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Jean-Philippe Viret, la belle aventure d'un trio "ineffable"

Depuis plusieurs années, le contrebassiste Jean-Philippe Viret anime un trio de jazz. Ses camarades de jeu : le pianiste Édouard Ferlet (depuis les débuts) et le batteur Fabrice Moreau (depuis 2008). Leur moteur : le plaisir absolu de jouer ensemble et voir la formation évoluer au fil du temps. Leur dernier disque : "L’ineffable". Jean-Philippe Viret nous parle de cette aventure.

Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
De gauche à droite : Édouard Ferlet, Jean-Philippe Viret, Fabrice Moreau (2014)
 (Grégoire Alexandre)

Jean-Philippe Viret a formé son trio jazz en 1998. Auparavant, durant huit ans, il avait accompagné le violoniste Stéphane Grappelli, disparu le 1er décembre 1997. Le contrebassiste a formé son groupe avec le pianiste Édouard Ferlet et le batteur Antoine Banville, à la suite d'une de ces sessions de musique qui voient naître des moments d'alchimie évidente. Ils se sont produits pour la première fois en novembre 1998 au Duc des Lombards, à Paris.

Sept albums ont suivi. Entre-temps, Fabrice Moreau a remplacé Antoine Banville à la batterie. En dehors du trio, chaque membre mène de front différents projets musicaux. À 55 ans, Jean-Philippe Viret anime deux autres formations, le quatuor à cordes Supplément d'âme et un autre trio baptisé 60% de matière grave. Pour son nouveau disque, le trio Viret-Ferlet-Moreau a sollicité l'aide du compositeur David François Moreau, qui en a assuré la direction artistique.

Le concert de sortie du disque « L’ineffable » a lieu mardi 3 mars 2015 à Paris, au Café de la Danse.

- Culturebox : pourquoi ce titre "L'ineffable" ?
- Jean-Philippe Viret : Parce que pour moi, être musicien aujourd’hui, ce n’est pas uniquement savoir bien jouer d’un instrument. Être musicien de jazz, c’est essayer d’avoir une proposition artistique qui dépasse le cadre instrumental. Dans cette proposition artistique, je suis très inspiré par les propos de Debussy, Heinrich Heine, Aldous Huxley… Tous parlent du moment où la musique prend le relais de la parole pour exprimer l’inexprimable. L'inexprimable qui est d’un côté l’indicible, ce qui est trop dur à vivre, à supporter. Cet indicible qu’on pourrait rapporter aux événements du 7 janvier. Et puis l’ineffable qui est cette joie profonde, intérieure, cet espoir, sentiment plutôt positif, de bonheur, que je mettrais plus en relation avec la marche du 11 janvier. Il se trouve que le quatrième album du trio s’appelait L’indicible [sorti en 2006, ndlr]. J’avais envie de montrer l’autre côté.

- Si vous aviez composé ce disque juste après le 7 janvier, est-ce qu’il aurait penché vers un autre "Indicible" ?
- Pas forcément. Ça dépend de quel point de vue on se place. Au niveau de l’inspiration chez les artistes, on a tous conscience qu’on a besoin de réagir, d’être présent et justement de faire de l’humour, d’être dans un élan de vie très fort pour répondre encore plus à ça. Donc je crois que j’aurais été encore plus dans le sens de L’ineffable.

- Concrètement, comment avez-vous procédé en termes d'écriture ?
- En se fixant pour objectif d’aller dans le sens de l’ineffable, on voulait aller dans un sens positif, presque majeur, ai-je envie de dire. Essayer de proposer une musique qui ne soit pas trop mélancolique, pas trop… mineure ! C’était très intéressant. Après, ce n’est pas évident. J’ai envie de dire : "Chassez le naturel, il revient au galop !" Il y a forcément quelque chose qui ne peut pas s’effacer complètement. Mais, néanmoins, je pense que cet objectif nous a amenés quelque part. Après, est-ce que le contrat est complètement rempli ? À la limite, ça n'a aucune importance.

- Ce qui prévaut dans votre projet, est-ce avant tout le travail effectué en commun ?
- Le projet, c’est le cheminement, le parcours, l’évolution, le fait de se connaître. Il y a quelque chose qui me dérange énormément avec les projets en musique. Très souvent, on n’a pas le temps de les faire véritablement. Maintenant, on sollicite les artistes pour faire un projet quasiment tous les ans, ça devient un alibi pour sortir un disque, faire des concerts. Forcément, ça ne peut pas mûrir. Ça ne remet pas en cause l’artiste, ça ne le pousse pas dans ses derniers retranchements, ça ne l’oblige pas véritablement à aller chercher au fond de lui quelle musique il a envie de faire. C’est pour ça que j’aime bien l’évolution de ce trio. Il est impossible pour moi d’envisager de faire le même album que le précédent. Il faut une évolution. Il faut aller la rechercher, la faire mûrir, la travailler au corps. Dans l’écriture, il faut se renouveler.
- Tous les titres de l'album sont des compositions originales. Chaque membre du trio a apporté sa contribution. Les arrangements relèvent-ils aussi d'un travail collectif ?
- Oui. D'abord, chacun amène des compositions et on voit comment on peut les faire sonner, nous trois. Les arrangements, c’est un travail commun. À propos des compositions, je tiens énormément à ce l'on joue un répertoire original. Ce travail nous permet d’aller plus loin dans la partie artistique. Quand on est compositeur, on est face à la page blanche. C’est intéressant de se confronter à ça. C’est la raison pour laquelle on a sollicité David François Moreau, qui est compositeur, pour venir assurer la direction artistique de l'album. C’était intéressant d’avoir un directeur artistique qui connaît la composition et qui nous encourage à faire en sorte que notre jeu en studio soit le reflet de ce que l’on est, de ce qu’on a écrit.

