Jazz à Vienne : les nouveaux standards orientaux de Natacha Atlas, Ibrahim Maalouf et Dhafer Youssef
Juste avant de monter sur scène, la tension était palpable. Ibrahim Maalouf, qui a provoqué l’idée de ce travail avec Natacha Atlas, comme musicien mais aussi producteur et compositeur, reconnaît qu'il s'agit d'un énorme challenge : "un premier concert, normalement, on ne le fait pas dans un théâtre antique comme ça ! ».
C’est en maître de cérémonie qu’Ibrahim Maalouf arrive sur scène, veste de costume noire et micro à la main. C’est la 5e fois qu’il vient à Vienne et le public semble l’accueillir comme un ami en plaisantant depuis les gradins sur l'ambiguïté de certains termes employés par le musicien pour qualifier sa "relation" avec Natacha.
Dès les premières notes, le ton est donné. La tonalité jazz va et vient au fil de l’étourdissante voix de la diva et l’inimitable timbre du trompettiste. Les sons semblent se fondre les uns dans les autres, parfois timidement ou lors de surprenantes fulgurances. Les compositions sont inédites mais semblent parfois familières à l’image du très mélodique "Oasis" durant laquelle la chanteuse se risque à faire chanter le public.
Après un morceau plus swing, Natacha Atlas présente un texte mélancolique basé sur les regrets de la vie "Ya Tara " qui sera l’occasion d’un solo mémorable d’Ibrahim Maalouf qui place définitivement cette soirée dans le domaine du frisson et de l’émotion.
Le trompettiste s’éclipse parfois en coulisses. Il revient pour accompagner certains titres très "maaloufiens", basés sur l’énergie et les ondulations d’intensités. Mais cette fois-ci le musicien peut s’appuyer sur la technique vocale inventive de Natacha Atlas qui, même si elle chante ici souvent en anglais, sait comme personne utiliser les reliefs de la langue arabe pour faire des mots de véritables éléments de percussions alors qu' Ibrahim Maalouf marque le tempo à sa manière, en tapant avec une bague sur l’extrémité de son instrument. Tous deux laissent aussi suffisemment de place aux autres musiciens emmenés par le violoniste Samy Bishai, qui se sont appropriés ce mélange d’influences orientales et de jazz classique avec force et finesse.
Après une longue standing ovation, Ibrahim Maalouf et Natacha Atlas s’approchent au plus près du bord de la scène pour improviser très symboliquement, à deux, une tendre reprise de "Mon amie la rose" qui laisse entendre que la chanteuse, avec ce disque, est bien partie pour retrouver une nouvelle popularité
Reportage : D.Borrely, F.Ceroni, G.Coutables, P.Maillard
"Myriad Road" : sur la piste d'un album prometteur
En cours de mixage à Los Angeles, le disque est le fruit d’un long cheminement entre la chanteuse et le trompettiste qui se sont rencontrés pour la première fois il y a trois ans à Istanbul lors d’un concert du oudiste Smadj, un ami commun que l’on retrouve naturellement sur les enregistrements.
Ibrahim Maalouf se désolait de ne plus entendre sufisamment Natacha Atlas comme à ses débuts avec son ancien groupe Transglobal Underground, ou dans ses premiers albums et sa célèbre reprise de "Mon amie la rose" de Françoise Hardy. Pour "qu’elle se retrouve telle qu’elle est réellement " qu’elle se débarrasse de l’étiquette "danse du ventre"qui ne lui convient pas vraiment, le choix du jazz c’est imposé progressivement. "On ne se revendique pas d’une culture, mais d’une évolution culturelle" explique le musicien franco libanais qui précise que le jazz est lui-même "une culture qui évolue, qui n’est pas finie". La chanteuse raconte de son côté que l'idée de faire du jazz "flottait en elle depuis quelque temps" tout en citant sa reprise de "Riverman" de Nick Drake dans son album "Expressions".
L’idée à été de former un quintet traditionnel de jazz autour de la solide rythmique d’André Ceccarelli mais d’ouvrir aussi la formation à des artistes aux parcours métissés, comme le violoncelliste Vincent Ségal qui s’est intéressé à l’Afrique, ou encore le jeune tromboniste Robinson Khoury découvert par Ibrahim Maalouf ici même à Vienne, dont il est originaire. C’est le seul de la bande que l’on retrouve sur la scène du Théâtre Antique puisque le compositeur a laissé aux musiciens de Natacha Atlas le soin de se réapproprier les morceaux.
Dhafer Youssef, le magicien des sons
Près de quatre heures auparavant la soirée avait commencé à capella avec un simple son de frappes sur la poitrine. La voix de Dhafer Youssef est un instrument à part entière et sa musique un terrain de vastes expérimentations. Mais c’est aussi dans le registre de la fusion avec le jazz que son quintet a su embarquer le public dans un éblouissant voyage musical.
Le chanteur s’éloigne parfois du micro pour explorer des notes humainement impossibles qui se confondent avec les sons aigus et cristallins du guitariste Eivind Aarset, quand il ne lui répond pas par les notes chaudes de ses solos de oud. Une magifique performance musicale et humaine.
Jazz à Vienne, jusqu'au 11 juillet
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.