née à Marseille. À l’époque, je jouais déjà en trio piano-basse-batterie. Je souhaitais créer un espace sonore différent où l’on puisse jouer avec l’espace et l’air. Pour moi, c’est avant tout l’air qui donne la musique, celui que l’on met dans les notes, celui qui permet à la musique de respirer et lui donne sa substance et son intérêt. Avec le trio, on a adoré expérimenter ce champ sonore, et après la création de 2013, on a continué dans cette voie. C’est génial de jouer sans batterie dans ce contexte. Ça nous contraint, Simon Tailleu et moi, d'être ultra rigoureux et précis rythmiquement pour pouvoir ensuite rester libres et nous amuser avec l’espace, les résonances et l’air.
- Parlez-nous de la chanteuse Isabel Sörling que vous avez engagée pour ce projet.
- J’avais rencontré Isabel Sörling quelques mois avant qu’il me soit proposé de faire une création pour Marseille-Provence 2013. Je l’avais accompagnée pour un examen au conservatoire. Ça avait été une découverte et un choc, autant sur le plan vocal qu’humain. L’un des plus beaux chocs musicaux de ma vie. La création de 2013 a été un moment tellement intense qu’il était naturel pour moi de continuer l’aventure et de l’inscrire en disque. Isabel a mis des textes sur certaines de mes musiques. C’est une personnalité rare, d’une grande finesse et élégance. C’est une funambule qui chante ultra juste et qui prend énormément de risques, le tout avec une incroyable facilité. Ça ne m’arrive pas souvent de jouer avec des chanteurs. Isabel Sörling me touche énormément, tout comme Hugh Coltman, un autre chanteur exceptionnel, dans un autre registre.
- Le répertoire d’"Alcazar Memories" a-t-il évolué entre la création de 2013 et le disque de 2017 ?
- La pochette, qui représente la façade de l’Alcazar, est une petite réminiscence pour rappeler d’où le projet est né. En quatre ans et demi, le répertoire a pas mal évolué. Sous sa forme originelle, le programme était beaucoup axé sur des chansons provençales. On a gardé une ou deux chansons parmi celles qui nous touchaient le plus, dont "Adieu Venise provençale". J’ai gardé aussi la moitié des compositions originales de 2013 et j’en ai écrit cinq nouvelles dont "Blue Roses", "Haze", "Hundred Fires" et "Returning".
Le répertoire d’"Alcazar Memories" alterne chansons, poèmes mis en musique et compositions, avec pour thèmes prédominants l’interaction de l’homme avec la nature au travers de chansons d’amour. Avec "Blue Roses", poème de Rudyard Kipling, et "A Question", poème de Robert Frost, j’ai travaillé pour la première fois sur la mise en musique de textes préexistants. Il faut veiller à ce que la musique puisse éclairer au mieux le texte. J’ai adoré ça.
- L’album comporte des reprises, dont "Amour et Printemps", une chanson bien connue, dans sa version instrumentale, des téléspectateurs cinéphiles français qui ont plus de vingt ans, puisque c’était le générique du mythique Ciné-club d’Antenne 2 !
- Nous avons découvert cette chanson il y a environ deux ans à l’occasion d’une commande du festival Tons Voisins d’Albi. Nous sommes tombés tous les trois amoureux de ce morceau composé par Émile Waldteufel. J’en ai écouté plusieurs versions, l’arrangement original mais aussi des versions plus contemporaines. Roberto Alagna a écrit des paroles afin de le chanter dans un de ses disques. J’ai trouvé ce texte très beau, on l’a utilisé pour notre version. On a inséré une boîte à musique dans notre arrangement afin d’évoquer la nostalgie d’une certaine époque. On adore jouer ce titre.
- Le disque comporte aussi un morceau traditionnel suédois et un classique du jazz…
- "Bereden Väg för Herran", qui signifie "Faites la place au Seigneur", est une chanson plutôt jouée dans la période de Noël. Isabel adore la chanter. Avec le trio, on aime bien alterner différents types de dynamiques comme des choses à connotation très intérieure, de l’ordre du recueillement, à l’image de ce titre. Quant au standard "The Man I Love" qui clôt le disque, c’est moi qui l’ai proposé au trio. À chaque fois qu’on le joue ensemble, on se régale.
- Parlons de l’album "The Party", enregistré dans la configuration piano-basse-batterie, la structure la plus classique du jazz. Ce projet correspond-il à une envie de renouer avec cette formule ?
- Oui, j’en avais envie depuis longtemps. Dré Pallemaerts et Clemens Van Der Feen font partie du quartet "Mikado". La section rythmique qu’ils forment est bien soudée. J’espère retrouver Antonin-Tri Hoang [ndlr : le saxophoniste du quartet] sur un prochain projet.
- Comment ce projet, dont le titre évoque le souvenir de Blake Edwards, est-il né ?
- Dans ce disque, il est question de l’atmosphère de la fête sous ses différentes coutures. Je l’ai imaginé sous la forme de petites saynètes cinématographiques, au cours desquelles plein d’événements peuvent potentiellement se produire : rencontres, retrouvailles, jeux de regards, imprévus… Les titres des morceaux donnent éventuellement une direction à l’auditeur, mais libre à lui d’imaginer ce qu’il souhaite. J’adore me retrouver au sein d’un collectif amical ou familial pour partager des bons moments. Et je suis toujours intrigué de voir comment les gens se comportent dans ce genre de contexte, surtout quand ils discutent avec des gens qu’ils ne connaissent pas. J’adore "étudier" les gens - moi compris - et voir comment l’ego miroite, repérer le jeu des masques. Certains seront capables de rester naturels, d’autres joueront un rôle pour paraître à leur avantage… Je trouve cela très intéressant, surtout dans le milieu artistique où il faut à la fois maîtriser et gérer son ego et celui des autres.
En filigrane, il y a évidemment le film de Blake Edwards que j’adore, "The Party", avec Peter Sellers. Ce film m’a fait mourir de rire... Dans l’album, le morceau "M. Birdy" est un hommage à Birdy Nam Nam, le perroquet du film.
- Le mystère du titre "M. Birdy" est donc résolu. Mais qui donc est "Droodoo", qui donne son nom à un autre titre énigmatique du disque ?
- J’ai imaginé un petit elfe, observateur malicieux et impertinent, qui vient fureter au milieu de cette fête…
Paul Lay trio(s) en concert : "Alcazar Memories" et "The Party"
Mercredi 15 mars 2017 à Paris, au Café de la Danse, 19h30
5, passage Louis-Philippe 75011
Tél : 01 47 00 57 59
> L’agenda-concert de Paul Lay
> L'EPK officiel d'"Alcazar Memories"
> L'EPK officiel de "The Party"
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