- Quelques mots sur les membres du trio. Fabrice Moreau l'a rejoint en 2008. Qu'a-t-il apporté au groupe ?
- Beaucoup de choses. C’est un magnifique musicien. Et un artiste. Il y a une petite différence entre l’instrumentiste et l’artiste musicien. J’ai autant de respect pour l’un que pour l’autre. Il y a des moments dans la vie où on a envie d’être instrumentiste, on se penche sur notre instrument pour exceller, développer une technique, un mode d’expression. Il y a d’autres moments où il y a un jeu de vases communicants à faire. Si on est uniquement préoccupé par l’instrument, on perd un peu ce qu’on a au fond de soi, la proposition artistique qu’on est capable de faire. Il y a d’excellents musiciens qui sont plutôt instrumentistes et d’autres qui vont être plutôt artistes musiciens. Fabrice fait partie de ces derniers. Il arrive à gérer son talent d’instrumentiste, qui est énorme, sans se faire dévorer par l’instrument. Il faut que l’instrument reste au service de la musique. Fabrice nous a apporté beaucoup en termes de rigueur, avec le tempo. Ça nous a orientés et permis de travailler avec une vision différente par rapport à ça.

- Comment évolue votre complicité avec Édouard Ferlet ?
- Avec Édouard, cela fait un bon moment qu’on se trouve dans cette magnifique collaboration. C’est passionnant de se voir évoluer côte à côte, même si on peut diverger à certains moments. Maintenant, justement, comme on a ce passé commun, cet ancrage, cette relation forte, cette connivence, quand on commence à aller dans des directions un peu différentes, ça provoque des choses vraiment intéressantes. Édouard est un magnifique pianiste et un magnifique artiste.
De haut en bas, Fabrice Moreau, Jean-Philippe Viret, Édouard Ferlet
 (Grégoire Alexandre)
- Quel regard portez-vous sur la façon dont vous avez évolué en tant que musicien et en tant que leader de ce trio ?
- J’ai appris énormément et je continue, c’est ça qui m’intéresse. J’ai commencé la contrebasse tardivement, à 18 ans. Auparavant, j’avais fait un peu de piano. À 18 ans, je ne pensais pas que je pourrais être musicien, ce n’était pas possible... Or, il se trouve que si. Mon premier objectif était d’être contrebassiste, instrumentiste, d’obtenir une certaine excellence à ce niveau. Après, c'était d’être musicien. Et puis après, artiste ! C’est comme ça que je vois les choses. Quand j’ai commencé le trio, j’avais pas loin de 40 ans. Dans mon parcours, je ne pouvais pas le faire plus tôt. Je ne pouvais pas sauter les étapes. J’aime sentir ces paliers que je franchis petit à petit. J’espère, je sens, je sais qu’il y en aura d’autres. La musique a cela de fantastique qu’elle est infinie. Peu importe le nombre de paliers qu’il reste à franchir, j’ai beaucoup de plaisir à faire ce cheminement. Je ne sais pas jusqu’où ira le trio, mais tant que j’ai envie et le désir d’explorer, j’essayerai de continuer.

Avez-vous la sensation de composer différemment d’il y a quinze ans ?
- Tout à fait. C’est plus difficile. À un moment donné, vous épuisez un peu ce que vous composez naïvement et spontanément. Je trouve ça regrettable parce que c’est très intéressant, à mes yeux, de garder cette naïveté, cette fraîcheur. Je vois ma fille, qui apprend la musique, découvrir un accord et se mettre à composer grâce à cette couleur qui lui a été révélée. Mais à moi, cette couleur ne parle plus comme au tout début. Forcément, je vais chercher ailleurs. En ce moment, il m’arrive de chercher dans mes vieilles notes des bouts d’idées, pour essayer de voir si ça tient la route ou pas, et si je peux développer ça maintenant… Je trouve parfois des choses intéressantes.

- Pour conclure, pas de risque de lassitude pour votre trio ?
- Non. Je sens toujours le plaisir de jouer et de faire avancer cette relation musicale au sein du trio. À mon sens, on n’a pas fait le disque de trop. D'ailleurs, on commence déjà à entrevoir la matière prochaine... Il faut justement savoir jusqu’où on pourra aller. Le but du jeu, pour moi, ce serait de dire : "Ça, ça va être notre dernier album." Arriver à prévoir ça, ce serait balaise !

(Propos recueillis par A.Y.)

Trio Viret « L’ineffable », concert de sortie de disque
Mardi 3 mars 2015 à Paris, au Café de la Danse, 20H
5, passage Louis-Philippe 11e
Infos/réservations : 01 47 00 57 59 ou ici


> L'agenda de Jean-Philippe Viret sur son site ("actualités/concerts")

Jean-Philippe Viret : contrebasse
Édouard Ferlet : piano
Fabrice Moreau : batterie

Extraits de l'album « L’ineffable »

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