La Côte d'Azur et le jazz, une histoire d'amour de 70 ans
Des festivals qui ont essaimé partout en Europe. Le regretté Claude Nobs, emblématique directeur du Festival de Montreux, le reconnaissait volontiers : "Si je n'étais pas passé par Antibes, Montreux n'existerait pas." L'âge de ces festivals dit bien l'ancrage de cette musique sur les bords de la Méditerranée. Un ancrage qui remonte à la sortie de la Seconde Guerre mondiale.
France 3 Côte d'Azur nous propose de remonter le temps pour comprendre la longévité de ces rendez-vous estivaux. Une série réalisée par : Laurence Collet, Benoît Loth, Jérôme Sallier, Marc Daniel, Céline Espanol
Episode 1 : Sidney Bechet marie Antibes au Jazz
Nous sommes à l'orée des années 50. Grâce au 33 tours les Français découvrent Duke Ellington et Sidney bechet. Deux monstres sacrés du jazz qui viennent jouer en France dans deux lieux : au Vieux-Colombier à Paris et à Juan-les Pins.À l'époque, explique l'écrivain Renaud Duménil, "Juan est un peu l'annexe du Vieux-Colombier et tous les gens qui se produisent sur la scène parisienne, comme Claude Luther et Juliette Gréco, descendent faire la fête à Juan-les Pins et animer les nuits juanaises".
Sidney Bechet, star du saxophone soprano et de la clarinette, qui a décidé de s'installer en France pour échapper à la ségrégation aux USA, tombe amoureux d'Antibes. C'est là qu'il épouse Elizabeth Ziegler en 1951, avec pour témoin une certaine Mistinguett. Paul Pacini, ancien patron de discothèques, se souvient : "C'était sympathique, il avait invité Moustache, Eddie Barclay qui est venu avec Brigittte Bardot et son fiancé de l'époque Sacha Distel."
Sidney Bechet va dédier "Dans les rues d'Antibes" à la ville qui l'a accueilli et qu'il a ouverte au jazz. Antibes qui lui a élévé une statue en remerciement.
Episode 2 : Ray Charles, l'enfant chéri de Juan
1961. Ray Charles atterrit en France, accueilli comme une star alors que dans son pays il doit encore entrer dans les cinémas par les portes de service. Un journaliste lui demande alors : "Pensez-vous qu'Antibes atteindra la renommée du festival américain de Newport ?" "Nous ferons de notre mieux pour qu'il en soit ainsi", répond le père de "Georgia on my mind".Le festival de Juan-Les-Pins a tout juste deux ans et il accueille des têtes d'affiche prestigieuses, comme Less McCann, Count Basie et Ray Charles dont c'est le premier concert en Europe. "C'est la découverte pour tout le monde d'un immense artiste, analyse Renaud Duménil, et c'est l'apparition d'une nouvelle façon de faire du jazz. Ray Charles a été l'enfant chéri de La Pinède."
Les concerts du festival affichent complet. L'ambiance y est digne de concerts de rock. "À ce moment-là, explique Jean-René Palacio, le directeur artistique de Jazz à Juan, le jazz est une musique populaire avec un public large. Ce n'est pas encore ce public d'aficionados du jazz, une certaine élite qui fera en sorte que cette musique devienne élitiste avec le temps." Ray Charles restera fidèle à Juan-les-Pins pendant 40 ans.
Episode 3 : Ella Fitzgerald en duo avec les cigales
Ceux qui ont eu la chance, comme Yves Montand, d'être présents au festival de Juan-les-Pins ce 29 juillet 1964 ne sont pas près d'oublier cette scène d'anthologie.Ella Fitzgerald, sur scène, est interrompue par... les cigales qui chantent à tue-tête. La grande dame décide alors d'improviser une chanson : "Cricket song" qui deviendra un incontournable de son répertoire. Un de ces moments magiques, comme le nomme Jean-René Palacio où il se passe quelque chose de plus que le concert." Ella Fitzgerald sera d'une grande fidèlité à Juan-les Pïns où elle viendra une dernière fois en 1981.
Episode 4 : Miles Davis se sentait libre sur la Côte d'Azur
En 1963, le public de Juan-les-Pins découvre Miles Davis et son nouveau regard sur le jazz. "Miles c'est un génie, c'est Hendrix, Prince... un génie créateur, un passeur entre la musique afro-américaine et un public plus large", analyse Jean-René Palacio. Miles Davis qui va tisser avec Juan et avec Nice une relation si particulière.La nuit dernière j'ai remarqué que mes mains étaient plus légères et je me suis demandé : pourquoi c'est si facile ? En fait c'est dans l'air. Je me sens libre ici. C'est pas comme aux Etats-Unis.
Miles Davis en 1980Le directeur de Jazz à Juan confirme : "Ils sont noirs, ils n'ont pas le droit de jouer n'importe où, ils n'ont pas le droit de rentrer dans les mêmes restaurants, il y a des sièges réservés dans les autobus. C'est vraiment la ségrégation."
Jean-Pierre Lamouroux, ancien journaliste à France 3 enfonce le clou : "Même Miles Davis, quand il allait au fin fond des Etats-Unis, on le traitait de "sale nègre". Alors venant en Europe, c'était formidable pour eux."
Depuis, d'autres grands noms ont porté loin l'écho du festival de Juan-les-Pins : Petrucciani, McCoy Tyner, Chick Corea et Keith Jarrett, Al Jarreau, Dizzy Gillespie, Stan Getz et Sonny Rollins, mais aussi plus récemment Roy Hargrove, Richard Bona, Thomas Dutronc, Norah Jones ou Jamie Cullum. Tous les grands du jazz passent un jour ou l'autre par la Côte d'Azur pendant l'été.
Jazz à Juan du 14 au 24 juillet 2016
Nice Jazz Festival du 16 au 20 juillet 2016
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