Jazz à Vienne : Une soirée ébouriffante avec Goran Bregovic et l'Orchestre des mariages et des enterrements
Il est minuit et demi passé, et dans les gradins du théâtre antique de Vienne, on n'a pas vraiment envie d'aller se coucher. Sur les écrans géants installés de part et d'autre de la scène, Goran Bregovic, en gros plan, commence à avoir l'air un peu fatigué mais lui non plus ne semble pas disposé à quitter les lieux. Il a 66 ans mais en parait facilment dix de moins. Depuis plus de deux heures, le compositeur bosniaque et son Orchestre des mariages et des enterrements ont mis le public en ébullition.
Après la mise en bouche enthousiasmante de Sanseverino pour ouvrir les festivités de cette quatrième soirée, la nuit est tombée sur Vienne et avec elle un peu de fraicheur.
Et puis Goran Bregovic apparait enfin, seul et tout de blanc vêtu, comme à son habitude, bientôt suivi par les musiciens, cordes, cuivres, vent, et les choristes: cinq chanteurs d'église orthodoxe et deux chanteuses bulgares, les formidables Lumila Radkova-Trajkova et Daniela Radkova-Alexandrovan, en costumes traditionnels. S'installe enfin à ses côtés Muharem Redzepi, incroyable chanteur kosovar et percussionniste de goc, sorte de tambour traditionnel serbe.
Le début de concert prend d'abord un tour solennel, sérieux. Les voix puissantes des hommes rendent hommage à la résistance explique Goran Bregovic. C'est beau, c'est fort, propice au recueillement. Pas à l'agitation.
La tolérance en letimotiv
De son histoire personnelle dans un pays aujourd'hui dissoud (il est fils d'une Serbe et d'un Croate, né en Bosnie et s'est exilé pendant la guerre), il gardé ce goût immodéré du mélange des genres. Ses collaborations avec des artistes aussi divers que les Gipsy Kings, Cesaria Evora, Iggy Pop en sont une preuve si besoin était. Il a fait de la tolérance entre les peuples et de la défense de la culture gitane un letimotiv.
Créé en 2002 pour le Festival d'art sacré de Saint-Denis, son oratorio "Mon coeur est devenu tolérant" est un appel à la réconciliation des trois religions monothéistes, meurtries par cette guerre des Balkans. En 1994, à la demande de Patrice Chéreau à qui il a rendu hommage à Vienne, il avait déjà abordé la musique sacrée pour composer la bande son de "La reine Margot".Mais bien vite, le goût de la fête ressurgit. Un goût que Goran Bregovic distille aux quatre coins du monde depuis la création de son Orchestre des mariages et des enterrements, en 1997, mais qu'il exploitait déjà dans les années 70 au sein des Bijelo Dugme, célèbre groupe de rock yougoslave.
L'ami Stéphane Eicher
Avec "Presidente" qu'il a interprété à l'origine avec les Gipsy Kings, les pieds se remettent à bouger, les mains à claquer avant l'entrée en scène de Stéphane Eicher.Le compositeur suisse est une vieille connaissance de Goran Bregovic qu'il a accompagné sur "Champagne for gypses" , album paru en 2012 (le dernier en date). Mais c'est avec des titres personnels que Stéphane Eicher est plus connu en France et 25 ans après sa sortie, le "Déjeuner en paix" fait toujours son petit effet.
Au fur et à mesure que s'égrennent les morceaux, le rythme semble aller crescendo, entrecoupé de quelques pauses comme "Ederlezi" ("Le temps des Gitans") ou "In the death car" ("Arizona Dreams"), quelques-uns des titres phares qui ont fait connaitre Goran Bregovic, compositeur pour les films d'Emir Kusturica. Une occupation qu'il ne souhaite d'ailleurs pas spécialement poursuivre a-t-il indiqué lors du point presse avant le concert.
"Je suis très content que vous aimiez bien ! " lance-t-il dans un français parfait, une fois les bravos terminés. Bien aimer ? C'est un doux euphémisme tant la fin de concert, avec notamment "Artilleria", chanson à boire mais surtout la reprise de "Bella Ciao" puis "Kalashnikov" vont mettre le théâtre antique dans tous ses états. Jusqu'au sommet des gradins le public s'est levé, chantant et dansant à tue-tête. Quelle soirée ! Nulle doute que plus d'un aurait bien poursuivi la fête toute la nuit.
A noter la sortie d'un nouvel album "3 lettres de Sarajevo" prévue en octobre prochain.
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